Durant les vacances scolaires, les parents ont toutes les peines du monde à faire garder leur progéniture. Certains, comme Lee Berger, les emmènent alors sur leur lieu de travail. Le bureau du paléoanthropologue américain se trouve dans une grotte à ciel ouvert située non loin de Johannesburg (Afrique du Sud). Ce matin-là, son fils Matthew, 9 ans, gambade avec son chien, Tau, lorsqu’il trébuche sur un rondin. “Mon enfant a crié : “Papa, j’ai trouvé un fossile !”” se souvient le chercheur.
Après une étude minutieuse, le petit bout d’os se révèle être l’élément d’une clavicule d’hominidé vieux de 1,977 million d’années ! Cinq ans après cette découverte, l’équipe de fouilleurs de l’Institut de l’évolution humaine de l’université du Witwatersand a exhumé 219 autres ossements -dans un excellent état de conservation- appartenant à deux individus : une femelle et son petit. Problème : alors qu’il a fait l’objet de 35 publications scientifiques et a été examiné par 125 des plus éminents spécialistes internationaux, cet ensemble, baptisé Sediba, ne ressemble à rien de connu.
L’ancêtre du genre Homo?
“Il possède des caractères primitifs et d’autres plus évolués, explique Lee Berger. Je ne dis pas qu’il s’agit de l’ancêtre du genre Homo, mais il reste un bon candidat.” L’ancêtre du genre Homo? L’expression est lâchée. Depuis que l’homme est homme, il n’a cessé de partir à la recherche de ses origines. Une quête sans fin qui a toujours tourné à l’obsession.
Au XVIIIe siècle, le Suédois Carl von Linné invente la systématique, qui range les êtres vivants en classes, ordres, genres et espèces. Sur cette jolie étagère, l’homme -baptisé Homo sapiens– se situe dans l’ordre des primates, “à côté” des grands singes. Un peu plus tard, en 1859, Charles Darwin ne se contente plus de poser les deux espèces “à côté”, mais évoque leur lien de parenté. Scandale ! Et pourtant, aujourd’hui, sa théorie fait l’unanimité dans la communauté scientifique. “L’évolution n’est plus à débattre, c’est un fait, tranche Yves Coppens. Ce qui se discute, ce sont ses modalités.”
Le professeur au Collège de France n’en oublie pas pour autant de pointer la principale erreur de Darwin : nous ne descendons pas du singe, mais sommes ses cousins. En effet, durant une bonne partie du miocène (entre 23 et 5 millions d’années), les grands singes et nos ancêtres cheminèrent au sein de la même famille, celle des hominidés. Les scientifiques estiment que nos lignées se sont séparées voici 8 à 10 millions d’années. La première a évolué vers les chimpanzés, les gorilles et les bonobos, lorsque la seconde, elle, a fini par déboucher sur le genre Homo. A cette époque, nous partagions donc, juste avant que les deux branches divergent, un “dernier ancêtre commun” (DAC), qui demeure le Graal de la paléoanthropologie.
Michel Brunet, professeur à l’université de Poitiers, a longtemps cru qu’il avait mis la main dessus en 2001. Au coeur du désert tchadien, balayé par d’incroyables tempêtes de sable et soumis à de fortes amplitudes thermiques quotidiennes, il a exhumé le crâne (et le fémur) de Toumaï, toujours considéré comme le préhumain le plus ancien. Son âge, estimé entre 6,9 et 7,2 millions d’années, a repoussé la fameuse dichotomie entre les lignées, puisqu’il est né après la divergence d’avec les chimpanzés.
La petite bête mesurait près de 1 mètre de hauteur et pesait autour de 30 kilos. Un avorton, en somme, mais il possédait une bipédie partielle qui le rendait un peu humain. “Toumaï appartient à notre famille, mais il ne représente qu’une branche parmi d’autres, ce qui n’en fait pas l’ancêtre de l’humanité, explique Michel Brunet. Aujourd’hui, nous manquons cruellement de fossiles pour tirer des conclusions définitives.”
Dans le monde entier, une incroyable course à l’os
Sur l’échelle de l’évolution, une autre branche, remontant à 6 millions d’années, a été décrite par Brigitte Senut (avec le Britannique Martin Pickford), du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, en la personne -si l’on peut dire, lorsqu’il s’agit des dents, des phalanges et d’un fémur- du Kényan Orrorin. Un peu plus imposant que Toumaï (140 centimètres pour une cinquantaine de kilos), lui aussi possède les caractéristiques d’une bipédie partielle, comme l’a corroboré ultérieurement un article publié dans la revue Science par l’anthropologue américain Richard Richmond. Pour autant, précise l’étude, Orrorin ne possède pas de liens directs avec le genre Homo. “Ces découvertes montrent que notre vision linéaire de l’arbre de l’évolution est définitivement caduque.
Avant l’apparition du genre Homo, on doit déjà parler d’un buissonnement d’espèces”, précise Brigitte Senut. Un raisonnement étayé par la mise au jour, en Ethiopie, à 230 kilomètres au nord d’Addis-Abeba, d’une femelle âgée de 4,4 millions d’années. Là encore, cette découverte vient bouleverser les connaissances et montre que plus la science avance, plus l’arbre généalogique se complexifie.
Elle témoigne, par ailleurs, de l’incroyable “course à l’os” que se livrent les paléontologues du monde entier. Cette région du Middle Awash, dans la vallée du Rift, dans l’est de l’Afrique, est l’un de leurs terrains de jeux privilégiés depuis le milieu des années 1980. Une terre aride arpentée notamment par l’Américain Tim White, de l’université de Californie, considéré à juste titre comme l’un des papes de la discipline. En trente ans de fouilles, il a notamment trouvé le squelette relativement complet d’un individu. “Il était dans un très mauvais état, mais nous avons vite compris que nous avions affaire à une nouvelle espèce”, raconte l’intéressé.
Baptisé Ardipithecus ramidus, ou Ardi (“sur le sol” en afar) pour les intimes, le petit bonhomme mesurait 1,20 mètre pour 45 à 50 kilos. Il intrigue, avec sa boîte crânienne minuscule (300 centimètres cubes) inférieure à la taille de celle d’un chimpanzé, mais se différencie de ce dernier à tous points de vue. A la fois par la forme de son crâne, par ses petites canines révélant un régime alimentaire différent, par sa face prognathe mais non projetée vers l’avant (comme celle des grands singes), par son bassin allongé sous-entendant de puissantes cuisses pour grimper aux arbres et par ses hanches larges, annonciatrices d’un début de bipédie. A la fois arboricole et coureur, en somme. “Ardi est emblématique de cette période où grands singes et hominidés ont divergé”, conclut Tim White.
“Nous sommes nés en Afrique, sous des cieux tropicaux”
Le Middle Awash renferme mille autres trésors. Certains passés à la postérité, à l’instar de la célèbre Lucy, exhumée en 1974 par Yves Coppens. Au total, 25300 ossements y ont été récoltés (dont 370 d’hominidés) en un demi-siècle ! Nulle part ailleurs on a trouvé autant de restes d’australopithèques. Australopithecus afarensis -comme Lucy et son “fils” Selam (2000)-, Australopithecus anamensis (2006), ou encore Australopithecus garhi (1997)… tous vivaient là, grosso modo entre 4 et 3 millions d’années.
Tous partagent aussi des caractéristiques semblables : petit cerveau, bipédie, larges molaires, petite taille, bras longs et doigts courbés. Tous sont également considérés aujourd’hui comme les premiers représentants directs de la lignée humaine. Voilà qui explique, rétrospectivement, le succès planétaire de Lucy, même si cette dernière a longtemps véhiculé la théorie d’Yves Coppens selon laquelle l’est de l’Afrique aurait été le berceau de l’humanité ; les préhumains bipèdes seraient donc nés là, dans un paysage de savane, tandis qu’à l’ouest se seraient ébroués les grands singes dans des forêts plus denses.
A un détail près : depuis, d’autres australopithèques ont été trouvés ailleurs, au Kenya, en Tanzanie, au Tchad, mais aussi en Afrique du Sud, où le squelette de Little Foot, le plus complet et le mieux conservé, pourrait atteindre l’âge canonique de 3,4 millions d’années. “L’East Side Story aura tenu vingt ans, c’est pas mal, philosophe le professeur Coppens. Aujourd’hui, on peut juste affirmer que nous sommes nés en Afrique et sous des cieux tropicaux.”
Résumons les principales informations de notre passeport, délivré par les manuels scolaires. Age : 6 millions d’années. Nationalité : éthiopienne. Parents : australopithèques. Des informations qu’il convient d’actualiser, à la lumière des découvertes récentes. Toumaï, par exemple, nous donne un sacré coup de vieux, puisqu’il a plus de 7 millions d’années. En ce qui concerne la “nationalité”, nous sommes bien africains, mais peut-être issus du sol de la patrie de Nelson Mandela ou d’Idriss Déby (Tchad).
Enfin, à propos de notre filiation directe, les découvertes de Sediba et d’autres montrent que notre parenté avec les australopithèques n’est pas si simple. Entre 2 et 3 millions d’an nées, Lucy et ses petits frères ont eu comme descendance les premiers représentants du genre Homo. Mais là encore, les scientifiques ne sont pas d’accord. S’agit-il d’Habilis ou d’Ergaster ? Le premier tient la corde parce qu’il fabrique des outils, dispose d’une boîte crânienne relativement grosse laissant supposer les prémices d’un langage articulé, mais aussi parce qu’il possède des jambes puissantes le rendant plus mobile.
Son concurrent Ergaster, arrivé un peu plus tard (vers 2 millions d’années contre 2,4 pour Habilis), ne manque pas non plus d’atouts. Avec une taille proche de la nôtre (1,70 mètre), un cerveau de 850 centimètres cubes, un régime alimentaire très énergique (il mange de la viande) et une cage thoracique qui se développe, il peut courir plus longtemps, donc échapper à ses poursuivants, et s’affranchit ainsi définitivement du monde des arbres.
Seul l’aventurier Homo sapiens aurait quitté l’Afrique?
Une chose est sûre, en revanche -et là tout le monde est d’accord-, Ergaster donne ensuite naissance à Erectus, le premier à posséder sous le “capot” 1000 centimètres cubes. De quoi le rendre toujours plus humain. D’ailleurs, il maîtrise le feu et s’impose déjà comme un excellent chef cuisinier, car il cuit ses aliments. Le stade ultime de l’évolution ? Pas vraiment puisque, ensuite, autour de 200 000 ans, arrive Homo sapiens, dont le premier squelette a été déterré en Ethiopie (Omo 1). Plus intelligent que tous les autres réunis, lui seul aurait eu l’esprit suffisamment aventurier pour quitter l’Afrique.
“A trop inventer de lignées peut-être nous compliquons-nous la tâche”, suggère David Lordkipanidze, directeur du Musée national géorgien. Voilà quelques mois, cet anthropologue a publié dans la revue Science un article qui a fait l’effet d’une bombe au sein de la communauté scientifique. Il concerne une série de crânes (cinq au total) découverts dans le petit village médiéval de Dmanisi, situé à 80 kilomètres de Tbilissi (Géorgie). “Ces ossements sont vieux de 1,8 million d’années et peuvent être considérés comme appartenant aux premiers représentants du genre Homo en Europe”, explique le spécialiste. Avant d’inviter ses pairs à revisiter et à simplifier l’arbre de l’évolution : “Qu’ils se nomment Ergaster, Habilis, Rudolfensis ou Gerogicus, tous devraient être aujourd’hui classés sous l’appellation Homo erectus.”
Une théorie iconoclaste qui revient à suggérer qu’une seule et même espèce a évolué du pléistocène à l’homme moderne. D’autre part, elle postule que le genre Homo apparaît en Europe, et ailleurs dans le monde, dès 2 millions d’années, donc bien avant la migration de Sapiens, voilà 200 000 ans ! Une hypothèse confortée par des recherches récentes, puisque, au-delà de la Géorgie, des ancêtres de l’homme ont été trouvés en Chine (-1,8 million d’années), en Turquie (-1,2 million d’années) et, plus près de nous, en Espagne (-1,2 million d’années), à Atapuerca, non loin de Burgos.
Si Homo sapiens est bien sorti d’Afrique, donc, d’autres ont, avant lui, tenté de partir à la conquête du monde. Décidément, de nombreux chapitres du livre de nos origines restent à écrire. Ce que résume Yves Coppens, vieux sage du Collège de France : “Plus les paléontologues fouillent, plus ils font des découvertes, plus ils accumulent de connaissances et plus ils doivent faire preuve de prudence.”
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le regard. Celui qu’elle pose sur ses oeuvres, au sens propre comme au figuré. Elisabeth Daynès, sculptrice et experte en hominidés, demeure une référence mondiale lorsqu’un musée souhaite une représentation d’un australopithèque, d’un Neandertal ou d’un Sapiens. D’abord, elle part d’un crâne, parfois pas plus gros qu’un pamplemousse. “C’est la base de l’identité de chacun”, explique-t-elle. L’artiste utilise ensuite un logiciel de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), mis au point par l’anthropologue Jean-Pierre Vignal. Cet outil détermine alors les caractéristiques principales -état de la dentition, écartement nasal, régime alimentaire, etc. Il propose aussi une certaine densité des tissus anatomiques (muscle et peau).
La paléoartiste peut ensuite se mettre au travail en utilisant sa matière de prédilection : l’argile. Elle pose une paire d’yeux dans les orbites béantes de la boîte crânienne, qu’elle ne lâchera plus du regard jusqu’à la touchefinale, puis dessine, un à un, chaque muscle du visage afin d’obtenir un écorché. “Vient alors la mise en place de la peau, par couches successives ; j’essaie d’être au plus près de l’os”, explique-t-elle en mimant son geste de lissage avec la paume et les pouces. A l’entendre, cette phase de création semble moins guidée par l’imagination que par son expérience, qui, en vingt-cinq ans, lui a permis de réaliser quelque 150 sculptures.
Elisabeth Daynès place alors cette tête d’argile sur le corps, exécuté avec l’aide d’une plasticienne. Puis elles réalisent ensemble un moulage en silicone dans lequel sera coulée la sculpture, qui sort ainsi à l’état brut. Reste à l'”habiller” : couleur de peau, sourcils, pilosité, parure, cheveux, maquillage. “Pour moi, l’essentiel est réalisé avant le moulage. Après, j’interviens peu”, ajoute l’artiste. Sauf pour travailler encore le regard et lui “donner de l’humanité”. Une façon de créer une émotion qui fait de ses sculptures des oeuvres d’art.
Source: lexpress.fr