L’autorité confessionnelle de la Grande Mosquée de Bamako n’a pas fait irruption dans la procédure judiciaire ouverte dans le cadre l’assassinat de l’imam Abdoul Aziz Yattabaré de Missira. Elle en paraît toutefois profondément affectée, au point de rompre exceptionnellement le silence sur les dérives médiatiques consécutives au drame.
À l’issue de la traditionnelle prière de vendredi, la semaine dernière, le meurtre odieux et dramatique du célèbre imam de Missira n’est pas passé sous silence à la Grande Mosquée de Bamako. Un porte-voix du plus grand centre de culte musulman est monté au créneau et pour évoquer la tragique sous forme sensibilisation des fidèles sur les dérives malsaines auxquelles le drame donne lieu depuis sa survenue il y a une dizaine de jours. Prêchant les bonnes pratiques éthiques en faveur de la grande victime, le porte-parole de la Grande Mosquée a insisté notamment sur la retenue morale devant caractériser les croyants face à un tel drame.
Tout fidèle qui humilie ou qui participe à l’humiliation de son prochain n’en sera jamais épargné à son tour, a-t-il glissé parmi la série de messages qui conclut la grande communion hebdomadaire des musulmans de la capitale malienne. Allusion est ainsi faite à la curiosité populaire qu’à suscitée le film de l’événement dramatique que les usagers des réseaux se transmettent d’un téléphone à un autre.
On y aperçoit en effet le corps nu et inanimé de l’imam baignant dans le sang avec les plaies béantes provoquées par les coups de couteau froidement assénés par son bourreau. A en juger par le décor, l’image provient vraisemblablement du lit des services d’urgence de l’hôpital où il n’a pu survivre à ses blessures. Et, en s’interrogeant sur ceux qui auraient intérêt a sa vulgarisation, on aura franchi sans doute un pas déterminant vers la manifestation de la vérité sur l’origine et le mobile de l’assassinat. Mais là n’était pas le centre d’intérêt de l’autorité religieuse, qui aura surtout mis l’accent sur l’indécence et la cruauté qui consistent à violer l’intimité d’un défunt chef de famille en l’exposant nu au mépris de la douleur que pourrait en ressentir ses proches parents. Et d’inviter les fidèles détenteurs de l’élément visuel à s’en débarrasser tout simplement, d’éviter de le conserver dans leur téléphone et de ne pas servir de vecteur de sa propagation. L’appel a été reçu 5 sur 5 car tous ont aussitôt pris conscience de la gravité d’une pratique qui se banalisait peu à peu et s’installait dans nos mœurs comme un geste normal et ordinaire : la diffusion en temps réel, sans retenue et sans restriction, de chaque image macabre. La technologie moderne et les réseaux sociaux aidant, les usagers de téléphonie mobile sont devenus chacun des potentiels journalistes du sensationnel et s’autorisent impunément les irruptions les plus impudiques dans la vie privée de leurs prochains. La désacralisation n’a pas débuté avec l’assassinat odieux d’Abdoul Aziz Yattabaré. Moult personnalités et familles de défunt font constamment les frais du phénomène, dans des conditions et proportions similaires, sans mériter une attention de quelques autorités morales. Autant dire que ces derniers s’inscrivent dans une motivation corporatiste en singularisant l’épisode parce qu’un imam est en cause. A moins que son cas serve de déclic pour que les autorités religieuses assurent pleinement une mission de dépositaire de la morale publique qu’elles relèguent souvent au second plan au profit de considérations accessoires parfois.
A KEÏTA
Le Témoin