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Agriculture : le maraîchage bio hors sol gagne du terrain

Les produits issus de cette pratique culturale sont très prisés par les consommateurs et rapportent gros

 

Le soleil s’est couché laissant place à un ciel bleu dégagé. Aminata Diallo est sur le toit de sa maison à Faladié, en Commune IV. Une petite daba à la main, elle remue le compost dans un bac. Sous un hangar aménagé, est confortablement assis son mari. Ousmane Oumarou Sidibé profite de la vue prenante sur Bamako, du ronronnement des véhicules qui passent et du gazouillement des oiseaux dans le ciel. Il soutient l’initiative de son épouse visant à consommer bio.
Alignées soigneusement, l’un à côté de l’autre, une dizaine de palettes faisant office de bacs à substrat contiennent divers semis. De chaque palette transformée en bac à substrat déborde un tuyau qui permet d’évacuer l’excès d’eau (au-delà de 10 cm) après arrosage.

Des pneus de voiture, d’anciens pots de fleur, une vieille baignoire, d’anciennes bassines, brouettes, barriques et seaux, sont réaménagés pour servir de bacs à substrat. Semés dans ces récipients, les légumes ou fruits comme le gombo, la tomate, la menthe, le céleri, le persil, les oignons, les fraises, la goyave, la papaye verdissent sur le toit.
Juriste à la retraite, Aminata Diallo s’occupe en faisant du maraîchage hors sol. Depuis bientôt cinq ans. Elle a acquis les rudiments du maraîchage en hauteur lors d’une formation d’une dizaine de jours dispensée par l’entreprise éléphant Vert au Centre Père Michel (un centre de formation professionnelle) en 2013. Cette formation visait à appuyer les associations de femmes péri-urbaines. La lecture et les leçons tirées des échecs lui ont permis de renforcer ses connaissances.

«Quand je commençais, je travaillais encore. Je me réveillais à 4h pour arroser les plantes. à 6h, je partais au bureau. Au retour, entre 17h et 18h, j’allais directement dans le jardin, souvent sans me changer» rappelle-t-elle. Pour la sexagénaire, le jardin est un petit mari qui a besoin d’entretien. La forte chaleur tue certaines variétés comme la tomate, les carottes. Trop d’eau pourrit les racines des persils. Le manque d’eau tue d’autres comme les melons, conseille la passionnée de maraîchage, précisant que la meilleure saison pour réussir cette activité va de septembre à mars. Période durant laquelle elle récolte souvent 50 kg de tomate.

Il faut aussi choisir les variétés qui résistent à la chaleur (piment, gombo, persil, salade). La maraîchère soutient que les va-et-vient pour arroser les plantes sont une activité physique et sportive pour elle. Pendant qu’elle arrose son jardin un microclimat doux et frais se développe sur le toit.

Comme elle, Aïssata Niaré, biologiste, a aménagé le toit de sa maison où elle pratique le maraîchage hors sol. En activité depuis bientôt 5 ans, l’idée lui est venue après un séjour au Sénégal où plusieurs personnes font le maraîchage en hauteur. «Je le fais pour manger bio afin d’éviter tout ce qui contient les engrais et autres produits chimiques. Tout ce que je récolte, est consommé en famille et partagé entre mes voisins», ajoute-elle. Au-delà du plaisir qu’elle en tire, elle le fait pour son père qui n’aime que les produits bios qu’elle lui envoie. Sa sœur qui dispose d’une surface large fait du maraîchage dans sa cour et sur son toit.

PRODUITS BIOS TRÈS LUCRATIFS- Comme toute activité, le maraîchage hors sol est confronté à certaines contraintes majeures, dont l’approvisionnement en eau. Surtout dans un pays où la distribution d’eau dans les canalisations fait défaut. Souvent, il faut se réveiller à 1h-2h du matin pour faire des réserves d’eau, déplore Aminata Diallo. Aussi, des insectes attaquent et détruisent certaines plantes comme le piment et le gombo. Sans compter les risques d’infiltration d’eau à partir du toit.

Si ces personnes pratiquent le maraîchage hors sol par plaisir, c’est un véritable business pour d’autres. Le maraîchage hors sol est basé sur du bio, sans utilisation d’engrais chimiques. Aujourd’hui, il existe un grand engouement pour les produits bio au Mali, confirme Amadou Sékou Nimaga, un jeune entrepreneur dans le domaine du maraîchage hors sol.

Rencontré à la laverie auto-moto d’un de ses amis, ce trentenaire explique avoir abandonné ses études universitaires en deuxième année hôtellerie et tourisme au Maroc pour rentrer au pays. «J’étais convaincu que ces études n’allaient rien me rapporter. Je savais que c’est l’agriculture, la terre que j’aime», relate-t-il. Après avoir travaillé dans l’informel pendant deux ans, il formalise son entreprise.

Constatant une demande de plus en plus croissante en produits bio de la part de certaines familles et clients, il se lance dans le maraîchage hors sol en 2013. Très vite, le succès est au rendez-vous. Sous l’impulsion de Sandrine, une ressortissante française qui ne nourrissait sa fille qu’avec des fruits et légumes sans engrais, un marché bio est établi à Bacodjicoroni. De cette initiative naîtra quatre autres marchés destinés aux produits bio.
Certains adeptes de ces produits évoquent surtout la saveur et le goût, l’accès à un produit exempt de pesticides et d’OGM, le soutient à l’achat local, l’encouragement des pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement.

Les produits bios (fruits et légumes) qui se conservent plus longtemps et mieux coûtent souvent le double du prix des produits issus de l’agriculture conventionnelle qui utilise les engrais chimiques et les pesticides. 1kg de tomate bio est cédé à 1.000 F cfa, contre 400 Fcfa/kg pour la pomme de terre bio. La même quantité de variété d’orange «Tangelo» est vendue à 800 Fcfa. Pour Amadou Sékou Nimaga, on peut bien vivre du maraîchage bio hors sol.

Malgré la cherté des prix, «les gens ont compris qu’ils doivent se nourrir de produits sains pour préserver leur santé. Les commandes ne s’arrêtent pas. Certains font des réservations via nos plateformes numériques. D’autres se rendent à nos domiciles pour s’approvisionner», assure le jeune entrepreneur. Les jours de marchés, certains clients dépensent en moyenne 30.000 à 40.000 Fcfa en fruits et légumes bios, révèle-t-il.

Fort de plusieurs années d’expérience dans le domaine, Amadou Sékou Nimaga est aujourd’hui sollicité par d’autres personnes à Bamako et dans la sous-région pour les aider à développer cette pratique culturale. Rencontré sur l’un de ces chantiers à Bamako, il aménage au deuxième étage d’une maison un espace maraîcher hors sol pouvant accueillir des plantes. Ici, pas de vieux pneus, barriques ou bassines usées faisant office de bacs à substrats : c’est moderne et technologique.

Afin d’économiser un maximum de temps et d’énergie (le client est un fonctionnaire), Amadou Sékou Nimaga a installé un système d’irrigation goutte-à-goutte lié à un tank d’eau. «Le tank est connecté à un puits. Tout ce que le propriétaire doit faire, c’est d’ouvrir la vanne pour que tous les cinq cent pieds reçoivent de l’eau et en 10 mn environ tout est arrosé», assure le jeune entrepreneur.
Grâce à cette activité, il a réussi à créer de l’emploi et former des jeunes diplômés et non diplômés sans emplois. Amadou Sékou Nimaga dit avoir également formé des femmes au foyer sur le maraîchage bio hors sol. Celles-ci arrivent aujourd’hui à tirer leur épingle du jeu, selon lui.

MANQUE D’ACCOMPAGNEMENT- Toutefois, Amadou Sékou Nimaga déplore un désintérêt de l’état pour l’agriculture bio, notamment en matière de formation. «Je collabore beaucoup avec des ingénieurs agronomes et autres spécialistes dans le domaine. Beaucoup sont formés sur la base de l’agriculture conventionnelle et ne proposent que l’usage d’engrais chimiques et autres pesticides dans les champs et maraîchages pour accroitre les rendements». Il trouve important de revoir leur système de formation pour les amener à orienter les paysans et maraîchers vers la production bio pour le bien-être de la population.

Clétus Houngnibo, ingénieur de formation, est expert en agriculture et maraîchage hors sol. Joint par téléphone depuis le Bénin, où il effectue des installations chez des particuliers, il assure que le maraîchage hors sol est l’un des meilleurs investissements. Dans le domaine depuis bientôt 15 ans, l’expert, en plus de gérer son propre maraîchage, est appelé à faire des installations de maraîchage hors sol à l’air libre ou sous serre. Cela un peu partout au Togo, Mali, Bénin, Congo, Guinée-Conakry, Nigeria et au Burkina Faso. Pour Clétus Houngnibo, le coût de l’aménagement diffère en fonction de la surface à couvrir. Il va de 75.000 Fcfa à 1 million pour 100 m2. Les installations à grande échelle peuvent coûter 15 millions de Fcfa.

Interrogé, Dr Idrissa Tounkara juge lucratif le développement du maraîchage bio hors sol au Mali. En effet, justifie-t-il, l’usage des pesticides et autres engrais chimiques est aujourd’hui source de plusieurs maladies, dont le cancer. Pour lui, le fait d’arroser est une activité physique et sportive qui améliore la santé. Après arrosage, un microclimat est créé dans la maison. Il contribue à la réduction de la consommation énergétique et diminue le stress. Par ailleurs, c’est un élément important pour la biosynthèse (absorbation du CO2 et rejet de l’oxygène dans la nature).

Oumar SANKARÉ

Source : L’ESSOR

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