Les scènes macabres ne se comptent plus dans le cercle de Ténenkou. Attaques sanglantes, braquages mortels, assassinats à domicile… sont quasiment devenus le quotidien de la pauvre population de cette localité, abandonnée à son triste sort par l’Etat malien et la mission onusienne.
C’est là le constat des cadres ressortissants de ce cercle qui, à l’initiative de l’Association pour le développement du cercle de Ténenkou (Adct), s’étaient réunis, le samedi 27 août dernier à la Maison de la presse, à la faveur d’une conférence sur la situation sécuritaire dans le cercle de Ténenkou et l’état d’exécution des projets structurants.
Outre le Dr Timoré Tioulenta, président de l’Adct et l’honorable Amadou Cissé; plusieurs ressortissants de Ténenkou étaient présents à cette conférence qui se voulait un espace d’échanges et surtout de propositions susceptibles de favoriser le retour de la paix dans le cercle afin que ses populations se consacrent pleinement à leur essor socioéconomique.
Pour planter le décor, M. Tioulenta a décrit le calvaire (l’enfer ?) quotidien de ses parents qui, depuis 2012, subissent les affres de la mort, du doute. Une situation en laquelle n’aura rien changé la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation.
Selon le président de l’Association, la période post signature de l’Accord est marquée par la multiplication des attaques, l’intensification de la terreur sur les populations et sur les forces en présence, l’extension des effets de la crise dans des localités jusque-là relativement épargnées, et la densification des pertes en vies humaines. Les preuves ?
Cycle infernal
Le 31 décembre 2015, Souleymane Bah dit Kouragal a été assassiné entre Nampala et Dioura. Le 7 janvier 2016, Dioura a été attaquée et les locaux de la mairie saccagés. Et le lendemain, 8 janvier 2016, Ténenkou a été prise pour cible à un moment où le Gouverneur de la région y tenait une conférence de cadres.
Les assaillants reviendront à Ténenkou, le 16 janvier 2016. Ils y seront chassés par les forces de défense et de sécurité malienne. En mars 2016, des éléments des forces armées et de sécurité sont tués par un engin explosif, entre Dia et Diafarabé. Moins d’un mois après, soit avril 2016, Nabé Tamboura est assassiné à son domicile, à Samina.
Cet acte ignoble sera suivi, le 1er mai 2016, par la mort d’une trentaine de personnes à Malémana (commune rurale de Karéri), suite à un conflit inter-ethnique. Il y a quelques jours, précisément le 7 août 2016, des éléments de l’armée malienne sont morts (par noyade) dans le fleuve Diaka, aux environs du village de Kéra. Et pas plus tard que le samedi 27 août 2016, quatre personnes ont perdu la vie à Falada, à 20km de Dioura.
Ces morts viennent rallonger la liste des victimes. Faut-il le rappeler, la situation sécuritaire du cercle, avant la signature de l’Accord, a été marquée par des exactions en série et assassinats ciblés dont les auteurs n’ont jamais été appréhendés.
On se souvient du drame de Doungoura où des simples citoyens ont été, le 18 mai 2013, lâchement abattus et jetés dans un puits. Hormis une mission de la Minusma qui s’est rendue sur les lieux, aucune action concrète n’a été posée pour élucider les faits. Aujourd’hui encore, les ossements des victimes attendent, dans un vieux puits, un sauveteur pour une sépulture.
Et leurs parents (Demba Almamy de Doungoura, Ngourdi Nouhoum de Ata, Allaye Boubacary de Nampala, Hammadoun Amadou de Léré, Gouri Kola de Niafunké…) se lassent d’attendre un message de regret, de sympathie de la part de l’Etat et de la communauté internationale.
« Les multiples complaintes de l’Adct et autres associations auprès des autorités de la République et de la communauté internationale n’en firent rien. Les nombreux articles de presse sur la question n’eurent aucun effet sur la conscience de la kyrielle d’associations et organismes de défense des droits de l’homme et des communicants à l’international. », déplore Timoré Tioulenta.
Conjurer le mal…
Tout comme les auteurs de cette barbarie, les bourreaux du chef de village de Manguila courent également. Le sage Baba Tamboura a été victime d’un braquage en avril 2014. A ces crimes, il faut ajouter l’assassinat de Boubou Tiallé du village de Saré Kouyé, le 4 mars 2016.
A l’évidence, résume le président de l’Adct, le cercle de Ténenkou constitue une exeception en matière de sécurité dans l’ensemble national. Aujourd’hui les ressortissants de cette localité ne s’expliquent pas cet état de fait.
Pourquoi la bande de terre comprise entre Nampala et Léré ne fait-elle pas toujours l’objet d’une surveillance à hauteur des risques connus ? Pourquoi la forêt dite de Jammel, située entre les villages de Kéra et de Dioyti, ne fait-elle pas l’objet d’un traitement particulier ? Pourquoi le cercle de Ténenkou reste il seul dans la région de Mopti dont les administrateurs résident toujours hors de leurs localités d’affectation ? Et pourquoi les forces militaires internationales n’ont qu’une présence furtive dans cette zone ? Voilà autant de questions qu’ils se posent. En attendant d’y trouver des réponses, les cadres du cercle estiment que les acteurs de la paix se doivent d’être attentifs à la révolte intérieure, potentiellement porteuse de germes d’accointances plutôt explosives.
Au-delà des crimes, les conséquences de la crise sécuritaire sur la vie des populations du cercle sont incommensurables, affirme l’ancien député de Ténenkou. Selon lui, depuis trois ans, l’activité économique dans le cercle de Ténenkou est au pilori. La transhumance des animaux, l’activité qui rythme la vie des pasteurs peuls, relève de l’anecdotique ; les célèbres compétiteurs de Kenta, de Tarbaye et d’ailleurs ont rangé perches et pagaies… Et depuis trois ans, il n’y a pratiquement pas d’école.
Pour conjurer les démons et sortir les habitants du cercle de Ténenkou de ce quotidien infernal, le Bureau exécutif de l’Adct a multiplié les actions, dont des rencontres avec les autorités maliennes afin de trouver des réponses adéquates aux préoccupations des populations. En outre, le Bureau a sollicité et obtenu de la Croix rouge malienne des kits scolaires et de santé qu’il a mis à la disposition du Centre d’animation pédagogique et du centre de santé de référence de Ténenkou.
Par ailleurs, l’Association invite le gouvernement, en vue des prochaines élections communales, à prendre les dispositions idoines pour le retour effectif des administrateurs dans tous les arrondissements du cercle.
Les débats furent fluctueux. Les participants ont convenu de la nécessité de mutualiser leurs efforts et de s’investir pleinement dans la stabilisation du cercle de leur cercle, et au-delà l’ensemble du Mali.
I B Dembélé
Source: L’Aube