Une guerre peut en cacher une autre : alors que les frappes occidentales en Syrie retiennent l’attention de la communauté internationale, une attaque qualifiée de «sans précédent» par l’ONU a visé les Casques bleus et les forces françaises samedi à Tombouctou, dans le nord du Mali. Bilan : sept militaires français blessés, un Casque bleu burkinabé tué et deux autres blessés. «Cette attaque sournoise a été contrée, l’objectif de faire le plus de dégâts possible a échoué», a déclaré dimanche le porte-parole de l’état-major français, ajoutant qu’une quinzaine d’assaillants auraient été tués. Reste que ces derniers ont réussi, une fois de plus, à faire preuve d’une audace sanglante en attaquant, en plein jour, la zone supposée être la plus sécurisée de la ville : celle de l’aéroport où se trouvent cantonnées les forces françaises et celles de la Minusma, la mission de l’ONU au Mali. Tirs de roquettes et de mortier, véhicules bourrés d’explosifs, arborant le sigle des forces maliennes pour l’un, des Nations unies pour l’autre : l’attaque avait été visiblement soigneusement préparée. Et contrairement aux déclarations de l’état-major, «l’objectif» a peut-être été, du moins en partie, atteint : démontrer que cinq ans après le début de l’intervention des forces françaises et onusiennes, un ennemi invisible est capable de frapper partout et à n’importe quel moment.

Commando.Car en réalité, même si l’ampleur et la complexité de l’attaque de Tombouctou est inédite, le nord du Mali est le théâtre d’incessants assauts qui visent notamment les forces étrangères, impuissantes à pacifier cette vaste région déshéritée, plus grande que la France. Déployée sur le terrain à partir de juillet 2013, avec des effectifs toujours en hausse, qui atteignent aujourd’hui près de 9 000 soldats et plus d’un millier de policiers, la Minusma est de loin l’opération de l’ONU la plus meurtrière au monde, avec plus d’une centaine de Casques bleus tués.

Rien que la semaine dernière, deux Casques bleus tchadiens ont été tués lors d’une attaque contre leur camp à Aghelok, dans le nord-est du pays. Deux jours plus tard, c’est un Casque bleu nigérien qui a perdu la vie quand le convoi dans lequel il se trouvait a été ciblé par des tirs, à Gao, l’autre grande cité du Nord-Mali, où se trouve le QG des militaires français de l’opération Barkhane. A Tombouctou, ce n’est pas non plus la première fois que le camp de la Minusma est attaqué : le 14 août, un commando avait pulvérisé le poste d’entrée au lance-roquettes, avant de pénétrer à l’intérieur. Visiblement bien renseignés, les six jihadistes avaient réussi à neutraliser le serveur du centre de télécommunication, tuant huit personnes dans la foulée, avant d’être à leur tour abattus. Cette fois-là, comme lors de l’attaque de samedi, ces kamikazes ont-ils voulu répondre à leur façon aux succès d’opérations menées contre les groupes armés ? Il y a une semaine, les forces françaises avaient «neutralisé», selon le terme officiel, cinq jihadistes au nord de Tombouctou, après en avoir tué une trentaine le 1er avril à la frontière avec le Niger.

Révélateur.La guerre au Mali peut elle-même en cacher une autre : si les attaques contre les forces internationales sont régulièrement médiatisées, celles contre les populations civiles retiennent moins l’attention. Pourtant, pas un jour ne se passe dans le vaste Nord et désormais dans le centre du pays, sans que des civils ne soient tués, retrouvés parfois décapités comme ce fut le cas pour un homme près de Mopti, le 9 avril. Ou encore sans que des fonctionnaires maliens ne soient enlevés, comme ce fut également le cas, pour deux d’entre eux, samedi à Diré, dans le centre du pays. Et la terreur jihadiste ne se distingue pas forcément des actes de banditisme.

A Tombouctou, la population avait ainsi décrété une «journée ville morte» le 17 janvier, pour protester contre l’insécurité grandissante qui gangrène tous les axes routiers qui partent de la ville. La «Perle du désert», qui était jusqu’en 2012 l’un des sites touristiques les plus prisés du Mali, est désormais une cité en partie coupée du monde. Symbole de l’oppression islamiste quand les jihadistes en avaient pris le contrôle, détruisant les mausolées religieux devant les caméras, Tombouctou, la «ville aux 333 saints», est-elle depuis samedi le révélateur d’un enlisement militaire qui ne dit pas encore son nom ? On est en tout cas bien loin de ce 3 février 2013, lorsque François Hollande y atterrissait, accueilli par une foule en liesse, déclarant même : «C’est le plus beau jour de ma vie.» Son successeur ne peut plus faire preuve du même optimisme.