Aminata Dramane Traoré, ancien ministre de la culture du Mali et leader du Mouvement altermondialiste, n’a pu participer cette année au Forum social mondial, qui s’est tenu à Montréal. San raison valable, le Canada lui a refusé le visa. Outré, choqué et humilié par le comportement de son pays, Jean-Louis Roy, Écrivain et diplomate, lui a adressé une lettre de soutien dans laquelle, il a exigé que son pays présente une excuse publique à Aminata Dramane Traoré. En guise de réponse à la lettre du diplomate Jean-Louis Roy, Aminata Dramane Traoré a clairement indiqué : « Non ! Je n’ai pas l’intention d’émigrer au Canada ni ailleurs ». Et, mieux, elle pense qu’elle a « peut-être eu tort de déclarer que le FSM de Montréal allait être l’un des temps forts du plaidoyer pour l’ONU des peuples que j’ai entrepris en annonçant ma candidature symbolique au poste de secrétaire général des Nations-Unies ». Lisez la lettre de Aminata Dramane Traoré à son ami Jean-Louis Roy.

Mon cher Jean Louis,

J’aurais bien aimé te revoir et m’entretenir avec toi de ces questions brulantes qui, par le passé, nous avaient réunis au Canada et ailleurs.

Ton soutien me réconforte. Comment faire admettre aux « démocraties occidentales » le droit des « autres » de nommer les choses ? Que disons-nous, les participants africains, latino-américains, asiatiques qui se sont vus refuser le visa d’entrée au Canada de différent, de ce que de vous, Occidentaux,êtes nombreux à dire de l’ordre actuel du monde ? Nous déplorons les mêmes injustices, les mêmes ravages.

L’insuffisance de nos ressources financières comme entrave à la délivrance de nos visas n’est pas convaincante.

Non ! Je n’ai pas l’intention d’émigrer au Canada ni ailleurs. J’ai des amitiés solides dans ton pays, dont la tienne, celle de Jean Paul l’Allier et des militants comme Pierre Beaudet qui aura tout fait pour que je sois à ce FSM.

La quête pressante de direction des jeunes à l’endroit des femmes me retient ici et m’empêche de dormir, cher Jean Louis. Ecoute donc cette voix :« …..femmes qui nous donnent la vie ! Nous entendez-vous ? Si oui, levez-vous et dites-nous quelle direction empruntée car nous ne savons plus. Dans un monde d’abondance, et de gaspillage, il n’y a apparemment rien pour nous, ni travail, ni revenu, ni toit, pas même la moindre place debout ! »(Afrique humiliée- Editions Fayard 2007).

Mais quelle direction imprimer à cette quête quand l’ignorance des causes structurelles des périls demeure notre lot à tous, hommes et femmes ? Je plaide, comme tu le sais, pour l’égalité des nations, des Etats, des peuples et fais, entièrement confiance, aux femmes africaines pour se défendre contre les violences liées ou non au genre, protéger et accompagner leurs enfants, le jour où elles seront outillées intellectuellement et organisées en connaissance de causes. Pour l’heure les enjeux économiques et géopolitiques sont soigneusement cachés à la plupart d’entre nous.

J’ai peut-être eu tort de déclarer que le FSM de Montréal allait être l’un des temps forts du plaidoyer pour l’ONU des peuples que j’ai entrepris en annonçant ma candidature symbolique au poste de secrétaire général des Nations-Unies.

Comment ne pas saisir cette perche pour aller plus loin dans la dénonciation de solutions toutes faites ? Jamais l’ONU n’a déployé autant de casques bleus de par le monde. Plus de 60% de ces soldats sont en Afrique où la paix est d’emblée hypothéquée par le développement extraverti, compromise par le jeu des intérêts étrangers. Les agressions dont certains d’entre eux se rendaient coupables à l’endroit des femmes et des mineur(e)s qu’ils ont pour mission de protéger.

Les agressions sexuelles perpétrées par les casques bleus ou par les troupes étrangères ont lieu dans des pays dont les richesses (or, coltan, diamant, uranium et pétrole), seraient largement suffisantes pour nourrir leurs habitants si elles n’étaient pas pillées dans le cadre d’un modèle de développement économique extraverti, destructeur du lien social et des écosystèmes mais présenté comme incontournable.

Jamais depuis la fondation de l’Organisation en 1945 autant d’êtres humains n’ont été contraints de fuir leur domicile. Ils sont au nombre de 65 millions. Les durcissements des lois migratoires pendant que les politiques néolibérales qui appauvrissent et affament vont bon train, auront poussé bien des jeunes à se radicaliser et à rejoindre les rangs d’AQMI, de Boko Haram et de DAESH ;

« Plus jamais ça » ont déclaré les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, en 1945, en créant l’Organisation des Nations-Unies (ONU). Il n’y a, visiblement, pas de guerre ouverte, face à face entre les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité qui, en plus, du droit de veto, ont l’arme nucléaire. Mais c’est « toujours ça » en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine pour le contrôle des ressources naturelles. Comble de l’injustice, ce sont précisément des participants de ces régions au FSM 2016 qui se sont vus refuser le visa d’entrée au Canada.

Sous prétexte qu’un Etat failli et une armée incompétente constituent une menace pour la sécurité de l’Europe et du monde », la France est revenue avec armes et bagages au Mali en entrainant dans son sillage les institutions africaines (CEDEAO, UA), l’Union Européenne et l’ONU. Mon tort est de rappeler que nos Etats ont été mis en faillite dans le cadre du consensus de Washington et que nos armées fomentées d’ailleurs par ces mêmes puissances occidentales, ont souvent été laissées à l’abandon, démantelées sous prétexte qu’elles ne sont bonnes qu’à perpétrer des coups d’Etat.

Cerise sur le gâteau mon cher Jean Louis, en cet instant précis où je réponds à ta lettre, mon passeport ne m’a toujours pas été remis ! Cela ne relève-t-il pas le moins, de sa confiscation pendant la durée du FSM ?

Je n’en demeure pas moins une amie du peuple canadien, la tienne, celle de Jean Paul l’Allier, de Pierre Beaudet et d’autres combattant(e)s pour un monde juste, sûr et ouvert à tous.

A très bientôt à Bamako où nous serons ravis de vous accueillir.

Aminata Dramane Traoré

Source : Maliactu.info