En 1978, la conférence d’Alma-Ata rappelait les grandes priorités du siècle à venir pour les soins de santé primaires. Elle annonçait même : « L’humanité tout entière pourra accéder à un niveau acceptable de santé en l’an 2000 si l’on utilise de façon plus complète et plus efficace les ressources mondiales dont une part considérable est actuellement dépensée en armements et en conflits armés ».
Plus de 40 ans plus tard, ces objectifs ne sont toujours pas atteints. Or, parmi les éléments clés nécessitant d’être repensés pour que l’humanité « entière » accède à une santé « acceptable » il est important de porter aussi notre réflexion sur les soins de santé primaires et leur articulation avec l’ensemble du système de santé. Par exemple, il est urgent de s’interroger sur la place et le rôle des hôpitaux dans les pays à faibles et moyens revenus de l’espace francophone.
En effet, les hôpitaux rencontrent des contraintes extrêmes liées aux coûts élevés des soins pour les patients, à des services surchargés, à la faible rémunération et motivation des soignants et aux infrastructures défaillantes qui engendrent le plus souvent des soins de faible qualité voire dangereux. Les citoyens dénoncent l’état de leurs hôpitaux publics qui ne remplissent pas leurs missions et qu’ils surnomment des « mouroirs ».
Pourtant, les difficultés accrues que connaissent les hôpitaux demeurent peu visibles et rarement discutées dans les arènes internationales. Or, on assiste dans le même temps à la construction de nouveaux hôpitaux, financés et équipés par les partenaires internationaux, qui renforcent une tendance à l’hospitalo-centrisme des systèmes de santé qui mériterait d’être mieux connue et surtout, mieux débattue.
Les hôpitaux, point aveugle des systèmes de santé ?
Depuis leur construction pendant la période coloniale jusqu’au moment où ils ont été repris par les États indépendants, les hôpitaux ont été considérés comme des postes avancés du développement de la nation grâce à la médecine moderne.
Ils ont commencé à absorber une grande part des budgets du secteur de la santé jusqu’à aujourd’hui tout en étant un secteur d’emplois important. Par exemple, en 2011, les frais de fonctionnement du Centre hospitalo-universitaire de Brazzaville étaient équivalents à l’ensemble des dépenses du Congo dans le domaine des soins de santé primaires. Dans le sillon des mouvements de décolonisation, un vent de critique a dénoncé la concentration des ressources à leur égard ainsi qu’une vision élitiste et urbaine de l’organisation des soins.
C’est la position défendue par les États à la conférence de Alma Ata en 1978 envisageant la santé comme un produit du développement économique et social devant être prise en charge au plus proche des personnes, dans les villages et les communautés, soutenus par un système de référence efficace vers l’hôpital de district le plus proche pour les soins spécialisés. Malgré quelques tentatives pour limiter la construction des hôpitaux et appliquer une politique robuste de soins de santé primaire – comme en Tanzanie pendant la période socialiste du président Nyerere – très peu de pays à faibles et moyens revenus du monde francophone sont parvenus à consolider les niveaux primaires et à désengorger les hôpitaux des grands centres urbains.
L’efficacité des hôpitaux a été, dès lors, compromise en raison de l’échec du système de référence et des politiques successives comme celle du recouvrement des coûts (paiement direct des soins conseillé par l’OMS et l’Unicef à partir de 1987) qui ont engendré encore plus de dysfonctionnements et d’inaccessibilité.
L’OMS a tenté de défendre l’importance de consolider les hôpitaux de districts, en appui aux soins de santé primaires. Dans le même temps, sous l’influence de la Banque mondiale dans les années 1990, certains pays comme le Sénégal et le Mali ont octroyé un statut d’autonomie aux hôpitaux. D’autres pays ont été attirés par les sirènes de la privatisation ou bien se sont lancés dans des partenariats publics-privés qui ont, comme le montre le cas du Lesotho, grevé encore plus les budgets nationaux de santé.
Aujourd’hui, les hôpitaux publics continuent d’absorber une grande part des ressources nationales allouées à la santé. Au Burkina-Faso par exemple, les hôpitaux comptaient pour 31 % du budget du ministère de la Santé en 1998 et 46% en 2010.
Toujours plus d’hôpitaux…
Les hôpitaux demeurent fondamentaux pour les systèmes de santé, pour assurer aussi bien les soins d’urgence que les soins (sur)spécialisés et pour garantir la formation des médecins. Toutefois, la multiplication des structures hospitalières sans réel plan de financement, concentrées dans les grands centres urbains, court le risque de bénéficier avant tout aux élites économiques et politiques.
Cette option peut s’avérer au détriment d’un solide maillage en faveur des soins de santé primaires – la vision défendue à Alma Ata en 1978 – au sein duquel les hôpitaux, notamment en milieu rural (de districts), devaient venir en appui aux niveaux primaires. Un effort s’impose donc pour mieux comprendre les dysfonctionnements et pour trouver des solutions pertinentes et pérennes permettant de mieux intégrer les hôpitaux dans les systèmes de santé des pays à faibles et moyens revenus de l’espace francophone afin absolument d’éviter le risque qu’ils se transforment encore en « éléphants blancs ».
Assi de Diapé
Source: lepointdumali