À l’instar des autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mali a engagé, depuis 2016, le processus d’élaboration d’une nouvelle carte d’identité biométrique couplée.
Premier à avoir engagé la réflexion et la réforme, notre pays vient de geler le processus d’élaboration de cette nouvelle carte d’identité sécurisée. Des réelles difficultés d’adéquation des normes légales, à une forcenée campagne contre le Chef du gouvernement en passant par la nécessaire synergie entre les départements ministériels, nous tentons de vous donner les vraies raisons du gel de ce processus.
Pour trouver l’origine de la carte d’identité nationale biométrique sécurisée ou carte d’identité biométrique, il faut remonter à la mi-décembre 2014.
Les Chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont tenu la quarante-sixième Session Ordinaire de leur Conférence le 15 décembre 2014 à Abuja, République Fédérale du Nigeria, sous la Présidence de M. John Dramani Mahama, Président de la République du Ghana, Président en Exercice de la Conférence.
La Conférence des chefs d’État a exhorté tous les États membres à respecter intégralement le schéma de libéralisation des échanges de la CEDEAO.
En renouvelant son engagement pour la libre circulation des personnes et des biens, la conférence des chefs d’État les a invité également à continuer à veiller à l’application des protocoles élaborés en la matière. Elle demande à la Commission de prendre rapidement les mesures, qui relèvent d’elle, pour rendre effective la mise en service de la carte nationale d’identité biométrique de la CEDEAO.
La carte nationale d’identité biométrique
Selon l’article 3 et 4 du Décret N° 2016-0253 du 29 avril 2016, « la Carte nationale d’identité Sécurisée CEDEAO est une carte d’identité biométrique hautement sécurisée, conforme aux spécifications techniques de la carte biométrique CEDEAO.
La Carte nationale d’identité Sécurisée CEDEAO comprend tous les éléments de sécurité fiduciaire, obligatoires et optionnels de la carte biométrique CEDEAO.
Les éléments de sécurité fiduciaire sont ceux figurant dans le guide pratique de la Carte d’identité biométrique CEDEAO et intégrés au spécimen adopté par la CEDEAO.
La Carte d’identité nationale Sécurisée CEDEAO est composée par une carte plastique en polycarbonate comprenant tous les dispositifs de sécurité destinés à limiter les risques de falsification ou de contrefaçon.
Elle intègre une partie électronique répondant aux normes internationales et régionales de la CEDEAO pouvant faire évoluer la carte vers des nouveaux services.
La Carte nationale d’identité Sécurisée CEDEAO malienne comporte un composant électronique sécurisé affichant l’armoirie de la République du Mali et contenant les données suivantes ci-après :
-le Numéro d’identification Nationale (NINA) ;
-le nom de famille, le ou les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance du détenteur ;
-le nom dont l’usage est autorisé par la loi, si l’intéressé en a fait la demande ;
-son domicile ;
-sa taille et la couleur de ses yeux ;
-ses empreintes digitales ;
-sa photographie.
Pour les mineurs, la formalité des empreintes digitales n’est obligatoire qu’à l’âge de huit ans ».
Bref, la carte nationale d’identité biométrique est un document administratif identifiant un ressortissant de la communauté à travers ses données biométriques. Il s’agit d’un instrument d’intégration qui forge désormais une identité communautaire. Il donne la preuve que les populations de notre communauté ont une identité CEDEAO et que rien ne devrait les diviser, même pas les frontières.
C’est pour matérialiser cette volonté d’intégration et ce sentiment d’appartenance à une identité communautaire que la Cedeao a définie une carte d’identité biométrique répondant aux normes internationales (ICAO compliant) et aux cas d’usage spécifiques de la région.
La carte, munie d’une puce sécurisée, donne les informations ou données biométriques sur le propriétaire de la carte : nom, prénom, sexe, date de naissance, lieu de naissance, adresse, taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photo faciale.
Le Couplage
Notre pays a été l’un des premiers États à avoir entamé la réflexion pour la concrétisation de cette volonté commune d’intégration.
Le 29 avril 2016, le président de la République, Monsieur Ibrahim Boubacar Keïta, prenait un décret portant institution et réglementation de la Carte d’identité nationale sécurisée CÉDÉAO couplée à l’Assurance maladie (Décret N° 2016-0253/P-RM du 29 avril 2016).
L’article 11 du décret charge le ministre de la Sécurité et de la protection civile de la fabrication ainsi que de la gestion informatisée de la carte qui doit non seulement « permettre au titulaire de la carte de justifier de son identité dans les cas et conditions définis par les textes en vigueur », mais aussi de « faciliter pour les services autorisés des ministères en charge de la Sécurité, de la Justice, de la Défense et des Renseignements, l’exercice de leurs missions de recherches et de contrôle de l’identité des personnes ».
En plus de cette fonction d’identification, l’article 17 du décret N° 2016-0253/P-RPM du 29 avril 2016 assigne aussi à la carte d’identité biométrique une fonction de carte d’assurance sociale pour son titulaire : « la Carte nationale d’identité Sécurisée CEDEAO comporte à son verso la mention de l’Assurance Maladie ainsi qu’un composant électronique intégrant les fonctionnalités de l’Assurance Maladie Obligatoire. À ce titre, elle remplit les fonctions de la carte d’assuré social ».
L’option pour le couplage de la carte d’identité nationale biométrique avec l’Assurance maladie est un choix souverain salué par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont les experts sont venus, du 7 au 9 novembre 2016, s’inspirer de l’exemple malien.
Le processus d’élaboration
Par courrier N°0629-MSPC-DFM du 05 Mai 2016, la Direction des finances et du matériel (DFM) du ministère de la Sécurité et de la protection civile sollicite l’accord de la Direction générale des marchés publics (DGMP-DSP) pour la passation par entente directe du marché relatif à la fabrication et fourniture de la carte d’identité sécurisée avec la société Cissé Technologie.
Arguments avancés : la société dispose d’une part d’un accord d’exclusivité au Mali pour la fourniture de titres d’identité, de la société imprimerie nationale de France et d’autre part d’un accord d’exclusivité de la société CEGEDIM.
La Direction générale des marchés publics oppose, le 16 Mai 2016, un refus catégorique au marché gré à gré sollicité par la Direction des finances et du matériel (DFM) du ministère de la Sécurité et de la protection civile (courrier N0140/MEF-DGMP-DSP) et l’instruit d’organiser un appel d’offres ouvert en vue de la fabrication et de la fourniture de la carte d’identité sécurisée.
Contraint de respecter les procédures en matière de passation de marchés publics, la Direction des finances et du matériel (DFM) du ministère de la Sécurité et de la protection civile, par courrier N0263/MSPC-DFM du 14 juin 2016 transmet à la DGMP un projet d’appel d’offres à la DGMP pour avis juridique.
Le Ministère de la Sécurité et de la Protection civile, pour ce faire, par avis d’Appel d’offres (AAO N° 018/MSPC-DFM-2016) a sollicité des offres fermées de la part de candidats éligibles et répondant aux qualifications requises pour la fourniture de cartes nationales d’identité biométriques sécurisées CEDEAO couplées à l’Assurance Maladie Personnalisées et l’exploitation de services associés. Délai de soumission : jeudi 21 juillet 2016 à 10 h 10 à la Direction des Finances et du Matériel du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, sis Hamdallaye ACI 2000.
À la séance d’ouverture de plis qui a eu lieu le 21 juillet 2016, 4 dossiers ont été vendus et 3 sociétés ont déposé des plis. C’est à l’issue de cet appel que le ministère de la Sécurité a proposé Cissé technologie comme attributaire provisoire du marché. Alors que Cissé Technologie a proposé la carte à 13 000 FCFA, contre 2 269 et 9438 FCFA pour ses concurrents.
L’État est une continuité certes. Mais il apparaît clairement que tout le processus a été mené alors que Abdoulaye Idrissa Maiga n’était ni Premier ministre ni concerné en quoi que ce que soit par cette affaire. Aussi, si Cissé Technologie a remporté le marché aux termes du dépouillement (21 juillet 2016), c’est arrivé avant la nomination de l’actuel Premier ministre. Donc, lui et son entourage n’ont pu œuvrer a posteriori dans une procédure achevée bien avant. On ne saurait, sans objectivité sacrifiée, vouloir tremper l’actuel Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga dans cette affaire. En tout cas, c’est tenter de salir sa réputation assise d’intégrité et de rigueur. Une cabale d’adversaire ou d’envieux qu’il faut certainement mettre dans le contexte électrique de rumeur de remaniement. Parce qu’à l’œuvre, la confirmation de sa réputation, sa notoriété grandissante et les excellents ratios à son compteur, en si peu de temps, ne peuvent faire le bonheur de certains. Mais des Maliens si.
La Controverse et la polémique
Pour un marché d’un montant de plus de 13 milliards, l’accord du Conseil des ministres est indispensable. Or, en aucun moment, le Conseil n’a été saisi encore moins attribué le marché express à Cissé Technologie.
Sans aucune adjudication, l’entrepreneur Cissé technologie, sur fond de vaste campagne médiatique (dans la presse nationale et internationale), informe avoir remporté le marché, annonce le recrutement du personnel (ingénieurs, opérateurs de saisie, chargés d’enrôlement, superviseurs…) en vue de la délivrance des cartes d’identité nationales biométriques sécurisées CEDEAO couplée à l’assurance maladie.
Le lundi 11 septembre 2017, la société Cissé Technologie organise une Conférence de presse à son siège à Faladjè pour se déclarer adjudicataire à la suite d’une proposition qu’elle a acceptée du ministère de la Sécurité et de la protection civile relative au marché de la carte d’identité sécurisée (CNIS) couplée à l’Assurance Maladie.
La décision d’annulation
Le gouvernement s’appuie sur trois raisons pour motiver sa décision d’annuler l’appel d’offres en vue de l’établissement de la carte biométrique couplée à l’Assurance maladie.
1. Outre que le couplage de la carte biométrique avec la carte AMO fait intervenir trois départements (Sécurité et protection civile, Solidarité et Action Humanitaire et Finances), il pose au gouvernement un réel problème. Pour la simple raison que les deux documents ne sont pas régis par les mêmes normes juridiques : l’une relevant d’un décret et l’autre d’une loi. Si tous les Maliens se doivent d’avoir une Carte d’identité nationale, force est de reconnaître que tous nos concitoyens ne sont pas affiliés à l’Assurance maladie Obligatoire et ne sont pas astreints d’y adhérer. Les contraints à y adhérer par le biais du couplage pour apparaître comme une violation de la loi. Ce, d’autant qu’il n’y a aucun texte qui autorise ce couplage qui est prévu que par un arrêté ministériel dont la conformité est fortement discutée. Sans compter le coût assez élevé de la nouvelle carte biométrique proposé par rapport à l’ancienne et au pouvoir d’achat des Maliens.
2. La seconde difficulté qui se pose au gouvernement relativement à ce marché est la prise en compte de la loi N° 2017-0022 du 02 juin 2017 déterminant les conditions générales d’exonération ; toutes choses qui conditionnent la légalité du marché et donc de l’appel d’offres.
3. Pour surmonter ces réelles difficultés d’ordre légal, il est apparu nécessaire au gouvernement d’harmoniser les normes juridiques, à travers l’initiation d’une loi qui prendra en charge le couplage.
C’est dans ce cadre que le gouvernement a décidé d’annuler purement et simplement le processus d’appel d’offres relatif la confection de la carte d’identité nationale biométrique couple avec la carte AMO.
Par Sékou CAMARA
Source: info-matin