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Au Burkina Faso, les violences djihadistes ébranlent le pouvoir

Les appels à la démission du président Roch Marc Christian Kaboré, incapable d’endiguer les attaques qui ont fait 2 000 morts en six ans, se multiplient.

 

Une foule s’amasse devant une dizaine de trous creusés dans la terre ocre d’un grand terrain brûlé par le soleil. En arrière-plan, des centaines de tombeaux blancs remplissent le carré militaire du cimetière municipal de Gounghin, à Ouagadougou. Ce mardi 23 novembre, on est venu enterrer « un frère », « un ami », un « mari », tués le 14 novembre à Inata, dans le nord du Burkina Faso. Des pleurs et des cris retentissent. De douleur et de rage surtout.

Neuf jours après la pire attaque jamais enregistrée contre l’armée burkinabée, l’émotion est encore vive. Trente-six gendarmes sur les 53 tués, selon un bilan encore provisoire, ont été inhumés. Les opérations de recherche se poursuivent pour tenter de retrouver les derniers disparus du camp, qui comptait environ 150 éléments.

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Au Burkina Faso, où les violences djihadistes ont fait plus de 2 000 morts et 1,4 million de déplacés en six ans, la colère gronde contre les autorités. Depuis une semaine, plusieurs manifestations ont eu lieu à travers le pays pour réclamer « la démission » du président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré.

« Les troupes sont en colère »
Un commissaire de police à la retraite, qui préfère garder l’anonymat, ne cache pas son amertume. Parmi les cercueils en bois, recouverts du drapeau rouge et vert du pays, gît son « petit-neveu » de 32 ans. « C’était sa première mission, il venait de quitter l’école, souffle le vieil homme, en boubou blanc. On ne peut pas laisser des militaires combattre le ventre vide, sans matériel, alors que nous sommes en guerre. C’est déplorable », s’indigne-t-il. A côté de lui, le ton monte. « On envoie les jeunes à l’abattoir, tandis que les chefs restent dans leurs bureaux climatisés », s’indigne un autre.

Ce matin-là, plusieurs membres des familles et des amis ont tenté d’empêcher l’enterrement, critiquant des sépultures « indignes » et « mal creusées ». « Des hommes qui luttent pour leur propre pays… Et on les enterre ici comme des chiens ! Il fallait appeler les familles, on aurait mieux creusé que ça », a crié un homme, ovationné par la foule. Il aura fallu près de deux heures de négociations, menées par un officier, pour que l’inhumation se fasse.

L’incident illustre le climat lourd de rancœurs qui règne au Burkina Faso. Dans les rues et les casernes, la gronde monte depuis l’attaque du poste de gendarmerie d’Inata, qualifiée de « honte » et « d’humiliation » par certains. « Les troupes sont en colère, le moral n’y est plus », souffle un militaire en mission dans le nord du pays, joint par téléphone. La fuite d’un document interne, adressé à la hiérarchie militaire deux jours avant l’assaut, alertant sur une « rupture totale de provision alimentaire », a particulièrement choqué.

Dans ce message, le chef du détachement explique que ses hommes sont obligés de s’alimenter en chassant des animaux « depuis deux semaines » et qu’ils doivent quitter leur position dans les « prochaines heures » face à l’ampleur du danger qui les guette. « Le jour de l’attaque, ils ont aussi demandé un renfort aérien, en vain. Il n’y a des hélicoptères que pour ramasser les morts », fustige la source militaire, qui dénonce également des « arriérés de primes ».

Ressentiment
Le 17 novembre, le président Kaboré a annoncé le limogeage de deux chefs militaires et promis une « enquête » et des « sanctions disciplinaires sans exception ». Mais ces annonces ne semblent pas calmer le ressentiment, d’autant que les attaques se poursuivent. Dimanche, au moins neuf gendarmes et dix civils, dont un enfant, ont été tués à Foubé, dans le Centre-Nord. « Des groupes armés sont entrés dans le camp de déplacés pour attaquer le poste de gendarmerie, des civils se sont retrouvés au milieu des tirs au centre de santé », précise une source humanitaire. Lundi, des centaines de manifestants ont marché à Tougan, dans le nord-ouest du pays, pour dénoncer « l’inaction du gouvernement face à l’insécurité ».

Dans ce climat, la suspension de la connexion Internet mobile depuis samedi soir, soit trois jours de coupure, un fait inédit dans le pays, complique encore la situation. Dans un communiqué, le porte-parole du gouvernement, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, invoque « des obligations de défense nationale et de sécurité publique ».

Les jours précédents, de nombreux Burkinabés lançaient des appels à la « mobilisation » et à la « désobéissance civile » sur Facebook et WhatsApp. Un convoi militaire français, venu de Côte d’Ivoire et qui devait rejoindre le Niger en traversant le Burkina Faso, a été bloqué par des milliers de manifestants dans plusieurs villes du pays. « Armée française dégage », « Libérez le Sahel », pouvait-on lire sur les pancartes.

Pour l’analyste politique Simon Pierre Douamba, le « silence » et la « mauvaise communication » des autorités se révèlent « risqués ». « Les coups d’Etat au Mali et en Guinée ont eu des échos jusqu’ici, de plus en plus de citoyens pensent que la solution à la crise sécuritaire passera par l’arrivée de militaires au pouvoir », prévient-il. Mardi, la « coalition du 27 novembre », regroupant quelque 200 organisations de la société civile selon un des fondateurs, a réitéré son appel à manifester ce samedi « sur toute l’étendue du territoire ». « Cela fait six ans qu’on ne fait qu’enterrer nos morts, la question n’est pas de savoir si Roch Marc Christian Kaboré doit partir, mais plutôt comment », n’hésite pas à dire Hervé Ouattara, l’un des leaders du mouvement.

Sophie Douce(Ouagadougou, correspondance)

Source : Le monde.fr

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