Le pire a certainement été évité dans ce qu’on peut appeler désormais « l’affaire Ras Bath », surnom du chroniqueur radio, Mohamed Youssouf Bathily, adulé par une frange de la population, mais tristement célèbre du côté des pouvoirs publics en général. Son interpellation, pour des raisons encore vagues mais portant en tout cas officiellement sur violation des mœurs, a causé d’énormes dégâts (saccage de locaux du tribunal de la commune IV, caillassage et incendies de véhicules…) et même un mort.
Ces évènements douloureux, certes apaisés avec la libération provisoire du Rasta, interrogent forcement : l’interpellation du chroniqueur était-elle nécessaire ? Que faut-il comprendre à la réaction de ses fans ou supposés tels ? Autant de questions qui ne cessent d’alimenter les débats à tous les niveaux de la pyramide sociale.
L’interpellation était-elle justifiée ?
Le chroniqueur Ras Bath n’est sûrement pas sans reproches. Certes la liberté de Presse autorise la critique, mais cela doit se faire dans une certaine proportion, en se basant sur les seuls faits, donc en se gardant bien de faire des affirmations gratuites (c’est-à-dire non soutenables devant un tribunal), de porter atteinte à la vie privée des gens, d’inciter à la révolte populaire ou à la violence, d’inciter à la démobilisation des troupes, de divulguer des ‘’secrets défense’’ ou des secrets d’Etat tout simplement, etc. De ce point de vue, le confrère pourrait certainement mieux faire, en modérant notamment ses propos. Pour autant cela suffisait-il pour interpeller le chroniqueur ?
Les autorités ont manqué de jugeote
Une bonne lecture du contexte aurait suffit aux pouvoirs publics que ce n’était pas le moment indiqué pour aller à cette extrémité. En effet, nombreux sont les Bamakois qui n’ont pas encore digéré les douloureuses conséquences de l’opération de libération des voies publiques déclenchée par la dame de fer, Mme Sacko Ami Kane. En général ce n’est point le fond de cette opération qui est condamné, mais la manière, c’est-à-dire l’absence de toute stratégie. Les victimes ont beau être dans l’illégalité, ce sont tout de même des milliers de chefs de famille qui se retrouvent dans la précarité, sans solution de rechange à court ou moyen terme. Si l’on ajoute à tous ces mécontents tous les autres citoyens au cœur meurtri suite à l’insécurité ambiante, à la perte récurrente et croissante de nos militaires, aux humiliations subies chaque jour un peu plus par les Maliens, il va de soi que les autorités ont joué un mauvais coup. A la rigueur auraient-elles dû se contenter de chercher à sensibiliser le chroniqueur dans un premier temps en tout cas.
Police et justice : autre source de colère
Il y avait sûrement de véritables supporters du chroniqueur dans la foule déchainée, mais une autre réalité évidente est que de nombreux manifestants voulaient aussi en découdre ou tout au moins exprimer leur ras-le-bol vis-à-vis d’une police et d’une justice décrié chaque jour un peu plus sur ceux-là mêmes qu’elles sont censées servir. Ce sentiment hostile à ces deux symboles de l’Etat mais aussi de la ‘’répression’’ était largement partagé chez les auditeurs du Débat politique de Klédu, du 18 Août dernier : « La justice malienne n’est pas pour les pauvres, elle est pourrie », dénonce-t-on. Les représentants des deux corporations ont beau tenter d’expliquer leurs missions, mais rien n’y fait, elles devront sûrement affronter pendant longtemps encore le cliché qui leur colle à la peau. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait que le dernier débrayage du syndicat autonome de la magistrature (SAM) a plutôt été perçu comme un non évènement, le sentiment populaire se résumant essentiellement à « vous êtes parmi les fonctionnaires les mieux payés de la République. Ces privilèges vous ont été accordés non pas parce que vous êtes les plus intelligents, les plus compétents ou les plus diplômés, mais pour éviter la tentation et vous amener à ne dire que le droit. A quoi cela a-t-il servi ? A rien. Alors obtenir plus pour faire plus de mal… ?
Deux poids, deux mesures
«Les manifestants pro Ras Bath n’ont rien à voir avec une quelconque sympathie pour celui-ci. Ce sont les rancœurs nées de l’opération de libération des voies publiques. Opération menée uniquement contre les pauvres. Comment comprendre, en effet, qu’aucune mesure antérieure similaire comme l’obligation de port du casque, la lutte contre les faux diplômes, etc. n’a pu être menée à terme ? Cette fois-ci on va jusqu’au bout parce que les pauvres constituent la seule cible…), c’est en substance ce que dit un auditeur pour expliquer l’ampleur des manifestations pro Ras Bath et exprimer le sentiment d’injustice nourri par des milliers d’autres comme lui. ‘’ C’est une population aigrie tout simplement par bien d’épreuves’’ renchérit un autre. Comme quoi, l’incident, à priori isolé, doit être placé dans un contexte global.
L’inédit
«Je n’aurais jamais cru que les autorités pouvaient bloquer l’accès à Facebook et autres… », ce sont les propos d’un internaute à qui l’on venait d’expliquer l’impossibilité d’accéder à Facebook durant les manifestations pro Ras Bath. Cela est inédit et il est à l’actif de Me Tall, ministre de la Communication et des Nouvelles technologies de l’information. D’ailleurs ce n’est pas seulement Facebook qui a été concerné par la mesure de censure, des stations radios aussi ont été perturbées. Comme quoi l’Affaire Ras Bath a véritablement fait peur aux autorités. Qui ont dû tirer les enseignements du Printemps Arabe dont la réussite est venue surtout des réseaux sociaux. Aussi, au-delà de l’Affaire Ras Bath, le régime IBK vient de franchir un nouveau pas en s’attaquant à l’un des fondements de la liberté d’expression et de la Presse : l’accès à l’information. Me Tall imprime sa marque, et de ce fait, entre tristement dans l’histoire, même si la décision a pu venir des services de sécurité voire plus haut. Par ailleurs, cette crise doit amener les autorités à prendre à bras-le-corps le cas des radios promotrices des charlatans et de plus en plus du Jihad.
Attitude incompréhensible des manifestants
Quand on sait tous les évènements douloureux que vit le Mali et qui ont difficilement ou pas du tout mobilisé les Bamakois, l’on comprend assez mal qu’autant de personnes arpentent les rues et prennent autant de risques rien que pour soutenir un individu. En effet, la crise du Nord, l’insécurité grandissante, les positions de la France et de la Minusma, les nombreuses humiliations subies sont autant de situations qui auraient dû mobiliser les citoyens. Mais il n’en fait rien, comme si tout ce qui se passe ne concernait que les seuls gouvernants. L’explication ne pourrait donc venir que des rancœurs accumulées pendant longtemps, notamment à la faveur de l’opération de libération des voies publiques. Ras Bath ne fut donc qu’un prétexte pour se donner conscience et défier les pouvoirs publics.
Sory Haidara
Source : Le Point