L’Affaire dite des 49 mercenaires ivoiriens a vite relégué au second plan le coup de massue de la fête du mouton, devenue pour beaucoup de ménages celle de toutes les acrobaties. Venus du ciel, pas comme des anges, loin s’en faut, débarqués sous de fausses identités, avec tout un arsenal de guerre, les 49 fantassins débarqués pour une mission obscure ont tenu le haut de pavé l’information. Le contingent bizarre qui a fini son rodéo dans les mailles du filet des limiers maliens était-il comme le prétendent certaines dénégations de l’évidence et un document interne de l’état-major ivoirien la « relève du 7e détachement de la Nationale support Élément (NSE) au Mali » ? Pour le gouvernement du Mali, conforté par la Minusma et les enquêteurs ivoiriens qui disent tous ne pas être informés de ce déploiement, il ne peut s’agir que des mercenaires tels que définis par la Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique. Comment deux avions ivoiriens ont-ils pu débarquer « 49 soldats ivoiriens » sans ordre de mission, à l’insu du gouvernement ivoirien, du gouvernement malien et de la Minusma ?
Réagissant 24 heures après les faits, le temps de recouper et de pousser les investigations plus loin en raison des relations historiques de fraternité et d’amitié qui lient nos deux pays, le Gouvernement de la Transition a été sans aucune ambiguïté dans son communiqué N°34 du lundi 11 juillet 2022.
Sans aucune
ambiguïté
Le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, est revenu longuement sur les faits troublants qui se sont déroulés le dimanche 10 juillet 2022, entre 11 heures et 13 heures, à l’Aéroport international Président Modibo KEITA Sénou à savoir l’atterrissage de deux aéronefs immatriculés ZS-BBI et UR-CTH, en provenance de la Côte d’Ivoire, transportant quarante-neuf (49) militaires ivoiriens avec leurs armements et munitions de guerre, ainsi que d’autres équipements militaires.
Ce n’est pas sans intérêt que le ministre porte-parole a donné l’immatriculation des deux avions. En effet, au regard de leur immatriculation, ces deux aéronefs n’appartiennent pas à la Côte d’Ivoire. Pour cause ? Le Préfixe d’immatriculation octroyé par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) est TU, comme pour le Mali c’est TZ. Alors à qui appartiennent ces avions qui ont transporté les «49 soldats ivoiriens » à Bamako ? Les préfixes ZS, ZT et ZU appartiennent à la Nation arc-en-ciel, l’Afrique du Sud et le préfixe UR a été attribué à l’Urkraine. Dites : comment la Côte d’Ivoire qui ne manque pas d’avion a-t-elle pu affréter des aéronefs d’Afrique du Sud et de l’Ukraine (un pays en pleine guerre) pour convoyer seulement 49 de ses soldats au Mali, la porte d’à côté et pour quelle mission ?
Il a expliqué que les quarante-neuf (49) militaires ivoiriens se sont retrouvés illégalement sur le territoire national du Mali et par conséquent, ils ont été immédiatement interpellés et leurs armements, munitions et leurs équipements de guerre ont été saisis.
Selon le ministre porte-parole, ces militaires, dont une trentaine des forces spéciales étaient en possession d’armes et de munitions de guerre, sans ordre de mission ni autorisation. En aucun moment, il n’a dit qu’ils étaient armés quand ils débarquaient.
Ces militaires ivoiriens sont venus au Mali sous de fausses identités, précise le ministre Maïga. Sur la majorité des passeports des militaires interpellés, les professions inscrites étaient : étudiant, chauffeur, maçon, mécanicien, vendeuse, électricien, vigile, peintre, etc. ;
Par ailleurs, ce mardi 12 juillet une lettre de l’ambassade de la Côte d’Ivoire au Mali renforce la thèse du porte parole du gouvernement que les autorités de la Transition n’avaient pas été informées de la Mission. Cette lettre adressée au ministre des Affaires étrangères l’informant de l’envoi de ces soldats de son pays au Mali date du 11 juillet soit le lendemain de l’arrestation des 49 militaires ivoiriens.
«L’ambassade de la République de la Côte d’Ivoire près de la République du Mali présente ses compliments au ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale et, à l’honneur de lui faire parvenir, ci-joint, l’ordre de mission du 8eme détachement de la National Support Elément (NSE) au Mali pour la relève du 7eme détachement», indique le document de l’ambassadeur ivoirien. Si elle était envoyée un peu plutôt cet incident n’aurait peut-être pas eu lieu.
Quelle était la
mission ?
Pourquoi des militaires ivoiriens useraient-ils de fausses identités pour venir au Mali ? Selon le communiqué du gouvernement, quatre (4) versions différentes ont été avancées par les militaires interpellés pour justifier leur présence sur le territoire malien : la mission confidentielle, la rotation dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), la sécurisation de la base logistique de la compagnie aérienne « Sahelian Aviation Services » et la protection du contingent allemand.
Comment un contingent de 49 hommes peut-il avoir quatre missions ? Le démenti de la Minusma met à l’eau le motif de «la rotation dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) ». D’après Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma : « Les soldats interpellés hier dimanche à l’aéroport de Bamako ne font pas partie de l’un des contingents de la MINUSMA… Les relèves des contingents de la MINUSMA sont planifiées et s’effectuent en accord avec les autorités maliennes.
Nous œuvrons à ce que les relèves de contingents originaires d’Afrique de l’Ouest, qui accusent un retard du fait de l’absence des autorisations requises, puissent intervenir au plus tôt ».
Donc, il ne s’agissait pas de relève de soldats du contingent ivoirien déployé dans notre pays dans le cadre de la Minusma. Comme les autres contingents ouest-africains, celui de la Côte d’Ivoire, embargo oblige, n’était jusqu’ici pas concerné par une relève.
Sur les 26 pays contributeurs, la Côte d’Ivoire est dans le Top10 avec un effectif officiel de 816 soldats qui sont stationnés dans le secteur ouest (Tombouctou, Ber, Goundam), principalement à Tombouctou où ils sécurisent l’aéroport avec brio en témoin les exploits réalisés lors de l’attaque de Tombouctou en maintenant l’aéroport opérationnel. Le contingent ivoirien est déployé depuis 2013 et a enregistré 4 décès.
Dans le secret des Dieux de la CEDEAO
D’après le document sensé venir du ministère de la défense, adressé au CEMGA ivoirien et largement diffusé sur les réseaux sociaux, il s’agirait plutôt de « relève de la Nationale support Élément (NSE) du Mali » décidé suivant la lettre N°2659-22/EMGA/D.POPS.B.OPX du 28 juin 2022. Qu’à cela ne tienne. À supposer que lz mission du 8e détachement NSE était «la sécurisation de la base logistique de la compagnie aérienne « Sahelian Aviation Services», la question qui taraude l’intelligence est : comment le ministère ivoirien sachant bien qu’avec l’embargo infligé au Mali les frontières terrestres et aériennes sont fermées planifie-t-il à partir d’une lettre datée du 28 juin 2022 la relève d’un contingent pour le 10 juillet de l’autre côté de la frontière ? Ou bien le ministère de la Défense, un ministère d’État de surcroît, confié à Téné Birahima Ouattara (Alias « Photocopie », petit frère adoré de ADO) était-il dans le secret des dieux de la CEDEAO pour la levée de l’embargo ? Dans ce cas, il est logique de penser que Photocopie a été mis dans le secret des Dieux de la CEDEAO par son grand-frère. Ce qui les lie tous deux à cette affaire bizarre de « mercenaires ».
Comme on le voit, le document qui a largement fait le tour des réseaux sociaux est une lettre interne des services ivoiriens (Ministère d’État à la défense, État-major général des armées). Mais rien ne prouve que le document a été bel et bien envoyé au Mali. Sur le sujet, le porte-parole de la Minusma, Olivier Salgado sur Twitter a donné des éléments de réponses à certaines préoccupations que la nouvelle a suscitée avec souvent des réserves :« d’après nos informations, leur relève du 10 juillet aurait été préalablement communiquée aux autorités nationales ». Or, le ministre porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, est pédagogique et catégorique : «pour en savoir davantage, des responsables des Forces de Défense et de Sécurité maliennes ont contacté immédiatement leurs homologues ivoiriens. Ces derniers ont affirmé qu’ils ignoraient tout de la présence des militaires ivoiriens interpellés au Mali… En outre, interrogée par les autorités maliennes, la MINUSMA a indiqué qu’elle n’avait pas de rotation prévue, le 10 Juillet 2022….
Le Gouvernement de la Transition, après une analyse des faits et sans préjuger de la suite qui sera réservée à cette affaire par les autorités judiciaires, a relevé les manquements et infractions suivants :
1. La non-information du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, par les canaux officiels, au sujet d’un déploiement de militaires ivoiriens… ».
Alors comment la Minusma qui dit n’avoir pas été informé de rotation prévue le 10 juillet 2022, affirme même sous conditionnel que la « relève du 10 juillet aurait été préalablement communiquée aux autorités nationales », si ce n’est pour mentir et salir les autorités maliennes ?
8è NSE ivoirien ?
Les 49 soldats ivoiriens sont-ils venus pour « la sécurisation de la base logistique de la compagnie aérienne « Sahelian Aviation Services » et la protection du contingent allemand » ? Peut-être. Mais pour son porte-parole, « le Gouvernement de la Transition rappelle que dans un cas comme dans l’autre des versions avancées par les militaires étrangers interpellés, le déploiement de personnel militaire ainsi que de leurs armements est rigoureusement encadré par des procédures qui n’ont pas été respectées ».
Supposons comme qui de mieux informé tel Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma, qui affirme que «ces soldats (centre de la controverse) «sont déployés depuis plusieurs années au Mali dans le cadre d’un appui logistique pour le compte de l’un de nos contingents.» Il s’agirait du «8e détachement NSE » ivoirien dans notre pays. C’est quoi un détachement NSE ?
Dans le cadre d’une mission militaire internationale, les Nationaux support Élément (NSE) sont de petits contingents nationaux qui sont déployés par chaque pays en appui de son propre contingent national sous mandat. Mais ces NSE ne font pas partie de la force (dans notre cas de la Minusma, comme l’a rappelé à juste raison Olivier Salgado).
En effet, dans le Dictionnaire des termes militaires et associés, NSE veut dire « élément de soutien national ». Il s’agit de «toute organisation ou activité nationale qui soutient les forces nationales qui font partie d’une force multinationale. Leur mission est un soutien national aux unités et un soutien commun qui est conservé par la nation ».
Toute chose qui corrobore exactement ce que dit la Minusma à travers son porte-parole à savoir : « les Éléments nationaux de Soutien (NSE) sont des effectifs nationaux déployés par les Pays Contributeurs de Troupes, en soutien à leurs contingents. Il s’agit d’une pratique communément appliquée dans les Missions de maintien de la paix. Ils ne sont pas comptabilisés dans les effectifs de la MINUSMA».
La question se pose alors de savoir comment le « 8e détachement NSE » ivoirien au Mali qui est censé être déployé par la Côte d’Ivoire (Pays contributeur) en soutien à son contingent à Tombouctou se retrouve à sécuriser la base logistique de la compagnie aérienne «Sahelian Aviation Services » à Bamako et à protéger le contingent allemand basé à Gao et fort de 1.100 élément qui seront renforcés de 300 hommes pour compenser le départ de Barkhane ?
Le ministre porte-parole du gouvernement n’a-t-il pas raison quand il dit : «le déploiement de personnel militaire ainsi que de leurs armements est rigoureusement encadré par des procédures qui n’ont pas été respectées » !
Crime de mercenariat
C’est au regard de divers manquements et infractions commis dans le cadre de leur déploiement que le Gouvernement souverain du Mali a considéré que les 49 militaires ivoiriens sont des mercenaires, tels que définis par la Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique. Celle-ci définit le mercenaire et le mercenariat en son article 1er :
« Le terme ‘’mercenaire’’ s’entend de toute personne :
a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;
b) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;
c) qui prend part aux hostilités en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle ;
d) qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ;
e) qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et
f) qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État.
2. Commet le crime de mercenariat l’individu, groupe ou association, les représentants de l’État ou l’État lui-même qui, dans le but d’opposer la violence armée à un processus d’autodétermination à la stabilité ou à l’intégrité territoriale d’un autre État, pratique l’un des actes suivants :
a) abriter, organiser, financer, assister, équiper, entraîner, promouvoir, soutenir ou employer de quelque façon que ce soit des bandes de mercenaires ;
b) s’enrôler, s’engager ou tenter de s’engager dans lesdites bandes;
c) permettre que dans les territoires soumis à sa souveraineté ou dans tout autre lieu sous son contrôle, se développent les activités mentionnées dans l’alinéa a) ou accorder des facilités de transit, transport ou autre opération des bandes susmentionnées.
3. Toute personne physique ou morale qui commet le crime de mercenariat tel que défini au paragraphe 1er du présent article, commet le crime contre la paix et la sécurité en Afrique et est punie comme tel. »
À cheval sur les principes de la légalité interne et externe, le gouvernement souverain du Mali a décidé un train de mesures dont :
– le recadrage de «l’activité de protection de la Compagnie aérienne « Sahelian Aviation Services ». Désormais celle-ci ne sera plus protégée par des forces étrangères sommées de déguerpir immédiat du territoire national, mais désormais par les forces de défense et de sécurité malienne, si bien sûr elle veut rester travailler au Mali.
– la transmission du dossier des 49 mercenaires interpellés dimanche aux autorités judiciaires compétentes, maliennes s’entend. En clair ces éléments seront jugés par les tribunaux maliens au moins pour :
«2. La violation flagrante des dispositions de l’article 38 du Code pénal malien incriminant les atteintes à la sûreté extérieure de l’État dont l’atteinte à l’intégrité du territoire ;
3. La violation de la législation relative à l’aviation civile qui dispose que:
3.1. Tous les vols ont l’obligation de produire le Manifeste passager et le manifeste cargo avant le décollage ;
3.2. Le manifeste doit faire ressortir l’identification de l’ensemble des passagers de chaque vol ;
4. La violation des dispositions concernant la conduite en douane d’une part et d’autre part de celles régissant le régime d’importation temporaire prévue par les dispositions des articles 112, 113, 269, 270 et 273 de la Loi 2022-013 du 23 juin 2022 portant Code des Douanes de la République du Mali. »
Accusation pesée…
Le porte-parole du gouvernement a-t-il évoqué une tentative de coup d’État ou de déstabilisation des institutions, comme dans sa prise de parole du 16 mai 2022 ? En tout cas, une redondante a permis à beaucoup d’observateurs de faire un parallèle entre les deux sorties. En effet, en reprenant mot pour mot « briser la dynamique de la refondation » auquel est ajouté « et de la sécurisation du Mali ainsi que du retour à l’ordre constitutionnel » le tout assaisonné avec un « dessein malsain » qui devient «funeste » dans le cas présent, le communiqué du gouvernement rappelle vaguement celui du 16 mai qui dénonçait une tentative de coup d’État.
En félicitant les vaillantes Forces de Défense et de Sécurité du Mali pour leur vigilance ; le gouvernement de transition ne rompt pas avec la rhétorique dénonciatrice et suspicieuse surtout « compte tenu des menaces et des risques », quand il fait appel à la collaboration de la Population et quand il l’exhorte à signaler aux Forces de Défense et de Sécurité tout fait suspect digne d’intérêt. Sommes-nous dans la démesure ? A-t-on tenu compte de tous les paramètres ?
Les préoccupations sécuritaires et leurs principes de précautions n’ont pas toutefois basculé le Mali, terre d’hospitalité et de fraternité, à adopter des mesures disproportionnées face à la situation.
Soucieux de la préservation des relations séculaires de fraternité entre le Peuple malien et le Peuple ivoirien, les autorités de la Transition se disent profondément solidaires de leurs homologues ivoiriens « certainement troublés par la présence illégale des quarante-neuf (49) militaires ivoiriens au Mali, « à l’insu et sans l’autorisation valable » des autorités ivoiriennes ». C’est pourquoi elles promettent de mener une enquête avec la coopération de la partie ivoirienne afin que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Mais ce qui est aussi certain, le temps pour des soldats étrangers avec armes et bagages de venir faire un coup d’État dans un autre pays est révolu.
PAR SIKOU BAH
Source : Info-Matin