Paul-Henri Sandaogo Damiba, démis de ses fonctions, appelle les putschistes « à revenir à la raison » alors que l’armée a annoncé ne pas reconnaître leur coup de force.
La confusion règne au Burkina Faso. Démis de ses fonctions par un groupe de militaires lors d’une annonce télévisée, le chef de la junte au pouvoir depuis le début de l’année, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a fait savoir samedi, par un texte publié sur la page Facebook officielle de la présidence, qu’il n’avait pas quitté le pouvoir. Il appelle les putschistes « à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide dont le Burkina Faso n’a pas besoin dans ce contexte ».
« Je démens formellement m’être réfugié dans la base française de Kamboinsin. Ce n’est qu’une intoxication pour manipuler l’opinion », a-t-il également ajouté, répondant aux accusations des putschistes. Plus tôt dans la journée, dans une intervention à la télévision nationale, ils avaient affirmé que M. Damiba « planifi[ait] une contre-offensive » depuis une « base française » près de la capitale du pays, Ouagadougou. Paris avait rapidement démenti. « Le camp où se trouvent nos forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Sandaogo Damiba, pas plus que notre ambassade », a précisé le ministère des affaires étrangères français.
Quelques dizaines de manifestants soutenant le nouveau chef autoproclamé de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, s’étaient rassemblés devant l’ambassade de France au Burkina Faso, dimanche 2 octobre, mettant le feu à des barrières de protection et jetant des pierres à l’intérieur du bâtiment. Des grenades de gaz lacrymogène ont été tirées de l’intérieur de l’ambassade pour les disperser.
La veille, un incendie s’était déjà déclaré devant l’ambassade, et un autre devant l’Institut français dans la ville de Bobo-Dioulasso. « Des atteintes graves à la sécurité de nos emprises diplomatiques ont eu lieu hier soir à Ouagadougou, s’agissant de l’ambassade mais également de l’Institut français, ainsi qu’à Bobo-Dioulasso où l’Institut a été vandalisé », a dit le ministère des affaires étrangères, parlant d’attaques qui « sont le fait de manifestants hostiles, manipulés par une campagne de désinformation à notre encontre ». Le capitaine Traoré a appelé dimanche à cesser les actes « de violence et de vandalisme » contre la France, assurant que la situation dans la capitale était sous contrôle.
Paris dément aider Damiba et condamne les violences
Dimanche, des manifestants se sont également rassemblés près du siège de la télévision nationale autour duquel le dispositif de blindés en place a été allégé, avec trois véhicules, au lieu d’une vingtaine. Des rassemblements ont eu lieu pendant la nuit de samedi à dimanche sur plusieurs grands axes de la capitale burkinabé, survolée toute la nuit par un hélicoptère militaire.
L’armée burkinabée a publié au cours du week-end un communiqué dans lequel elle affirme ne pas reconnaître le coup d’Etat de la veille. Dans sa première réaction depuis vendredi soir, l’état-major général des armées a reconnu traverser « une crise interne », mais a déclaré que les « concertations » se poursuivaient. « Quelques unités ont pris le contrôle de certaines artères de la ville de Ouagadougou, demandant une déclaration de départ du lieutenant-colonel Damiba », ajoute le communiqué, qui précise que cette tension « ne représente pas la position de l’institution ».
Le capitaine Traoré était jusqu’à présent le chef de corps du régiment d’artillerie de Kaya, dans le nord du pays, particulièrement touché par les attaques djihadistes. Selon plusieurs sources sécuritaires, ce coup de force révèle de profonds désaccords au sein de l’armée, l’unité d’élite des Cobras déployée dans la lutte antidjihadiste ayant notamment reproché à M. Damiba de ne pas mobiliser toutes les forces sur le terrain.
Vendredi soir, des soldats étaient intervenus à la télévision nationale pour annoncer qu’ils démettaient de ses fonctions M. Damiba. Ils ont annoncé la fermeture des frontières, la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu a également été mis en place de 21 heures à 5 heures, heure locale.
Crainte d’affrontements
Vendredi, quelques heures avant le coup d’Etat, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté dans la capitale pour réclamer le départ de M. Damiba, mais aussi la fin de la présence militaire française au Sahel et le développement de la coopération militaire avec la Russie. Dans leur déclaration de samedi après-midi, signée du capitaine Ibrahim Traoré, autoproclamé nouveau chef de la junte vendredi soir, les putschistes mentionnent leur « ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme ». L’influence de Moscou ne cesse de croître dans plusieurs pays d’Afrique francophone ces dernières années, et il n’est pas rare de voir des drapeaux russes dans de telles manifestations.
Après une nuit et une matinée calmes, la situation s’était de nouveau tendue dans Ouagadougou à la mi-journée, à la suite de tirs et des déploiements de militaires dans les rues, laissant craindre des affrontements entre les partisans de M. Damiba et les nouveaux putschistes. Les principaux axes de la ville étaient bloqués, notamment le quartier de Ouaga 2000, qui abrite la présidence.
La communauté internationale a condamné cette nouvelle tentative de coup d’Etat. Samedi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a « fermement » dénoncé dans un communiqué « toute tentative de prise de pouvoir par la force des armes ». L’Union africaine (UA) a, elle, fustigé un « changement anticonstitutionnel de gouvernement », et l’Union européenne (UE) a estimé que cela mettait « en danger les efforts engagés depuis plusieurs mois » pour la transition.
Les Etats-Unis sont « profondément préoccupés » par la situation au Burkina Faso, a affirmé, de son côté, le porte-parole de la diplomatie américaine dans un communiqué. « Nous exhortons les responsables à désamorcer la situation, à prévenir tout préjudice aux citoyens et aux soldats, et à revenir à l’ordre constitutionnel », a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Ned Price, précisant que les Etats-Unis « suivaient la situation de près ».
Dès vendredi soir, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait « condamné avec la plus grande fermeté » ce coup de force jugé « inopportun au moment où des progrès ont été réalisés pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 ». Pour l’heure, les nouveaux putschistes n’ont pas dit s’ils comptaient respecter ce calendrier de transition.
M. Damiba était arrivé au pouvoir en janvier par un coup d’Etat, qui avait renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, discrédité par la hausse des violences djihadistes. Mais, ces derniers mois, des attaques contre des dizaines de civils et de soldats se sont multipliées dans le Nord et l’Est, où des villes sont désormais soumises à un blocus des djihadistes.
Depuis 2015, les attaques récurrentes de mouvements armés affiliés à Al-Qaida et à l’organisation Etat islamique ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de quelque 2 millions de personnes. Avec les deux putschs au Mali en août 2020 et mai 2021 et celui en Guinée en septembre 2021, c’est le cinquième coup d’Etat en Afrique de l’Ouest depuis 2020.