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Agriculture : Le secteur semencier face au défi de la compétitivité

Le sentiment de relative satisfaction perceptible chez les revendeurs contraste avec la situation du marché décrite par les entreprises et compagnies nationales.

Les activités rurales constituent le moteur de l’économie nationale. Elles occupent environ 80% de la population de notre pays et leur apport au PIB (Produit intérieur brut) est estimé à 46%, dont 26% pour l’agriculture. Considérant cette place prépondérante, le Mali alloue 15% du budget national à l’Agriculture depuis plusieurs années. L’un des vecteurs clés du dispositif de production agricole est la filière semencière. Optimiser la production et la qualité des semences permettrait considérablement de fructifier les productions. La politique de privatisation des activités de production et de commercialisation de semences a permis au secteur de réaliser des avancées. Les productions de semences certifiées qui étaient de près de 500 tonnes (précisément 499,600 tonnes pour la campagne 2003/2004) sont passées à plus de 11.052 (campagne 2016/2017). Mais, la situation actuelle du secteur donne des inquiétudes à plusieurs acteurs et observateurs du domaine.
La matinée est bien ensoleillée dans cette rue très fréquentée de la rive gauche de Bamako. C’est un point névralgique du business de produits agricoles (phytosanitaire, engrais, semences …). Plusieurs boutiques sont alignées sur cette voie d’environ 100 mètres. Et les semences agricoles sont parmi les marchandises les plus prisées par les clients.
«Le marché de semences est bien rentable. Les paysans et les jardiniers viennent fréquemment s’approvisionner chez nous. Nous vendons toute l’année, nos prix varient entre 750 Fcfa et 30.000 Fcfa », nous explique Karim Maïga, un vendeur que nous rencontrons assis derrière son comptoir. Selon lui, le business de semences est florissant dans notre pays ; le marché est majoritairement alimenté par les produits importés de pays de la sous-région (Sénégal, Burkina Faso) ou d’autres continents (états-Unis, France, Italie …).
Le sentiment de relative satisfaction perceptible chez les revendeurs contraste avec la situation du marché décrite par les entreprises et compagnies nationales opérant dans le secteur semencier. L’Association semencière du Mali (ASSEMA) regroupe 63 entreprises semencières nationales. À son siège, l’heure n’est pas à l’optimisme. Laya Dolo, le secrétaire permanent de l’ASSEMA, évoque la période difficile que traversent les producteurs nationaux de semences. Selon lui, le secteur est frappé de plein fouet par la concurrence déloyale des commerçants non certifiés et souffre de « l’introduction abondante sur le marché de semences de contrebande ». Il impute cette conjoncture aux difficultés structurelles du secteur. Pour M. Dolo, les coûts de production et les contraintes fiscales, ne permettent pas aux nationaux de suivre le rythme de la compétitivité internationale du marché.
« Entre 2015 et 2017, nous avons bénéficié de l’appui du gouvernement et des partenaires comme la Banque mondiale. À travers le Programme de productivité ayant subventionné les semences pour les rendre accessibles aux paysans qui n’ont souvent pas les moyens de se payer des semences certifiées », explique-t-il, avant d’ajouter que les entreprises semencières subissent la concurrence des producteurs des pays voisins comme le Burkina Faso, dont le secteur est mieux organisé et toujours subventionné par l’état. «Les commerçants importent les semences et malgré les coûts douaniers, et ils arrivent à concurrencer nos prix. C’est absolument incohérent ! », s’exclame Laya Dolo.
Même son de cloche à la direction de l’entreprise semencière Faso Kaba, dont la directrice est Mme Coulibaly Maïmouna Sidibé. Son entreprise évolue dans le secteur semencier depuis 2003, avec une quinzaine d’emplois permanents et plusieurs distinctions remportées au niveau national et international. Mais, ce prestige côtoie aujourd’hui une certaine morosité chez la directrice. Elle estime que malgré le boom du secteur, le business des semences n’est plus aussi viable qu’avant pour les entreprises privées. Elle pointe du doigt le faible financement au niveau de la recherche et la concurrence déloyale, dont sont victimes les entreprises privées. « À notre début, on produisait environ 1000 à 1500 tonnes de semences par an. Aujourd’hui, au lieu d’augmenter notre production, on a tendance à fléchir », avance-t-elle. Avant de dénoncer que certaines entreprises sans certification sont dans le domaine bénéficient de marché en violation des normes. La directrice préconise une meilleure organisation du secteur et un financement adéquat de la recherche. Selon elle, Il n’y a pas de banque de semences et celles de pré-bases de certaines espèces comme le niébé, l’arachide sont introuvables chez les fournisseurs des instituts de recherche.

EXIGENCES DE MODERNITÉ- Abdoulaye Kéita, secrétaire général adjoint de l’Assemblée permanente des chambres d’Agriculture du Mali (APCAM), exprime l’état d’insatisfaction face aux problèmes d’organisation du secteur semencier dans notre pays. « En 2012, à l’APCAM nous avions même voulu reprendre le secteur, tellement il y avait des difficultés. La filière est souvent délaissée », révèle-t-il.
Pour M. Kéïta, les autorités en charge du secteur doivent consentir plus d’investissements dans la recherche, pour redynamiser la filière semencière. Comme c’est le cas, avance-t-il, dans certains pays de la sous-région tels que le Burkina-Faso ou le Sénégal. « Il n’existe aucun laboratoire certifié répondant aux normes internationales pour la recherche des semences de pré-base dans notre pays », regrette-il. Avant d’ajouter que « 75% des paysans produisent leurs propres semences et n’ont pas recours aux compagnies de semences ».
Ce sentiment fait écho chez plusieurs intervenants. Des voix s’élèvent dans la filière semencière pour demander une réforme du secteur en vue de répondre aux exigences de modernité et de productivité. Il n’existe pas moins d’un millier d’entreprises semencières en activités répertoriées dans notre pays. Sans compter les coopératives paysannes, dont certaines font aussi la multiplication des souches au même titre que les entreprises privées certifiées.
Cette prolifération des acteurs intervenant dans le domaine tranche avec les multiples difficultés qui l’assaillent. Au niveau des structures de recherche notamment l’Institut d’économie rurale (IER) plusieurs insuffisances sont décriées. Le Dr Mamadou Mory Coulibaly est sélectionneur au Centre de recherche de l’Institut d’économie rurale (IER). Il nous reçoit dans son bureau pour évoquer la problématique. La pièce est décorée de plusieurs bols remplis d’échantillons de maïs. On peut apercevoir au mur un certificat récompensant « la meilleure équipe de recherche en semence de l’Afrique de l’Ouest pour l’année 2019 », décerné au chercheur et à ses collaborateurs par des organismes internationaux.
Pour le Dr Coulibaly, la principale difficulté du dispositif de production semencière se pose au niveau de la capacité de l’IER à répondre aux demandes exprimées par les compagnies semencières. Les moyens alloués en équipements, notamment en chaînes de conditionnement, en logistiques et en conditions de stockage de semences n’étant pas suffisants. « Nous demandons aux entreprises d’exprimer leurs besoins au moins une année à l’avance, pour que les chercheurs travaillent sur les commandes », déclare-t-il.
Le spécialiste évoque les difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs dont le manque de personnel et l’absence de mécanisme de financement pérenne des recherches. Il déplore : « L’IER n’a pas de travailleurs permanents, révèle-t-il, la plupart des travailleurs sont des retraités et des contractuels. Les infrastructures ne sont pas aux normes. Les laboratoires n’ont pas l’équipement adéquat pour les contrats exprimés ».

Mohamed TOURÉ

Source: Journal l ‘Essor-Mali

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