Depuis 2015, la situation sécuritaire dans le Centre du Mali (Mopti et une partie de Ségou) allait crescendo. En effet, la mort frappe quotidiennement dans la région de Mopti : attentats terroristes et djihadistes, explosion de mine, attaques de milices, conflits communautaires… sont devenus (la triste) réalité dans le quotidien des populations civiles et surtout de la communauté peulh… Les massacres en masse d’Ogossago, où près de 174 civiles ont été tués, illustrent la dramatique situation qui prévaut actuellement au Centre. Après le drame d’Ogossagou, les députés ont été obligés de sortir de leur torpeur pour interpeller le gouvernement.
Ainsi, pour avoir des éclaircissements sur les massacres (en dernier) d’Ogossagou et le pourrissement de la sécuritaire dans le Nord et Centre, le ministre de la Sécurité Intérieure et de la Protection Civile, général Salif Traoré et la ministre en charge de la Fonction Publique, Diarra Raky Talla étaient face aux élus de la nation.
Se succédant au pupitre, les députés (opposition ou majorité) ont soulevé des interrogations pertinentes. Plusieurs d’entre eux, ont cherché à comprendre, ce qui n’a pas marché dans le dispositif sécuritaire lors des différentes attaques terroristes à Dioura et Ogossagou, le bilan « réel » de ces attaques en termes de pertes en vie humaine, de matériels et d’équipements et si le gouvernement en dissolvant la milice « Dana Amassagou », voulait la tenir responsable des tueries d’Ogossagou.
Quelle est la responsabilité des élus ? S’interroge l’honorable Idrissa Sankaré de Bankass, la localité touchée par les récentes violences.
« Qu’avons-nous fait Mr le Président, nous députés ? Qui parmi nous connaît Bankass ? Y a-t-il une mission de terrain ? Non. Nous sommes tous responsables, Mr le Président », a-t-il interpellé.
Selon Bakary Woyo Doumbia, député de l’opposition, l’annonce de la dissolution du groupe d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou et des limogeages au sein de l’armée ne sont pas des mesures suffisantes pour rétablir la sécurité au Centre. « Nous sommes en face d’une véritable faillite politique. La vérité est que notre sécurité a été sous-traitée à des groupes armés au Nord comme au Centre du Mali », s’est-il indigné.
En répondant aux différentes inquiétudes soulevées par les élus, le ministre Traoré, précise : « Nous avons un peu plus de 15 000 hommes qui sont déployés en permanence. C’est vrai, face à l’absence de l’État à certains endroits, certains ont pu devoir se substituer à l’État, mais nous sommes en montée de puissance, nous sommes en réorganisation. Nous allons être beaucoup plus visibles et nous allons nous assumer ».
Concernant les interrogations sur les récentes attaques, le général Salif Traoré a évoqué les stratégies du gouvernement pour faire face à la situation. Dans un premier temps, il a reconnu avec les interpellateurs la lourdeur du bilan concernant les attaques de Dioura et d’Ogossagou.
Tout en soulignant que des enquêtes ont été diligentées sur le terrain et que des responsabilités seront situées sous peu.
La dissolution de la milice Dan Na Ambassagou ? Le ministre Traoré précise : « Le gouvernement n’a pas accusé l’association Dan Na Ambassagou d’être responsable de l’attaque d’Ogossagou », tout en soulignant qu’il a jugé nécessaire tout simplement de lui retirer son récépissé d’association. Il a aussi déclaré que toutes les autres milices d’auto-défense seront identifiées et dissoutes.
Selon le ministre, 150 militaires maliens ou étrangers et 440 civils ont été tués depuis trois mois. Ce bilan du ministre Traoré vient de confirmer les révélations faites par le précisent du Parena, Tiébilé Dramé, qui, en février dernier, avait dressé une liste (noire) de victimes (civiles et militaires) à cause de l’insécurité… Ainsi, selon M. Dramé, c’est au total, 1814 victimes de l’insécurité en 2018, dont 1026 ont été tuées au Centre du Mali. Parmi elles : 697 civils, 85 membres des forces armées et de sécurité du Mali, quatre soldats de la paix, 236 hommes armés ou présumés armés (membres des groupes terroristes, des milices, les chasseurs donsos et peut-être des civils présentés comme djihadistes ou terroristes).
Des villages brûlés, des greniers pillés
Selon Tiébilé Dramé, en 2018, les violences ont entraîné la mort de plus de 1800 personnes au Mali : « L’année 2017 avait déjà enregistré 716 personnes tuées sur tout le territoire. Le nombre élevé de morts en 2018 est le reflet d’une situation sécuritaire particulièrement dégradée notamment au Centre et au Nord-est. Sur les 1814 victimes de l’insécurité en 2018, 1026 ont été tuées au centre du Mali. Parmi elles : 697 civils, 85 membres des forces armées et de sécurité du Mali, quatre soldats de la paix, 236 hommes armés ou présumés armés (sous cette catégorie ont été classés, les membres des groupes terroristes, des milices, les chasseurs donsos et peut-être des civils présentés comme djihadistes ou terroristes). Au Centre du pays, il faut également signaler 70 enlèvements. Les familles sont sans nouvelles des disparus comme les cas de 21 pêcheurs enlevés, le 13 décembre dernier, à Mérou (Ké-Macina) par des hommes armés non identifiés. Des six pêcheurs enlevés à Touara (Ké-Macina) seul un, Lassine Téréta a pu s’échapper, grièvement blessé. Il a été soigné au centre de santé de Ké-Macina. En 2018, il y a eu cinq fois plus de morts au centre du Mali qu’en 2017 (1026 victimes#209). Il y a eu six fois plus de civils ont perdu la vie au centre qu’en 2017 (697#114) ».
Dramé avait indiqué que le Centre du Mali, c’est la mort au quotidien, les villages brûlés et rasés, les greniers pillés, les troupeaux razziés, les déplacements forcés de populations civiles. « Le Centre, c’est aussi le contrôle au faciès, les check-points illégaux, les armes de guerre détenues par des groupes irréguliers qui ensanglantent et endeuillent la région. Un des épisodes les plus sanglants de la guerre civile au Centre a été en avril dernier le massacre de Nawal Noumou, une mare jouxtant Nouh-Bozo (Djenné), Diawou (Ténenekou) et Toye (Ké-Macina). Selon des sources recoupées, plusieurs dizaines de donsos (chasseurs) ont été exécutés par les djihadistes les 22 et 23 avril 2018 », s’indignait-il, avant d’interpeler le gouvernement à dire la vérité aux Maliens sur la situation au Centre : qui sont les protagonistes de la guerre du centre ? D’où viennent-ils ? Des non-Maliens participent-ils à la guerre du centre ? D’où proviennent les armes de guerre utilisées au centre ? Qui en sont les fournisseurs ?
… 1814 personnes ont perdu la vie
Aux dires du président du parti du bélier blanc, le Centre du Mali est le théâtre d’une grave crise sécuritaire, humanitaire et politique dont l’intensité est sous-estimée. Sur fond de conflits autour de l’accès aux ressources naturelles (foncier agricole, parcours et gîtes pastoraux, pâturages et points d’eau), une insurrection djihadiste a entraîné une tragique guerre civile intercommunautaire dans cette partie du territoire : « Le Centre est constitué de deux régions (celles de Mopti et de Ségou), de 14 cercles et de 225 communes. Sa population, estimée à 5.845.999 habitants, est composée essentiellement de Bamanan, de Dogono, de Bozo, de Fulbé, de Bwa et de Mamara (Minianka). Tous les sept cercles de Mopti ainsi que les cercles de Niono, Ké-Macina et le nord des cercles de San et Tominian sont affectés par une insécurité galopante. L’année 2018 a enregistré un niveau jamais égalé de violence. Une centaine de villages ont été abandonnés par leurs habitants. Des greniers ont été pillés ou brûlés. Un nombre croissant de villageois, craignant pour leur vie, ont quitté leurs foyers pour se réfugier à l’extérieur ou dans plusieurs localités de l’intérieur. Le camp de réfugiés de Mberra (Mauritanie) a accueilli tout au long de 2018 des contingents entiers de Maliens fuyant le conflit au Centre. L’insécurité a conduit à la fermeture de plusieurs centaines d’écoles dans les régions de Mopti et de Ségou : 543 des 817 écoles fermées au Mali sont situées dans les deux régions du centre. L’année 2017 avait été considérée comme particulièrement meurtrière avec 716 victimes sur tout le territoire. L’année 2018 qui vient de s’achever a connu un nombre sans précédent de morts, de blessés, d’enlèvements et de disparitions forcées. Du 4 janvier au 30 décembre 2018, 1814 personnes ont perdu la vie au
Mali. Le Centre a été, de loin, la région la plus ensanglantée pendant l’année écoulée. L’insurrection djihadiste, les opérations de contre-insurrection menées par les forces armées et de sécurité, les attaques des milices de tous bords et les affrontements intercommunautaires ont fait, au moins 1026 morts sur les 1814 victimes de 2018 ».
Les populations civiles visées
Selon Tiébilé Dramé, sur les 1026 personnes tuées au centre, au moins 697 sont des civils visés du fait de leur appartenance ethnique. Dans plusieurs localités du Seeno, du Seenomango, du delta, dans les secteurs de Ké-Macina et Niono, c’est la tragédie : assassinats ciblés, exécutions extrajudiciaires, expéditions punitives, embuscades et poses d’engins explosifs improvisés. « Avant la tragédie du village martyr de Koulongo-Bankass (au moins 37 morts le 1er janvier), plusieurs autres localités avaient connu des tueries à grande échelle : la mare de Nawal Noumou (entre Nouh Bozo et Diawou) en avril, Goumba, fin mai, Gueréou- Peulhs (Koporo- Pen), Nantaka/Kobada en juin, Tagari/Gama en juin, Koumaga en juillet, Gassel (Mondoro), Dorobougou, Soumeina (Djenné) en juillet, Mamba (Diafarabé) en décembre. Plusieurs habitants de la région ont signalé la violence des affrontements entre djihadistes et donsos, le 22 avril 2018, sur les rives de la mare de Nawal Noumou, à la jonction des villages de Nouh Bozo (Djenné) Diawou (Tenenkou) et Toye (Ké-Macina). Le chiffre d’au moins 77 morts est évoqué par les riverains de Nawal Noumou. L’explosion de violence au centre est vécue au quotidien dans les villages et communes de la région. A titre d’exemple : dans la seule commune de Diafarabé (Tenenkou), il a été identifié 48 habitants tués au cours de 2018 », regrette-t-il.
Recommandation du Parena
Pour le président du parti du bélier blanc, Tiébilé Dramé, le régime devrait, entre autres : se démarquer en paroles et dans les faits de tous les groupes armés irréguliers et illégaux ; mettre en place, de toute urgence, une commission indépendante d’enquêtes pour faire la lumière sur les graves violations des droits humains perpétrés au Centre ; rechercher et punir tous les auteurs et complices des crimes abominables commis au Centre ; enquêter sur l’origine des armes de guerre et leur circulation dans les régions de Ségou et Mopti ; mettre fin au délit de faciès… « Dans le contexte difficile des opérations de contre- insurrection et de guerre asymétrique, les FAMAS doivent rassurer toutes les composantes de la communauté nationale. Pour ce faire, elles doivent être à équidistance des communautés et leur assurer une égale protection », indiquait M. Dramé.
Mohamed Sylla
Source: L’ Aube