Depuis l’incarcération de l’opposant Ousmane Sonko, suivie de la dissolution de son parti, le Pastef, la seule question qui vaille est : « Comment récupérer les voix de ses partisans ? »
En juin dernier, invité du Débat BBC Afrique-Africa Radio, qui portait sur la présidentielle sénégalaise de février 2024, j’avais affirmé que, pour préserver la paix sociale, Macky Sall et Ousmane Sonko devaient soit tous les deux être candidats, soit ne l’être ni l’un ni l’autre.
On se dirige vers la deuxième option. « Macky » a renoncé, Sonko est évincé. En effet, celui que les grands médias internationaux considèrent comme « le principal opposant sénégalais » a manifestement le don de faire dépoussiérer des articles de loi désuets et des décrets inédits, propres à entraver ses ambitions, et à se les faire appliquer.
Au début du mois de juin, dans le cadre de l’affaire qui l’oppose à l’ex-masseuse Adji Raby Sarr, l’homme politique a été condamné à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse sur une mineure de moins de 21 ans ». Un motif de condamnation dont on a grand peine à trouver un précédent, même ancien, dans la jurisprudence sénégalaise.
Le « coup d’éclat permanent »
Depuis la fin du mois de juillet, Ousmane Sonko est incarcéré pour, entre autres chefs d’accusation – il y en a huit au total –, « atteinte à la sûreté de l’État », « appel à l’insurrection » et « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». À l’origine de ces accusations, un incident, dont « l’élément déclencheur » (dixit le procureur de la République) serait le « vol du téléphone portable » (sic) d’une gendarme qui le filmait…
Le même jour, le parti de Sonko, le Pastef, était dissous par un décret qu’un communiqué du ministre de l’Intérieur a révélé au public. Les rares cas de dissolution de partis politiques remontent au début des années 1960 : l’interdiction, en 1961, du Parti africain de l’indépendance (PAI), du regretté Majhmout Diop, alors adepte de guérilla urbaine armée ; la dissolution des deux premiers partis créés par Cheikh Anta Diop, le Bloc des masses sénégalaises, en 1963, et le Front national sénégalais, en 1964, à une époque où le président, Léopold Sédar Senghor, ne voulait plus entendre parler de multipartisme.
En clair, la stratégie du « coup d’éclat permanent » adoptée par Ousmane Sonko et son parti, au moins depuis les émeutes de mars 2021, est désormais assimilée par le gouvernement à un quasi « coup d’État rampant ». Et traité comme tel.
Entre la condamnation pour « corruption de la jeunesse » de son président et la dissolution pure et simple du Pastef, il y a eu, le 3 juillet, la déclaration solennelle télévisée du président Macky Sall, dans laquelle il renonçait à briguer un troisième mandat – « même si la Constitution m’y autorise », a-t-il dit.
Ce « renoncement » a grandement contribué à faire baisser les tensions politico-sociales, palpables depuis plusieurs mois. À présent que l’épouvantail d’un supposé troisième mandat ne peut plus être agité, que plus personne ne peut arguer du non respect de la Constitution, y a-t-il encore des foules prêtes à susciter des émeutes pour Ousmane Sonko, que ses aficionados qualifient de « saint homme« , et à y participer ? L’avenir le dira.
Évidemment, nous ne pouvons que souhaiter d’être préservés de ces émeutes. Les Sénégalais veulent des élections libres, crédibles, apaisées, transparentes et inclusives. Si « l’inclusivité » ne va pas jusqu’à la participation de Sonko, empêtré dans des affaires judiciaires, ses militants et sympathisants pourraient être tentés de s’abstenir de voter. Comme ceux de Karim Wade en 2019. Pour les opposants candidats à la présidentielle de février 2024, la question n’est plus : « Ousmane Sonko y participera-t-il ? » mais plutôt : « Comment récupérer les voix de ses partisans ? »
Patate chaude
« Sonko, l’éléphant dans la pièce », après avoir été « l’éléphant dans un magasin de porcelaine » ? À propos des pachydermes, un proverbe sénégalais dit ceci : « Quand l’éléphant se fraye un chemin entre des arbres touffus, c’est pour que ses éléphanteaux puissent passer. » Le nom de l’éléphanteau qui portera les couleurs de la coalition présidentielle reste encore inconnu : Amadou Ba (Premier ministre) ? Aly Ngouille Ndiaye (ministre de l’Agriculture) ? Abdoulaye Daouda Diallo (successeur d’Idrissa Seck à la tête du Conseil économique, social et environnemental) ? Mahammed Boun Abdallah Dionne (ex-Premier ministre) ? « Monsieur X » ?
Sa coalition, Benno Bokk Yakaar (BBY), a donné carte blanche à Macky Sall pour désigner le candidat de la majorité. Avant que le chef de l’État lui-même ne refile la patate chaude de l’audition des candidats potentiels à Moustapha Niasse, doyen d’âge du camp présidentiel et ancien président de l’Assemblée nationale.
Pour cette prochaine présidentielle, qui sera sans doute l’une des plus ouvertes qu’ait connu le pays, il n’y aura pas seulement cinq candidats sur la ligne de départ, comme en 2019, mais une dizaine. Le dispositif de parrainages a été allégé, et le mécanisme de recherche de parrainages citoyens est désormais mieux maîtrisé par les appareils politiques de tous bords. Le parrainage d’élus est aussi admis.
Le dauphin désigné par Macky Sall profitera de l’éviction de Sonko. Toutefois, la menace, pour la majorité présidentielle, reste celle d’une probable multiplication de candidatures indépendantes dans le camp présidentiel, celles des « recalés » par Macky Sall, eu égard à la zizanie entre héritiers du président sortant. Gare, donc, à l’éparpillement des voix et ou au vote-sanction, dans une élection qui sera marquée par la présence de poids lourds tels qu’Idrissa Seck, Khalifa Sall et Karim Wade. À défaut d’être probable, un second tour est possible. Même sans Sonko.
jeuneafrique