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Arabie saoudite : Les femmes sous l’emprise de la tutelle masculine

Ce système affecte leur liberté de déplacement, leur accès au marché du travail, leur santé et leur sécurité

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(Beyrouth) – En dépit de réformes limitées lancées par l’Arabie saoudite au cours de la dernière décennie, le système de tutelle masculine en vigueur dans ce pays du Golfe reste l’obstacle le plus considérable à la réalisation des droits de ses citoyennes, a conclu Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les femmes adultes doivent en effet obtenir la permission d’un tuteur masculin pour pouvoir se rendre à l’étranger, se marier ou être libérée de prison. Le consentement préalable de leur tuteur peut être nécessaire pour travailler ou bénéficier de soins de santé. Ces restrictions s’appliquent de la naissance jusqu’à la mort, puisque les femmes sont considérées par l’État saoudien comme des mineures à vie.

Le rapport de 79 pages, intitulé « Boxed In: Women and Saudi Arabia’s Male Guardianship System » (« Prises a pièges : Les femmes sous tutelle masculine en Arabie saoudite »), passe en revue l’ensemble des barrières, formelles et informelles, qui empêchent les Saoudiennes de prendre des décisions ou des mesures en l’absence d’un homme de leur famille ou sans leur consentement. Comme l’a expliqué à Human Rights Watch une jeune femme de 25 ans :« Nous devons toutes vivre dans les cases que nos pères ou maris ont confectionnées pour nous ». Dans certains cas, les hommes abusent de leur tutelle pour extorquer des sommes d’argent considérables aux femmes qui dépendent d’eux.

« Que les Saoudiennes soient encore contraintes de demander la permission d’un tuteur masculin pour voyager, travailler ou quoi que ce soit d’autre constitue une violation de longue date des droits de celles-ci et un obstacle aux objectifs d’amélioration de l’économie que vise le gouvernement », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord. « Les autorités saoudiennes gagneraient à enfin écouter les demandes de la moitié de sa population d’être libérée du carcan que leur impose le système de tutelle ».

Human Rights Watch a interrogé 61 femmes et hommes saoudiens pour ce rapport et analysé les lois, politiques et documents officiels de la monarchie.

Chaque Saoudienne doit avoir un tuteur de sexe masculin, généralement un père ou un mari, mais dans certains cas un frère, voire un fils, qui a le pouvoir de prendre une série de décisions cruciales en son nom.

« Croyez-le ou non, mon fils est mon tuteur, ce qui est vraiment humiliant…Mon propre fils, celui à qui j’ai donné naissance, celui que j’ai élevé, c’est lui mon tuteur », a déploré une femme de 62 ans. D’autres parents de sexe masculin peuvent avoir une femme sous leur tutelle, encore qu’il s’agisse de cas moins fréquents.

Les défenseurs des droits des femmes en Arabie saoudite ont appelé à plusieurs reprises le gouvernement à abolir le système de tutelle masculine. En 2009, et de nouveau en 2013, l’Arabie saoudite a donné son accord, au terme de son Examen périodique universel par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Depuis ces promesses, l’Arabie saoudite a pris des mesures en vue de réduire le contrôle exercé par les tuteurs sur les femmes, notamment en mettant fin à la demande d’autorisation de travailler et en promulguant une loi pénalisant les violences domestiques. Et en 2013, le roi Abdallah a nommé 30 femmes au Conseil de la Choura, son organe consultatif le plus important, tandis qu’en 2015, les Saoudiennes ont pu exercer leur droit de vote et se présenter, pour la première fois, comme candidates aux élections municipales.

En dépit de ces mesures limitées, le système de tutelle masculine reste largement en vigueur, ce qui entrave voire, dans certains cas, paralyse les réformes engagées, a constaté Human Rights Watch.

Les Saoudiennes ne peuvent obtenir de passeport ni voyager à l’étranger sans l’approbation de leur tuteur. En l’absence d’un parent masculin, elles se heurtent régulièrement à des difficultés lorsqu’il s’agit d’effectuer des transactions, de louer un appartement ou de porter plainte. L’accord préalable du tuteur n’est pas nécessaire pour qu’elles puissent travailler, mais les employeurs qui en font la demande ne sont pas pénalisés. Sans l’approbation de leur tuteur, les femmes ne peuvent étudier à l’étranger grâce à une bourse du gouvernement, et un parent de sexe masculin doit les accompagner à l’étranger dans leur cadre de leurs études, bien que cette exigence ne soit pas toujours respectée. Les Saoudiennes ne sont pas autorisées à conduire de véhicules.

Elles font face à d’énormes obstacles lorsqu’elles cherchent de l’aide ou à fuir les abus de tuteurs violents, a constaté Human Rights Watch. Par exemple, un mari continue d’exercer la tutelle pendant une procédure de divorce. La discrimination est profondément ancrée dans le système juridique et les tribunaux considèrent comme recevables les plaintes déposées par des tuteurs à l’encontre de femmes pour faire respecter leur autorité.

Les Saoudiennes ayant fui les violences dans des centres d’accueil peuvent avoir besoin du consentement d’un parent de sexe masculin pour en partir et c’est une obligation pour leur remise en liberté lorsqu’elles se trouvent en prison. « Les [autorités] gardent une femme incarcérée jusqu’à ce que leur tuteur légal vienne la récupérer, même si c’est lui qui l’a fait mettre en prison », a expliqué la militante des droits des femmes. Si un tuteur s’oppose à la libération d’une femme, les autorités peuvent la transférer dans un centre administré par l’État ou la contraindre à un mariage arrangé. Son nouveau mari devient alors son nouveau tuteur.

Human Rights Watch s’est entretenu avec des femmes pour lesquelles la seule option véritablement sûre consiste à quitter le pays après avoir été victimes d’abus et de maltraitances par des hommes de leur famille. Mais elles n’ont pas été en mesure de convaincre leurs tuteurs, dans certains cas que leurs propres agresseurs, de leur permettre de voyager.

Le système de tutelle s’appuie sur une interprétation extrêmement restrictive d’un verset coranique ambigu, contestée par des dizaines de Saoudiennes, parmi lesquelles des universitaires et des militantes féministes islamiques, avec qui Human Rights Watch s’est entretenu. Un ancien juge saoudien a déclaré que l’imposition de la tutelle dans le pays n’est pas requise par la charia ou loi islamique.

L’Arabie saoudite, devenue en 2000 État partie à la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), est juridiquement contrainte de mettre fin à la discrimination contre les femmes dans les meilleurs délais, notamment en abolissant le système de tutelle masculine.

En avril 2016, l’Arabie saoudite a présenté sa Vision 2030, ou « vision pour l’avenir », dans laquelle il est déclaré que le gouvernement « continuera à développer les talents [des femmes], à investir dans leurs capacités productives et à leur permettre de contribuer au développement de notre société et de notre économie ».

En maintenant le système de tutelle masculine, l’Arabie saoudite sape les droits les plus fondamentaux des femmes et leur capacité à réaliser leur propre vision d’avenir, selon Human Rights Watch. L’ONG a consulté des militantes saoudiennes en vue d’élaborer des recommandations spécifiques pour que des mesures soient immédiatement prises par le gouvernement, avec pour objectif que la vie des femmes s’améliore de manière significative.

« Depuis des décennies, on répète aux Saoudiennes que la réalisation de leurs droits n’est rien d’autre qu’une affaire du temps », a déclaré Sarah Leah Whitson. « Elles ne devraient pas avoir à patienter plus longtemps d’être traités à part égale avec le reste de la société saoudienne ».

Citations extraites du rapport

Les noms de toutes les personnes interrogées ont été changés enfin de protéger leur vie privée et leur sécurité. La législation saoudienne en matière de terrorisme pénalise toute action ou déclaration nuisant à la réputation nationale et le gouvernement a fait incarcérer des militantes des droits de l’homme ayant partagé des informations avec des organisations étrangères.

« Nous sommes chargées d’élever la future génération, mais vous ne pouvez pas nous faire confiance. Cela n’a aucun sens ».

– « Rania », âgée de 34 ans

« Cette situation peut fragiliser psychologiquement et atteindre votre amour-propre. Comment pouvez-vous vous respecter ou comment votre famille peut-elle vous respecter, s’il est votre tuteur légal? »

– « Hayat », âgée de 44 ans

« Le système de tutelle continue d’être un cauchemar. Je ne veux pas me marier parce que je ne veux pas qu’un étranger me contrôle… Au fond, c’est de l’esclavage ».

– « Tala », âgée d’une vingtaine d’années

« Je préférerais que vous me tuiez plutôt que de laisser l’homme qui abuse de moi prendre le contrôle de mon existence ».

– « Zahra », âgée de 25 ans

« Vous n’avez aucun contrôle sur votre propre corps… Chaque étape de votre vie devient source de nervosité. Tous les efforts et le temps que vous avez investis pourraient disparaître en une seconde si votre tuteur le décide ».

– « Reema », âgée de 36 ans

« Il est étonnant de voir ce que nous avons réussi à obtenir en dépit des restrictions qui nous imposées… Maintenant que davantage de femmes travaillent, je pense qu’il y aura d’autres changements. C’est inévitable ».

– « Khadîdja », âgée de 42 ans

Que les Saoudiennes soient encore contraintes de demander la permission d’un tuteur masculin pour voyager, travailler ou quoi que ce soit d’autre constitue une violation de longue date des droits de celles-ci et un obstacle aux objectifs d’amélioration de l’économie que vise le gouvernement. Les autorités saoudiennes gagneraient à enfin écouter les demandes de la moitié de sa population d’être libérée du carcan que leur impose le système de tutelle.

Source : autre presse

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