Afin de vérifier la conformité des opérations de perception des redevances et autres produits dus à l’Etat et de l’exécution des conventions et contrats signés entre l’Etat et les opérateurs soumis à la régulation de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications/ Tics et Postes (Amrtp) au titre des exercices 2016, 2017 et 2018, les vérificateurs du Bureau du Vérificateur général ont passé en revenu tous les documents de gestion de ladite structure.
S’agissant de la pertinence de la vérification, le Vérificateur général dira que la libéralisation du marché des télécommunications a amené les Etats à procéder à une ouverture progressive de ce secteur à la concurrence. A cet effet, afin de garantir le libre jeu de la concurrence entre les entreprises du secteur des télécommunications, les autorités du Mali, conformément aux directives communautaires, ont confié le rôle de régulation à un organisme dont le cadre institutionnel s’est trouvé progressivement renforcé compte tenu des nombreuses mutations apparues.
Et l’Amrtp a été instituée par l’Ordonnance n°2016-014/P-RM du 31 mars 2016 relative à la régulation du secteur des télécommunications, des technologies de l’information et de la communication et des postes. A ce titre, l’Amrtp est autorité administrative indépendante disposant d’une autonomie financière. Pour financer ses activités, elle est autorisée à prélever et percevoir directement toutes taxes ou tous droits dus par les personnes et les opérateurs soumis à sa régulation.
La maîtrise de ces droits et taxes représente aujourd’hui un enjeu fiscal capital, compte tenu des revenus importants que génère l’activité des opérateurs du secteur des télécommunications. Ainsi, le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie évalué à 332 milliards de Fcfa en 2012 est passé à 520 et 523 milliards respectivement en 2016 et 2017. Le revenu de la téléphonie mobile représente à lui seul au moins 86% de ces montants. Aussi, les redevances l’Amrtp sont passées de 18 725 154 353 Fcfa en 2016 à 20 761 099 164 Fcfa en 2017 et 28 832 610 565 Fcfa en 2018, soit un montant total de 68 318 864 082 Fcfa sur les trois exercices. Au regard de ce qui précède, le Vérificateur général a initié la vérification de conformité.
Croissance du secteur agricole et tertiaire
Pour le contexte environnement général, le rapport relève que depuis environ une décennie, le Mali est confronté à une crise multidimensionnelle caractérisée par une insécurité quasi généralisée et plus accentuée dans les parties nord et centre du pays avec des répercussions sur l’ensemble des secteurs d’activités.
Malgré ce contexte sécuritaire difficile, les perspectives macroéconomiques sont restées globalement favorables pendant la période 2016 à 2018. Et le Mali a enregistré des taux de croissance économique de 5,4% en 2016, 5,3% en 2017 et 5% en 20181. Cette croissance a été maintenue grâce à la performance des secteurs agricole et tertiaire dont celle de la télécommunication.
Le marché des télécommunications s’est caractérisé par le renforcement de la concurrence avec l’arrivée d’un troisième opérateur de téléphonie en décembre 2017. En plus, le secteur a connu une modernisation accrue des réseaux marquée par le haut débit et l’instauration de la téléphonie de la quatrième génération (4G). Aussi, le nombre de clients de la téléphonie mobile est passé de 10 812 930 en 2012 à 20 418 500 et 22 249 003 respectivement en 2016 et 2017.
Cependant, déplore le rapport, les retombées financières ne semblent pas combler les attentes des autorités du Mali, compte tenu des niveaux de croissance enregistrés. Car, l’objectif d’améliorer les recettes, notamment fiscales du secteur des télécommunications, a conduit à l’instauration en 2013 de la Taxe sur l’accès au réseau des télécommunications ouverte au Public (Tartop).
Au chapitre des constatations et recommandations, les vérificateurs ont relevés plusieurs irrégularités administratives et financières. En ce qui concerne les régularités administratives, celles-ci sont relatives aux disfonctionnements du contrôle interne et elles se présentent comme suit l’Amrtp n’a pas exercé des contrôles requis sur les données financières et comptables des opérateurs titulaires de licence. Car, l’annexe de la licence d’établissement et d’exploitation de réseaux et services de télécommunications fixe et mobile de 2ème, 3ème et 4ème génération, des services de transmission de données et des services de télécommunications internationales au Mali du cahier des charges qui stipule que “L’Autorité contrôle par elle-même ou par des tiers qu’elle mandate, les données techniques, comptables et financières fournies par le titulaire et se réserve le droit d’effectuer toute inspection et enquête qu’elle juge nécessaire et, le cas échéant, procéder à des redressements après avoir demandé des explications au titulaire de licence”.
Pour s’assurer que l’Amrtp met en œuvre ses prérogatives en terme de contrôle de l’information financière et comptable fournie par les opérateurs titulaires de licence, la mission a examiné la procédure de liquidation des redevances de régulation du secteur et de contribution au Fonds d’Accès Universel (FAU) calculée sur la base du chiffre d’affaires net des charges d’interconnexion des opérateurs concernés. A l’issue de laquelle elle a constaté que l’Amrtp n’a pas mis en œuvre les contrôles des données comptables et financières transmises par les opérateurs téléphoniques. En effet, pour la liquidation des redevances de régulation, l’autorité de régulation se réfère exclusivement aux déclarations de chiffres d’affaires et de charges d’interconnexion des opérateurs téléphoniques. Pendant la période de vérification, elle n’a procédé à aucun contrôle de la fiabilité des données comptables et financières fournies par les titulaires de licence et n’a pas mandaté de tiers pour réaliser lesdits contrôles.
Non-application des dispositions relatives au suivi et recouvrement des créances clients
Toutefois, l’Armtp a conclu le marché n°01386/DGMP/DSP 2019 du 24 juin 2019 relatif à l’Audit du chiffre d’affaires des opérateurs des télécommunications au titre des exercices 2015, 2016 et 2017.
L’inobservation de ces dispositions ne permet pas à l’Amrtp de s’assurer de l’exactitude du chiffre d’affaires et des charges d’interconnexion déclarés par les opérateurs titulaires de licence.
Il a été indiqué entre autres que la non-application des dispositions relatives au suivi et recouvrement des créances clients ; le manque de suivi régulier du recouvrement des créances des opérateurs titulaires d’autorisation d’assignation de fréquence et de ressource en numérotation. La non effectivité du suivi régulier des opérations de dépôts à terme. En effet, au titre de la convention de dépôt à terme du 25 septembre 2017 d’un montant de 2 000 000 000 Fcfa, la Bsic n’a procédé au paiement des intérêts de 91 millions Fcfa que le 29 octobre 2018, soit une année plus tard en lieu et place du paiement trimestriel. Pire, le Ddaf n’a pris aucune mesure pour faire appliquer cette disposition contractuelle relative au paiement trimestriel. Il en est de même pour le dépôt à terme, d’un montant de 15 000 000 Fcfa, signé avec la Bci-Mali, dont le renouvellement, initialement fixé au 31 mai 2016, a été effectué le 21 décembre 2016 soit 7 mois plus tard.
Par ailleurs, il n’existe aucune disposition du manuel des procédures traitant les questions relatives à la gestion des opérations de dépôts à terme. Et l’absence de suivi des opérations de dépôts à terme prive l’Armtp de ressources financières supplémentaires.
Par rapport aux irrégularités financières, le Vérificateur général précise que le montant total des irrégularités financières s’élève à 4 525 370 963 Fcfa occasionnées essentiellement par le non recouvrement de l’exhaustivité des créances clients et des créances des opérateurs titulaires d’autorisation d’assignation de fréquence et de ressources en numérotation. En effet, de 2016 à 2018, des clients ont cumulé des créances importantes d’un montant 10 779 524 244 Fcfa au 31 décembre 2018. Toutefois, au cours de la mission, l’Amrtp a recouvré 6 558 126 308 Fcfa. Le montant total restant dû à la date du 14 janvier 2020 est de 4 221 397 936 Fcfa dont 1 816 684 716 Fcfa ont fait l’objet de moratoire de paiement et 1 882 750 000 Fcfa connaissent une procédure en contentieux.
26 972 350 Fcfa de redevances annuelles non facturées
Aussi, il a été constaté que le chef du Service clientèle ne facture pas l’intégralité des redevances pour des clients titulaires d’autorisations en cours de validité. Et de préciser que : “Le service clientèle prépare et édite les factures des redevables. Pour cela, il calcule la redevance pour chaque client à l’aide d’une application informatique. Les factures sont ensuite transmises au Ddaf qui, après vérification, les soumet à la signature du directeur général”. En effet, il a arrêté la facturation de 11 clients bénéficiaires d’autorisation alors que les décisions d’attribution concernées n’ont pas été résiliées. Pour s’assurer de l’émission exhaustive des factures relatives aux différentes redevances, la mission a rapproché les décisions d’assignations de fréquence et d’attributions des ressources en numérotation non résiliées aux situations de facturations au titre des exercices 2016, 2017 et 2018. Ainsi, les redevances annuelles non facturées s’élèvent à la somme de 26 972 350 Fcfa.
La mission a également indiqué que le chef comptable n’a pas enregistré la totalité des redevances facturées alors que la procédure de facturation et recouvrement des créances et droits indique : “Le Service clientèle établit quatre copies de la facture signée et transmet l’original au secrétariat pour expédition. Il classe une copie de la facture dans un classeur chronologique, une copie dans le dossier du client et transmet une copie au Département Administration et Finances pour enregistrement à la comptabilité et recouvrement”.
Pour s’assurer de l’enregistrement exhaustif des redevances dans la comptabilité de l’Amrtp, l’équipe de vérification a procédé au rapprochement des redevances facturées à celles enregistrées dans les livres comptables au titre des exercices 2016 et 2017. Elle a constaté que des factures signées par le président du Conseil de régulation et non enregistré par le chef comptable dans sa comptabilité s’élève à 244 574 862 Fcfa. De plus, des factures totalisant un montant de 473 590 249 Fcfa ont été enregistrées dans les livres comptables pour un montant de 399 404 434 Fcfa soit une minoration de créance de 74 185 815 Fcfa. Le montant cumulé des redevances non enregistrées sur la période sous revue est de 318 760 677 Fcfa.
Et, la constatation a été abandonnée en ce qui concerne la comptabilisation exhaustive des factures de redevances. L’entité a comptabilisé l’ensemble des factures concernées et fourni les extraits de compte du grand livre accompagnées des pièces justificatives correspondantes. Elle a aussi mis à la disposition de l’équipe de vérification les documents relatifs au rattachement à l’exercice 2015 de la redevance n°160031/ MENIC-AMRTP-DG d’un montant de 41 760 000 Fcfa soit un montant effectivement comptabilisé de 277 000 677 Fcfa. Cependant les redevances comptabilisées à titre de régularisation sont des créances à recouvrer pour un montant de 277 000 677 Fcfa.
2 338 647 936 Fcfa non
recouvrés aux créanciers
Pour la transmission et dénonciation de faits par le vérificateur général au président de la section des Comptes de la Cour suprême relativement et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako chargé du Pôle économique et financier, les vérificateurs précisent que celle-ci est relative aux créances non recouvrées pour un montant de 2 338 647 936 Fcfa, aux créances faisant l’objet d’une procédure en contentieux pour un montant de 1 882 750 000 Fcfa, aux redevances annuelles non facturées pour un montant de 26 972 350 Fcfa, aux recouvrements des factures de redevances comptabilisées après réception du rapport provisoire pour un montant de 277 000 677 Fcfa.
En conclusion, le rapport de vérification révèle que le renforcement des capacités institutionnelles dont l’Amrtp a bénéficié devrait lui permettre d’utiliser au maximum ses pouvoirs de contrôle pour asseoir une réelle maitrise des recettes générées par les sociétés de télécommunications. Toutefois, la mission de vérification a mis en relief de graves dysfonctionnements et irrégularités qui peuvent compromettre la sincérité de la régulation du secteur.
Ainsi, la faiblesse du contrôle des données comptables et financières des opérateurs sous le régime de la licence entache sérieusement le pouvoir de régulation de l’Amrtp caractérisée par la diversité des produits commercialisés et la complexité des techniques utilisées.Aussi, l’insuffisance du dispositif de recouvrement des redevances dues par les différents opérateurs du secteur ne permet pas à l’Etat de s’assurer que ses ressources sont mobilisées de façon optimale.
Et, la non maitrise du portefeuille des clients bénéficiaires d’autorisation et le faible contrôle exercé dans la gestion de ces dossiers constituent également des sources d’irrégularités financières préjudiciables. La prise en charge des insuffisances relevées par la mission à travers des recommandations permettra à l’Amrtp d’améliorer la gouvernance du secteur des télécommunications.
Synthèse de Boubacar PAÏTAO
Source: Aujourd’hui-Mali