Depuis le second coup d’État militaire malien survenu en mai 2021, les tensions entre Paris et Bamako n’ont eu de cesse de s’intensifier. Progressivement, ces tensions sont tombées dans l’agressivité publique et médiatique, avec des charges virulentes. Le Premier ministre malien dénonçait « l’abandon de la France en plein vol» en septembre 2021 et déclarait récemment que certains soldats français avaient agi comme des « mercenaires ». La chronologie des évènements est longue, mais l’un des plus marquants a été le rapprochement non-avoué de l’État malien avec la société paramilitaire russe Wagner. En outre, de nombreuses règles posées par la France en matière de coopération et de défense ont été franchises par le gouvernement malien, comme celle du refus de négocier avec les groupes terroristes. Ce refus catégorique a été vécu par les Maliens comme une forme d’ingérence étrangère et une menace à ses prérogatives souveraines. Plus récemment, Bamako a renvoyé précipitamment les militaires Danois en présence, qui intervenaient dans le cadre de la Force spéciale européenne « Takuba », dont la France est nation cadre. Cette décision a été reçue par les Européens comme un signal sur l’impossibilité de négocier avec ce gouvernement putschiste, qualifié par le ministre des Affaires Étrangères français Jean-Yves le Drian « d ’irresponsable et d’illégitime ». Les sanctions imposées par la Cédéao (communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest) au Mali ont été appuyées par la France, qui a vu son ambassadeur être expulsé du pays. On constate que le redéploiement du dispositif militaire annoncé par Emmanuel Macron en juin 2021 a été contraint de s’accélérer, sur fond de rejet anti-français et d’exacerbation des tensions diplomatiques. La France ne peut rester au Mali si elle est rejetée.Comment ce redéploiement du dispositif militaire peut-il s’opérer dans la région ?
Ayons en tête que ce redéploiement français se fait sans Barkhane et sans Takouba. II sera intéressant d’observer les réponses données sur ce sujet à l’issue du sommet entre Européens et Africains. Quoi qu’il en soit, ce sont des dispositifs extrêmement lourds à démanteler. Pour cette raison, il serait davantage pertinent de parler d’un changement de dispositif plutôt que d’un redéploiement. La logique française et européenne aujourd’hui est d’intervenir avec une empreinte beaucoup plus légère sur le terrain, et d’identifier les pays ouest-africains qui solliciteraient un appui militaire et avec qui une coopération multilatérale est possible pour lutter contre le djihadisme. Même si la France de meure la nation référente, on ne peut exclure une européanisation de la lutte contre le terrorisme au Sahel et dans le golfe de Guinée. Dans ce scénario, il s’agira de négocier des accords de coopération entre les États. Après neuf ans au Mali, la France ne souhaite plus agir seule.
La France est-elle pour l’heure contrainte de rester en Afrique ?
La France souhaite rester en Afrique. Nous sommes dans un changement de paradigme géopolitique, en attestent les velléités d’influence russes dans la région, qui obligent la France à rester au moins au Tchad et au Niger, et éventuellement de se déployer vers le golfe de Guinée, où la menace est grandissante et les intérêts français importants. Certains États africains souhaitent le maintien d’une présence française sur le continent, à l’instar du Burkina Faso qui semble prêt à travailler de concert avec Paris. II s’agit toutefois pour la France de tirer des enseignements de sa présence militaire au Mali, qui globalement n’est pas une grande réussite. Mais jeter l’oppro bre sur l’opération Barkhane serait à mon sens un peu trop facile. C’est sans doute beaucoup plus complexe. Le ter rain est compliqué. L’enjeu est de re penser les nouvelles formes de coordination entre États et les modes d’intervention. On pourrait imaginer des opérations de courtes durées avec des objectifs très précis.
Comment expliquer l’espace d’influence qu’est l’Afrique ?
C’est un peu un retour du refoulé, qui nous rappelle le contexte de la guerre froide. C’est une zone de recomposition géopolitique entre des acteurs qui ne sont pas tout à fait nouveaux. L’Afrique reste considérée comme une forme de laboratoire des luttes d’influence.
Entretien réalisé par Arnaud Deux pour La Marseillaise.