La région du Sahel connait depuis un certain temps des bouleversements politiques et géopolitiques. Le dernier en date est la signature à Bamako de la Charte du Liptako-Gourma instituant Alliance des Etats du Sahel (AES) le 16 septembre 2023. L’Alliance comprend : le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Les raisons endogènes
Au cours de ces dix dernières années, le Sahel a connu un nombre pléthore d’attaques terroristes. Sont particulièrement touchés par ce fléau les Etats cités plus haut. En effet, le nombre total des victimes civiles et militaires, des blessés ; des déplacés internes se compte par milliers.
Et la zone du Liptako-Gourma, aussi appelée la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) semble être l’épicentre de l’hydre terroriste. Partageant les mêmes problèmes, il va de soi que ces Etats cherchent des solutions communes. Face à un ennemi qui n’a pas de visage (le terrorisme), il urge de conjuguer les efforts des Forces armées et de sécurité pour mener cette guerre asymétrique.
Sur le plan politique, les Etats composant AES ont connu tous des coups d’Etat militaires ces trois dernières années et traversent des périodes de transition. Cette situation favorise donc des alliances, peut-être des alliances de circonstances mais des alliances tout de même.
Les raisons exogènes
Nous venons d’évoquer plus haut le Mali, le Burkina et Niger sont dirigés par des militaires suite aux différents putschs. Et pour corollaire, les gouvernements de ces Etats font face à des pressions de la Cédéao. En effet, cette organisation régionale adopte une position particulièrement offensive face aux coups d’Etats.
Cela se traduit par des sanctions économiques à travers la fermeture des frontières, voire une menace d’intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel comme c’est le cas au Niger. Face à ce rapport de forces géopolitiques, l’Alliance des Etats du Sahel se veut un pôle de souveraineté. En clair, il s’agira de se défendre mutuellement y compris en recourant à la force armée.
Un G5-Sahel bis ?
La Charte du Liptako-Gourma créant l’AES précède le G5-Sahel créé neuf ans plutôt. Comme l’AES, le G5-Sahel a également pour objectif de lutter contre le terrorisme. Mais il y a tout de même des différences notables. D’abord sur le plan arithmétique, le G5 est composé de cinq Etats alors que l’AES en compte trois, la Mauritanie et le Tchad n’en faisant pas partie.
En outre, lorsqu’on s’intéresse à la Charte du Liptako-Gourma (AES) et la convention portant création du G5-Sahel, il existe une différence de fond. Dans la première, l’accent est mis essentiellement sur le volet sécuritaire et le respect de la souveraineté des Etats membres. En revanche, dans la seconde, en plus du volet sécuritaire, le curseur est mis sur les actions de développement (infrastructures, énergie, santé, éducation).
Autrement, la convention du G5-Sahel s’apparente à un programme gouvernemental. Si on peut souligner le pragmatisme des signataires de ce document, en ce sens que le tout militaire ne permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme, cet aspect peut également être un handicap et donc la cause de l’échec du G5-Sahel puisque les Etats membre ne forment pas une fédération. Dans ces conditions, il est difficile de mettre en œuvre les mesures prévues par la convention.
La Charte du Liptako-Gourma se distingue par son caractère particulièrement offensif et son ton, n’ayons pas peur de mots, belliqueux. Cela s’explique sans doute par les circonstances actuelles marquées par des tensions géopolitiques.
L’article 6 de la Charte en est la parfaite illustration : “Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du territoire d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties, de manière individuelle ou collective, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité au sein de l’espace couvert par l’Alliance”.
La référence à la situation politique au Niger est presqu’explicite. Et cet article fait écho au célèbre article 5 de l’Otan. Ce qui nous amène à poser la question suivante : peut-on parler d’Otan junior ? Sans doute faudra-t-il s’attendre à un durcissement du bras de fer avec la Cédéao.
Bréhima Sidibé
Doctorant en analyse de discours politiques à CY Cergy Paris Université
Mali Tribune