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Adama Tiémoko Diarra, Secrétaire politique de l’Adema-Pasj : ‘’L’ouverture démocratique ne s’est pas accompagnée de culture démocratique’’

Le 2 avril 2022, l’Adema-Pasj a organisé, dans la salle des banquets du Centre International de Conférences de Bamako, un panel regroupant les acteurs du 26 mars 1991 sur les 31 ans d’exercice démocratique dans notre pays. Voici les propos introductifs du Secrétaire politique du parti, Adama Tiémoko Diarra.

 

Je dois commencer par dire que notre peuple a toujours joué un rôle avant-gardiste dans les luttes pour son émancipation et pour celle du peuple d’Afrique au sein des grands regroupements anticoloniaux et indépendantistes tels que : l’Union Tiémoko Garan Kouyaté, une union de lutte anticolonialiste, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), le parti de l’indépendance créé suite au Manifeste parlementaire de septembre 1946, le Parti Africain de l’indépendance (PAI), le Parti Malien du Travail ici représenté par Pr. Ali  Nouhoun Diallo entre autres, le Parti Malien de la Révolution et de la Démocratie (PMRD), auquel nous nous reconnaissons et dont les anciens clandestins sont ici en salle. Je vais citer le ministre Adama Samassékou,  Pr. Tiemoko Sangaré et Dr Chérif Cissé. Le Front Démocratique et Populaire Malien (FDPM) et les multiples composantes du mouvement démocratique que je ne citerai pas au risque d’en oublier.

Hommage aux martyrs de mars 1991 !

La lutte pour le progrès du peuple du Mali s’est aussi traduite par le soulèvement populaire de 1991 ayant permis de jeter les bases de notre jeune démocratie et de créer les conditions favorables au changement véritable de conditions de vie des Maliens à travers le multipartisme et l’instauration formelle de la liberté fondamentale. C’est l’occasion, à la suite de mes co-panélistes, de rendre hommage aux martyrs de mars 1991 et de dire que leur lutte ne sera pas vaine car pour moi la démocratie, en dépit du multipartisme et de multiples soubresauts, est irréversible.

Camarades panélistes et modérateur, pour répondre à votre question, elle reste chevillée au corps Mali. Pourquoi ? Parce que la démocratie, quelle qu’en soit la définition, se ramène à la notion de participation et nulle ne saurait et ne pourrait plus jamais gouverner sans cette participation des forces vives du pays. De nos jours, l’heure n’est certainement plus à la manifestation nostalgique pour la révolution de mars 1991, l’historique du mouvement démocratique originaire, l’heure est plutôt au bilan. A cet égard, force est de reconnaître qu’après 1991 et malgré nos engagements collectifs, maintes fois retirés pour le renforcement du processus démocratique, notre pays continue de connaître les soubresauts et de subir les menaces comme les coups d’Etats répétitifs. Le contexte actuel de la Transition en est une parfaite illustration. Après 31 ans de démocratie, notre pays continue de chercher le chemin de l’ancrage démocratique. Face à cette situation, la grille d’analyse du bilan des 31 ans peut se focaliser, pour ma part, sur les questionnements que je pose ci-dessous, qui constituent la quintessence de mon intervention en tant que panéliste.

Questionnements essentiels

Le multipartisme prôné et qui a favorisé la prolifération des partis politiques – plus de 200 partis politiques – assure-t-il le confort de notre démocratie et la gouvernance démocratique ? Les élections, en tant que baromètre de l’alternance démocratique, ont-elles été toujours inclusives, libres et transparentes ? Le modèle occidental de limitation décennale des mandats présidentiels est-il adapté au contexte socio-économique et culturel de notre pays ? Le fonctionnement démocratique répond-t-il aux besoins et aspirations de notre pays ? Quel est l’impact du moyen d’Etat ou du désengagement de l’Etat prôné dans les années 1980 et poursuivi à la faveur de l’ouverture démocratique vers l’ouverture de marché ? La justice tant réclamée par le mouvement démocratique est-elle distribuée à la satisfaction des citoyens ? Notre option pour une réelle démocratie représentative répond-t-elle aux attentes de nos populations à travers nos élus ? L’unité nationale et la culture du patriotisme si chères au président Modibo Keïta ont-elles été renforcées pendant l’ère démocratique ? Quelle articulation trouver entre démocratie et autorité de l’Etat ? Quelle doit être la place de la religion dans le jeu démocratique ? La décentralisation, étape incontournable du processus démocratique, a-t-elle atteint les objectifs escomptés,à savoir la promotion de la démocratie locale et du développement local ? Bref, la pratique démocratique pendant 31 ans répond-elle aux attentes des masses populaires ?

Chers participants, seules les réponses appropriées à ces questionnements pourraient permettre de procéder à une véritable catharsis de notre parcours démocratique de plus de trois décennies. Mon intention n’est pas de donner ici des réponses à ces questions dans le cadre de ce panel dont l’objectif est de planter le décor, d’introduire les débats qui se poursuivront au-delà de la rencontre d’aujourd’hui. Je ne m’appesantirai pas non plus sur les acquis de la démocratie qui sont énormes, contrairement à cette vision réductrice qui voudrait limiter les acquis de la démocratie à la seule floraison d’associations et de partis politiques.

En termes de bilan, notons qu’à l’avènement de la démocratie, notre pays comptait en tout 48 partis politiques, seulement 22 participaient aux élections locales et seulement 10 partis s’en sont sortis avec des élus. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 230 partis politiques avec moins de 20 partis pouvant se faire représenter à l’Assemblée nationale. Cela doit nous amener à nous interroger sur la pertinence de la carte politique de notre pays. En effet, l’ouverture démocratique ne s’est pas accompagnée de culture démocratique.

Cette culture démocratique, qui a manqué durant 31 ans, voudrait que les formations politiques intensifient la mobilisation pour assumer leur responsabilité citoyenne en prenant part à l’écriture de notre destin collectif. Force est de constater que ce manque de culture démocratique se manifeste au niveau des partis politiques qui ont connu des déchirements et des divisions, qui n’ont pas contribué à donner une bonne image à la politique et aux politiques. La conséquence est que les partis politiques sont taxés, à tort ou à raison, d’être à la base de toutes les dérives de notre démocratie. Les forces politiques et sociales que nous représentons ici, toutes issues du mouvement démocratique, ne sont jamais parvenues à jeter les bases d’une véritable unité d’action dans l’intérêt supérieur de la nation, d’où l’absence de cette unité nationale si chère à un des pères de l’indépendance, le président Modibo Kéita.

Droits et libertés, oui ! Devoir et responsabilité, non !

Si les droits et libertés étaient restreintes pendant le pouvoir militaire autoritaire, force est de reconnaître que l’ouverture démocratique a libéré les vannes des droits et libertés sans pour autant accorder de l’importance au devoir et à la responsabilité. Le devoir, en respectant les textes et la responsabilité, en répondant de ses actes, voilà ce qui a surtout manqué pendant 31 ans d’exercice démocratique et qui a fortement écorné l’autorité de l’Etat. Pendant 31 ans, la pratique démocratique s’est très souvent caractérisée par la mauvaise gouvernance.

De nos jours, les réflexions stratégiques portent sur la mise en place de l’Etat unitaire décentralisé à travers la régionalisation. Ces réflexions, qui doivent focaliser toutes notre  attention, sont au-delà de la démocratie des questions existentielles pour la nation malienne. La régionalisation tant clamée ne doit ni dégénérer sur le régionalisme encore moins sur le fédéralisme.

Il est vrai qu’en 1992, nous étions dans l’euphorie, donc les inattentions et les fautes ont été commises dans l’élaboration de certains textes qui nécessitent des révisions. Mais, au fond, notre pays se trouve surtout confronté à une crise de gouvernance. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la faillite du système de gouvernance démocratique et, donc, de la pratique démocratique et non de la démocratie elle-même. C’est pourquoi, je fais miennes les conclusions issues des différents fora, dont le Dialogue national inclusif, conclusions qui doivent permettre de s’entendre autour de ce que j’appelle un pacte de gouvernance. Il s’agira d’un pacte favorisant la promotion d’une gouvernance nouvelle astreinte à la redevabilité devant les administrés.

Les Maliens ont sûrement plus que jamais besoin de dirigeants intègres et dignes de confiance. Je voudrais avant de terminer, citer Socrate qui disait ceci : « la chute n’est pas un échec, l’échec c’est de rester là où on est tombé ». Je demeurerai donc convaincu que notre pays dispose encore de ressorts nécessaires capables d’assurer et de produire un sursaut national à travers le génie malien et notre riche héritage afin de guérir notre démocratie de sa maladie infantile.

Enfin le roi Guézo de l’ex-Dahomey ne disait-il pas que si tous les fils du royaume venaient par les assemblées boucher tous les trous de la jarre percée, le royaume serait sauvé. Alors, sauvons ensemble notre démocratie en péril !

Propos transcrits par Boubacar Idriss Diarra

Source : Le Challenger

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