L’attaque dans le village dogon de Sobane-Kou (Sobanou en dogon) qui a fait au moins 95 morts intervient plus de deux mois après le massacre le 23 mars 2019 de 160 Peuls dans le village d’Ogossagou, attribué à des chasseurs dogons.
La région de Mopti, dans le centre du pays, est la plus touchée par ces vagues de violences. Pourquoi ? Le doctorant en anthropologie à l’université de Turin, Ibrahima Poudiougou, répond aux questions de TV5MONDE. Ce chercheur écrit une thèse sur le conflit lié à l’accès aux terres au pays dogon, dans le centre du Mali, depuis 2016. Il a également écrit l’État de distorsion en Afrique de l’Ouest, des empires à la nation(éditions Karthala, mars 2019) avec Jean-François Bayart et Giovanni Zanoletti.
TV5MONDE : Vous êtes originaire du centre du Mali. Avez-vous pu contacter des personnes qui vivent près de Sobane-Kou, après la tuerie qui a eu lieu dans le village ?
Ibrahima Poudiougou : J’ai pu contacter des membres de ma famille qui vivent à une quarantaine de kilomètres du village de Sobane-Kou. Ils craignaient des représailles après le massacre d’Ogossagou. Mais comme cet évènement s’est produit il y a deux mois, la vie avait repris son cours presque normal. Presque, car cette situation d’insécurité inquiète la population, notamment en ce qui concerne ses cultures et ses animaux. À chaque fois qu’un groupe armé attaque un village, il emmène avec lui une partie du bétail, et détruit les récoltes.
TV5MONDE : Quelles peuvent être les causes du massacre du village de Sobane-Kou?
Le conflit dans le centre du pays comporte une dimension ethnique. Après le massacre d’Ogossagou du 23 mars dernier, on peut penser à une “vengeance” des Peuls sur les Dogons.
Dans le centre du Mali, on dénombre actuellement 17 milices peules, une milice dogon (Dan Nan Ambassagou), ainsi que d’autres groupes d’autodéfense. Certes, les différentes tueries ont pu exacerber une “haine” entre différentes ethnies. Cependant, l’origine communautaire du conflit ne permet pas de saisir le problème dans toute sa complexité.
Une kalachnikov se vend dans cette région du Mali entre 350 000 et 400 000 francs CFA (entre 530 et 610 euros). Une économie du conflit a vu le jour.
Ibrahima Poudiougou, universitaire
L’arrivée de groupes djihadistes dans le centre du Mali a exacerbé les violences entre différentes ethnies. Par exemple, après le massacre d’Ogossagou, la Katiba Macina, un sous-groupe d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), a déclaré dans un communiqué qu’il fallait répondre à cet acte.
La présence de groupes djihadistes dans la région favorise aussi l’accès aux armes. Une kalachnikov se vend dans cette région du Mali entre 350 000 et 400 000 francs CFA (entre 530 et 610 euros). Une économie du conflit a vu le jour : désormais, après avoir attaqué un village et volé une partie de son bétail, certains vendent deux vaches volées, pour s’acheter une arme. Le djihadisme et la question agraire expliquent en partie ces violences.
TV5MONDE : Dans le centre du Mali, certains groupes djihadistes ont-ils recruté des combattants parmi la population locale ?
Oui, et les propositions de salaires ont pu pousser certaines personnes à rejoindre ces troupes. Certains groupes comme le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ont proposé des salaires de 650 euros par mois. C’est ce que gagne un fonctionnaire malien de catégorie A.
TV5MONDE : L’accès à la terre est-il aussi un facteur de tensions dans la région ?
Oui, la question agricole est l’une des clefs pour comprendre le conflit. Après la sécheresse des années 1970 et 1980, le cheptel des Peuls a été en partie décimé.
En raison de l’avancée du désert, la terre est par ailleurs de moins en moins fertile. La région de Sangha est devenue une zone sableuse.
TV5MONDE : Quelles seraient les solutions pour éradiquer les tensions dans le centre du Mali ? L’arrivée des forces de l’opération Barkhane, menée par l’armée française au Sahel, contribuerait-elle à réduire ces violences ?
Barkhane, présente dans la ville de Ménaka, n’a pas non plus empêché les Peuls et les Touaregs de s’entretuer.
La solution passe par une plus grande volonté du gouvernement malien, et par un renforcement des missions de l’ONU.
Chronologie des tueries dans le centre du Mali
10 juin 2019 : au moins 95 morts dans le village dogon de Sobane-Kou
23 mars 2019 : 160 morts dans le village peul d’Ogassougou
Juin 2018 : au moins 32 morts dans le village peul de Koumaga
Juin 2018 : découverte d’un charnier dans la région de Mopti, 25 cadavres peuls dans trois fosses communes
TV5