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Algérie : où sont passés les otages de Gao ?

Quinze personnes soupçonnées d’avoir collaboré avec les islamistes du Mujao ont été arrêtées. AFP

Quinze personnes soupçonnées d’avoir collaboré avec les islamistes du Mujao ont été arrêtées.
AFP

On est toujours sans nouvelles des trois diplomates algériens enlevés au Mali il y a plus d’un an par les islamistes du Mujao.

 

Le 31 mars 2012, après plusieurs heures de combats avec les troupes maliennes, Gao, dernière garnison du nord du Mali, tombe entre les mains des rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), appuyés par les salafistes d’Ansar Eddine. Le consul d’Algérie à Gao, Boualem Sias, envoie des alertes à sa hiérarchie pour l’informer des derniers développements survenus dans ce vaste territoire surveillé par les Algériens comme le lait sur le feu. Le dimanche 1er avril, il reçoit l’ordre d’évacuer les membres du consulat pour raisons de sécurité. On prépare donc l’évacuation, notamment en détruisant ou en mettant à l’abri documents, passeports vierges, cachets humides… Maîtres de la ville pour quelques jours, les Touaregs du MNLA proposent au consul, comme ils l’avaient fait peu de temps auparavant avec certaines organisations humanitaires, d’exfiltrer les membres du consulat vers l’Algérie. Boualem Sias consulte Alger, qui lui adresse un contrordre mercredi : restez à Gao. Le lendemain, il est trop tard pour faire machine arrière. Les islamistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une dissidence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), et ceux d’Ansar Eddine ont déjà conquis la ville où ils paradent à bord de pick-up.

 

Dans la matinée du jeudi 5 avril, des hommes armés font irruption au siège du consulat, embarquent Boualem Sias et six de ses collaborateurs, et quittent tranquillement les lieux à bord de 4×4 après avoir brûlé le drapeau algérien qu’ils remplacent par l’étendard noir frappé du sigle du Mujao et d’un sabre tranchant. Au même moment, les épouses de cinq diplomates – dont l’une est enceinte de quatre mois – fuient la résidence consulaire, située dans un autre quartier de la ville, pour se réfugier chez une famille touarègue. Toutes seront escortées le lendemain vers la ville frontalière de Bordj Badji Mokhtar, dans l’extrême Sud algérien, grâce à un trafiquant algérien qui aurait déboursé quelque 5 millions de dinars (51 000 euros) pour rémunérer les passeurs. La seconde prise d’otages de diplomates algériens à l’étranger – deux avaient été enlevés et exécutés en juillet 2005 par Al-Qaïda à Bagdad – est un succès pour les islamistes.

 

Médiation

Les kidnappings sont le fonds de commerce du Mujao. Composé de Mauritaniens, de Maliens, de Nigériens et de Libyens, ce groupe, né des entrailles d’Aqmi et qui alterne guerre sainte et divers trafics (cigarettes, carburants…), s’était déjà illustré en enlevant deux Espagnols et une Italienne en octobre 2011, dans la région de Tindouf. Avec les sept Algériens de Gao, leur prise s’élève alors à dix prisonniers. Presque aussi bien qu’Aqmi.

Il faudra attendre quelques jours avant que le Mujao revendique la paternité des enlèvements, et environ un mois avant qu’il formule ses exigences : 15 millions d’euros, et la libération d’islamistes en Algérie contre celle des sept Algériens. En attendant d’ouvrir les négociations, les kidnappeurs séparent les otages en petits groupes placés sous bonne garde. Les conditions de détention sont dures sans être inhumaines. « Nous étions isolés des chefs, et certains de nos gardiens nous incitaient régulièrement à faire la prière, témoignera plus tard un otage libéré en juillet 2012. Nous n’étions pas maltraités, mangions des pâtes et des conserves, et nos compatriotes malades avaient droit à des médicaments. »

 

En attendant d’ouvrir les négociations, les kidnappeurs séparent les otages en petits groupes placés sous bonne garde.

Pour parlementer avec les terroristes, Alger sollicite nombre d’intermédiaires, majoritairement des Touaregs du MNLA et d’Ansar Eddine, dont le chef, Iyad Ag Ghaly, est une vieille connaissance. Ancien membre du groupe Tinariwen, plutôt porté sur les femmes et l’alcool avant de virer intégriste, Iyad a longtemps vécu dans le Sud algérien (sa femme s’y trouve toujours) et négocia un cessez-le-feu à deux reprises, en 1991 et en 2006, avec le gouvernement malien sous l’égide des autorités algériennes. « Nous avions confiance dans ces intermédiaires, nous a déclaré un haut responsable algérien. Nous les avions mandatés pour négocier en traçant une ligne jaune : pas question de payer. »

 

Pas de rançon

La confiance, elle, paie. Après plusieurs semaines de discussions, le Mujao accepte de libérer trois otages à la mi-juillet. Contre une rançon ? « Jamais ! jure un membre du gouvernement sous le sceau de l’anonymat. Nous n’avons pas déboursé 1 dollar. Comment le pourrions-nous alors que l’Algérie dénonce systématiquement les rançons qui servent à acheter des armes pour tuer des Algériens ? D’ailleurs, le président Hollande a adopté notre ligne en excluant le versement de rançons pour les otages français. » Mais alors pourquoi le Mujao consent-il à relâcher les trois Algériens sans contrepartie financière alors qu’ils avaient soutiré aux Espagnols et aux Italiens plusieurs millions de dollars (30 millions, soit 24,5 millions d’euros, avaient été initialement exigés), à la même période, en échange de leurs trois ressortissants ? Un gage de bonne volonté de la part du Mujao, avance l’ex-ambassadeur Abdelaziz Rahabi, qui ne croit pas non plus au versement d’une rançon. « Les ravisseurs pensaient amadouer les Algériens en relâchant trois ressortissants, dit-il. Ils espéraient vraiment marchander la libération du reste des otages. »

 

Sauf que les négociations se compliquent dès le 15 août, quand les services de sécurité algériens interpellent trois terroristes à Ghardaïa (600 km au sud d’Alger). Parmi eux, un gros poisson recherché depuis 1995 : Necib Tayeb, chef de la commission juridique d’Aqmi, cueilli alors qu’il était en route vers le Sahel pour une mission de réconciliation de différentes factions d’Al-Qaïda. Aussitôt, le Mujao propose un deal : échanger les quatre diplomates contre les trois activistes. « Les Algériens ne voulaient même pas en entendre parler », indique un diplomate à Alger. « Nous avions dit niet à cette transaction, révèle notre membre du gouvernement. Nous tenons à la vie de nos ressortissants, mais l’État ne peut pas verser les rançons et subir le chantage des terroristes. »

 

Mystère

Furieux, les ravisseurs menacent de tuer tous les otages, de commettre des attentats sanglants en Algérie, comme ceux perpétrés au printemps 2012 à Tamanrasset et à Laghouat, et diffusent une vidéo du vice-consul, Tahar Touati, implorant les responsables de son pays de les sauver de la mort. Mais les Algériens ne cèdent pas. Le 1er septembre, le Mujao annonce qu’il a exécuté le vice-consul à l’aube. Selon nos informations, son corps serait enterré à quelques kilomètres de Gao. Les Algériens, qui n’auront pas le moindre début de preuve de cette exécution, ne couperont pas pour autant les contacts avec les ravisseurs. Mais l’offensive militaire française déclenchée début janvier 2013 contre les bastions islamistes dans le nord du Mali brouille, voire grille les canaux de négociations. Les éléments d’Ansar Eddine qui servaient d’intermédiaires se sont évanouis dans la nature ou sont morts sous les bombardements.

Que sont devenus les trois otages plus d’une année après leur enlèvement ? « Nous n’avons pas de preuves formelles, mais nous pensons que le Mujao les cache dans le massif des Ifoghas, confie un dirigeant algérien. L’hypothèse qu’ils aient été déplacés vers le sud de la Libye n’est pas exclue. Nous savons que les terroristes d’Aqmi et du Mujao s’y rendent pour se planquer, faire du commerce ou acheter armes et munitions. »

 

Omerta

« Je ne ferai aucun commentaire sur les otages. Merci de comprendre. » La conversation avec Mme Guessas, épouse d’un otage, a duré dix secondes, puis elle a raccroché. La femme d’un autre otage n’a pas voulu communiquer son numéro de téléphone. Les familles et les proches ont reçu des consignes strictes : aucun contact avec les journalistes. Les rares responsables qui acceptent d’évoquer le sujet se confient sans dévoiler leur identité. C’est peu dire que le sort de ces Algériens, libérés ou encore en captivité, est frappé d’omerta. Même la libération des trois otages n’a pas fait l’objet d’une communication a minima. Aucune image, aucun témoignage, au point que les Algériens doutent de cette libération. Il existe certes une cellule de crise au ministère des Affaires étrangères, mais elle ne communique guère avec la presse. Sujet trop sensible, admet un responsable : les informations sont susceptibles de parasiter les négociations, voire de les compromettre. 

Par Farid Alilat

 

jeuneafrique.com

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