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Aguibou BOUARE, Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Mali (CNDH), Président de la Coalition Nationale de Lutte contre l’Esclavage au Mali : «Nous veillerons, à travers des missions de surveillance, au respect des droits

Face à la recrudescence des cas de covid-19 actuellement au Mali, les autorités maliennes ont été amenées à prendre certaines mesures barrières. Pour veiller à la légalité, à la proportionnalité et à la nécessité de ces mesures, les organisations de défense des droits de l’homme sont à pied d’œuvre. C’est à ce titre que le Réseau Média et Droits de l’Homme (RMDH) a initié et mène un «Projet de protection et de promotion des droits de l’Homme en riposte au COVID-19 au Mali », en collaboration avec la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) et la DDHP (Division droits de l’Homme et de la protection) de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali). L’objectif principal de ce projet est de montrer l’importance de l’intégration de la dimension « droits de l’Homme » dans la prévention, la réponse et le relèvement face à la COVID-19 au Mali, à travers une couverture cohérente et plus précise de la question des droits de l’Homme. Ainsi, dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président de la CNDH, Aguibou Bouaré, a invité le gouvernement d’aménager des centres suffisants d’accueil et de traitement des personnes atteintes de la COVID, et surtout d’assurer aux populations la jouissance effective de leurs droits à la santé et à la vie. « Nous veillerons, à travers des missions de surveillance, au respect des droits humains en période de pandémie », a-t-il dit. Lisez !

Le Républicain : Quelle est la situation des droits de l’Homme au Mali ?

Je tiens à rappeler le mandat de la CNDH, l’Institution Nationale des droits de l’Homme et le Mécanisme national de prévention de la torture du Mali. Elle  est créée par la loi  N 2016- 036 du 07 juillet 2016 avec trois missions principales : la protection des droits humains ; la promotion des droits humains ; la prévention de la torture. Elle a donc plein pouvoir pour veiller au respect et à la protection des droits fondamentaux de toute personne résidant sur le territoire malien. Cela dit, pour revenir à votre question, je dois à la vérité de reconnaître que la situation des droits de l’Homme au Mali n’est pas reluisante, en dépit des efforts consentis par les autorités. Au titre des droits civils et politiques, nous déplorons de nombreux abus et violations des droits à la vie, à l’intégrité physique, à la sécurité. Ces violations se caractérisent par des crimes abominables, singulièrement au Nord et au Centre du pays. Les conflits intercommunautaires, sur fond d’éclosion de milices armées, entraînent des violations graves des droits humains. L’État éprouve de la peine à assurer aux populations, notamment civiles, la jouissance effective de leurs droits fondamentaux à la sécurité, à la vie sur une bonne partie du territoire national. Nous enregistrons régulièrement des allégations de violations souvent graves des droits de l’Homme imputées aux forces de défense et de sécurité. Une certaine impunité est fustigée quant aux poursuites appropriées à engager à l’encontre des présumés auteurs desdites violations, à travers la diligence d’enquêtes impartiales, crédibles et transparentes. Cependant, nous apprécions à leur juste valeur les efforts de renforcement de la confiance entre les FDS (Forces de défense et de sécurité) et les populations tant à travers la mise en place d’un mécanisme national “cadre de Concertation entre FDS/CNDH/POPULATIONS CIVILES ” que d’un mécanisme sous-régionale sous l’impulsion du G5 SAHEL. L’objectif de ces différents mécanismes est, d’une part, de renforcer les capacités des FDS en matière de droit international des droits de l’Homme et droit international humanitaire ou droit de la guerre en vue d’une meilleure protection des populations civiles, d’autre part, de renforcer  les relations de confiance pour plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Au chapitre des droits économiques, sociaux et culturels, nous avons enregistré la violation récurrente du droit à l’éducation du fait de la fermeture de nombreuses écoles pour diverses raisons, notamment l’insécurité au Nord et au centre du Mali, empêchant des milliers d’enfants et de jeunes d’accéder à l’école. Le droit à la santé est constamment violé en raison de l’absence des services sociaux de base sur certaines parties du territoire. Les services administratifs et judiciaires n’arrivent pas à fonctionner à certains endroits  à cause de l’insécurité. Des atteintes aux droits du travail et à la liberté syndicale sont à déplorer. Aussi, faut-il retenir que les périodes d’exception sont souvent porteuses de violations souvent graves des droits de l’Homme d’où la nécessité de redoubler de vigilance pendant la Transition. C’est pourquoi, nous n’arrêtons pas d’inviter les autorités à inscrire le respect et la protection des droits humains parmi les priorités au cœur de  la gouvernance transitoire.  En tout état de cause, nous rappelons à l’État que le respect et la protection des droits humains sont des obligations à observer en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance. Nous avons coutume de rappeler que nul n’est à l’abri de la violation de ses droits, y compris les puissants du jour ou ceux qui se croiraient l’être.

Quelles sont les dispositions prises par la CNDH pour la protection et la promotion des droits de l’Homme en riposte au COVID 19 ?

Face à ce nouveau pic de la pandémie COVID-19, la CNDH réitère les messages de sensibilisation  et d’information à l’attention des populations afin qu’elles croient à l’existence de cette maladie, surtout qu’elles la prennent au sérieux, en respectant scrupuleusement les mesures de prévention. La CNDH recommande, à travers des communiqués et déclarations, l’impérieuse nécessité d’observer les gestes barrières, la distanciation physique, le port des masques, le lavage régulier des mains avec des solutions hydroalcoolisées ou au savon etc. Nous recommandons également au gouvernement de redoubler d’efforts afin d’aménager des centres suffisants d’accueil et de traitement des personnes atteintes de la COVID, et surtout d’assurer aux populations la jouissance effective de leurs droits à la santé et à la vie. Encore une fois, nous rappelons que les mesures restrictives de liberté ne devraient aucunement signifier la fin du respect et de la protection des droits de l’Homme. Ces mesures doivent répondre aux exigences de légalité, de proportionnalité et de nécessité. Nous veillerons, à travers des missions de surveillance, au respect des droits humains en période de pandémie.

Selon vous, qu’est-ce que les autorités maliennes doivent faire pour le respect des droits de l’homme ?

Il est constant que l’État est le principal débiteur en matière de respect et de protection des droits humains, même si cela est ignoré souvent jusqu’à des niveaux insoupçonnés d’où notre mandat légal de promotion des droits de l’Homme au Mali. En effet, l’objectif de la promotion est d’informer, de former, de sensibiliser, d’inscrire l’enseignement des droits de l’Homme au niveau de tous les cycles de formation, y compris l’enseignement professionnel, en vue d’instaurer une culture des droits de l’Homme dans notre pays. L’État doit s’atteler à atteindre cet objectif. De plus, l’État doit respecter et faire respecter tous les instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux ratifiés en toute souveraineté par notre pays. Malheureusement, il n’est pas rare de voir l’État fouler au pied les dispositions de la loi fondamentale du pays dont les 19 premiers articles concernent les droits fondamentaux. Les gouvernants devraient comprendre que le respect et la protection des droits de l’Homme n’est pas une faveur ou une complaisance faite aux populations, mais bien une obligation dont l’inobservation est juridiquement sanctionnée, soit par les mécanismes juridictionnels nationaux, soit ceux internationaux, notamment la CPI (Cour Pénale Internationale). L’État doit combattre l’impunité en engageant des poursuites judiciaires appropriées et diligentes à l’encontre de tout violateur des droits humains. Au total, l’État doit garantir la jouissance effective des droits humains à toute personne résidant sur le sol malien.

Malgré les interpellations de la CNDH, la pratique de l’esclavage continue au Mali, qu’est-ce qui doit être fait pour mettre fin à cette pratique ?

L’esclavage est un crime contre l’humanité, aboli depuis 1905 au Mali. Il est en proscrit par la convention internationale de 1925 ratifiée par le Mali. La forme en cours dans notre pays est l’esclavage dit par ascendance ou héréditaire ; il est pratiqué dans certaines zones du Nord du Mali et dans la région de Kayes. Cette pratique séculaire que d’aucuns qualifient abusivement ou insidieusement de pratique culturelle ou coutumière n’est ni plus ni moins qu’attentatoire à la dignité humaine. Il se manifeste souvent par des atteintes graves à l’intégrité physique voire à la vie ; pas plus tard que le 1er  septembre passé, quatre personnes ont été battues à mort et jetées dans le fleuve comme des animaux dans le cercle de Nioro. L’horreur a atteint des proportions insoutenables. Les agressions vont au-delà de ce que les soi-disant nobles appellent “embargo” consistant à priver,  toute personne refusant le statut d’esclave, du droit d’accès au marché, aux centres de santé, aux lieux de culte…Ces traitements infrahumains vont jusqu’à empêcher de pauvres citoyens de cultiver leurs champs, de réhabiliter leurs abris, d’être inhumés dans le cimetière…C’est en considération de toutes ces atteintes graves à la dignité humaine subies, de surcroît, par des populations sur leur terre natale, à la barbe de certaines autorités locales si ce n’est avec leur complicité, que la CNDH se dresse, depuis un certain moment, contre ce fléau. Le drame est que beaucoup de nos concitoyens sont dans le déni de cette réalité sans jamais pouvoir répondre à la question de savoir si eux-mêmes étaient prêts à subir ce qu’ils qualifient de pratiques culturelles ou coutumières. Les mêmes personnes défendant et encourageant cette pratique ignoble crient au racisme dans les pays occidentaux lorsqu’elles constatent le moindre regard déplacé sur elles d’un occidental. Quel scandale que de voir ces “esclavagistes ” rivaliser de prétextes, d’arguments spécieux pour justifier ces pratiques ignobles et honteuses sur leurs propres concitoyens. Comme rappelé précédemment, l’État doit prendre ses responsabilités pour combattre l’impunité dans ce domaine et dans bien d’autres. La CNDH prône dans un premier temps la sensibilisation pour amener les personnes de bonne foi à renoncer à cette pratique médiévale. Les récalcitrants,  les Caïds feront face à la rigueur de la loi à travers la répression. Nous continuons d’organiser des sessions de sensibilisation et de renforcement des capacités des magistrats pour une répression efficace du phénomène. Parallèlement, le plaidoyer pour l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage héréditaire continue de plus belle. Dans la stratégie de lutte contre la pratique, nous avons préconisé les états généraux sur la question, fort heureusement, nous avons pu l’inscrire comme phénomène de société à débattre parmi les priorités de la Transition. Nous avons espoir que la mise en œuvre de la feuille de route arrêtée lors des travaux de la Concertation Nationale se fera sans anicroche. Il est important de mieux informer les gouvernants sur ce fléau afin qu’ils le prennent à bras le corps, et arrêtent de prêter une quelconque oreille à ceux qui sont dans le déni, en invoquant de piètres argumentaires.

Quel message avez-vous à lancer ?

Juste dire à la suite de René Cassin qu’il n’y aura de paix nulle part sur cette planète tant que les droits humains ne sont pas respectés en quelque partie du monde. Que toutes les Maliennes et tous les Maliens comprennent que notre patrie devra son salut au respect et à la protection des droits humains car ceux-ci prônent la paix, la justice sociale, la lutte contre l’impunité, le droit au bien-être à travers la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels, bref! Le Droit à la Dignité Humaine. J’invite surtout les Maliennes et les Maliens à l’union sacrée autour de notre patrimoine commun, le Mali, suffisamment éprouvé, à travers le rassemblement sur la base d’une approche inclusive à tous égards excluant toute politique et stratagème de division n’ayant jamais construit un pays. En la matière, les actes parlent mieux que les discours.  Je conclus par cette assertion du célèbre juge Keba M’baye, je le cite: “Le chemin qui conduit vers le développement économique et social et vers la consolidation des institutions (…) ne doit  pas contourner les principes essentiels qui fondent la dignité de l’Homme, car après tout,  la finalité du développement et le but de toute politique doivent tendre à la réalisation de L’HUMAIN”. La protection des droits de l’Homme est une responsabilité partagée.  Dieu préserve notre patrie !

Propos recueillis par Aguibou Sogodogo 

Source: Le Républicain- Mali

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