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ADAMA SAMASSEKOU, DECORE PAR LA FRANCE « Il est urgent de mettre l’accent sur notre patrimoine immatériel »

Adama Samassékou, ancien ministre, a été fait médaillé d’or de la France des Arts et des lettres à titre étranger. Ici, il nous explique la symbolique de cette décoration et jette un regard critique sur notre culture.

Adama Samassekou ancien ministre mali

Les Echos : vous venez d’être fait officier des Arts et des Lettres par la France à titre étranger. Quel est le sentiment qui vous anime ?

Adama Samassékou : L’honneur est d’autant plus grand pour moi, plus connu des maliens comme militant de langues nationales, d’être décoré par la France. C’est symboliquement rendre hommage au combat que je mène pour nous langues nationales, pour notre identité nationale. C’est aussi montrer que défendre nos langues nationales n’est pas antinomique d’avec une reconnaissance par un pays dont la langue constitue la langue officielle de notre pays et pourrait être considéré comme la langue qui combat nos langues.

De ce point de vue la symbolique pour moi est forte. Elle montre simplement qu’il faut probablement admettre que l’on doit se donner toujours les moyens de dire ses convictions, de les défendre surtout quand il s’agit des questions identitaires.

Ceux qui m’ont côtoyé, savent que j’ai toujours prôné la primauté de nos langues sur les autres langues du monde y compris le français ; mais qu’en même temps, j’ai toujours prôné la défense de toutes les langues du monde, donc le respect de la diversité culturelle et linguistique. Donc, être reconnu par la France revêt pour moi une symbolique toute particulière.

 Les Echos : Justement, on vous a connu militants de Langues africaine. Vous avez dirigé l’Académie africaine des langues. Est-ce que vous pensez que nos langues sont en péril ?

A.S : En réalité nos langues font face aujourd’hui à des défis énormes. Le défi est celui de leur présence dans la nouvelle société en construction, qui est la société de l’information, de la connaissance et du savoir partagé. Il s’agit de donc l’utilisation par nos langues des technologies de l’information et de la communication.

Ce défi est d’autant plus grand que nos langues n’ont pas eu le temps d’être totalement instrumentalisé dans tout le domaine de la vie publique. D’ailleurs, la plus grande question est celle de leur statut en temps que langues de travail dans tous les domaines de la vie publique.

Mais, d’un autre côté, puisque le défi est grand, si nous arrivons à faire ce travail de capacitation de nos langues pour en faire les langues de l’internet, de langue de la toile on aurait raccourci le délai d’utilisation globale de nos langues dans tous les domaines de la vie publique.

Cependant, nous avons aujourd’hui plusieurs facteurs facilitant la relève de ce défi. Le premier, est que les outils existent. Nous avons plusieurs chercheurs qui individuellement, ont travaillé cette capacitation de nos langues depuis plusieurs années. Le plus célèbre étant Mamadou Doucouré dit V0 avec son équipe de Magdas qui ont aujourd’hui élaboré des logiciels de traitement de texte de la plus part de nos langues.

Un autre chercheur, Mamadou Houssouba, a créé un moteur de recherche en sonrhaï. Son ambition est de faire de Bamako un hub de formation en matière de localisation de nos langues africaines. Je pourrai citer aussi le professeur Emile Camara qui s’est occupé de logiciels didactique de langue de Bamanakan. Il y en beaucoup d’autre mais je me limite à ceux-là.

Par ailleurs nous avons le cadre institutionnel qui aujourd’hui est favorable, il y a, au niveau supérieur, de l’académie africaine des langues. Au Mali un document de politique linguistique a été adopté par le gouvernement en décembre dernier. Ce document établit les principes et donne les orientations pour l’utilisation de nos langues nationales dans tous les domaines de la vie publique, en partenariat avec la langue française.

Si ce projet de loi arrive à l’Assemblée nationale et qu’il est adopté, ça va être historique car le Mali sera le premier pays de l’espace francophone africain à se doter d’une politique linguistique explicite.

Nos langues sont permanemment en péril. Le premier péril, c’est leur non prise en compte dans le système éducatif. Tant qu’une langue n’est pas dans le système éducatif elle demeure en péril. J’ai coutume de dire que si on veut développer une langue on l’introduit dans le système éducatif, si on veut planifier sa mort on la maintien hors du système éducatif. Donc tant que nos langues ne sont pas utilisées à l’école pour que les enfants puissent se l’approprier de point de vue de l’écriture, de la connaissance, de la compréhension, on ne sortira pas de cette situation actuelle de péril.

Les Echos : Le patrimoine culturel malien a également été éprouvé. Est-ce vous pensez qu’il a été pris la mesure des menaces ? Comment vous voyez-vous une politique nationale de réhabilitation de ce patrimoine culturel national ?

A.S : Je crois qu’il y a un gros travail qui se fait actuellement au niveau du ministère de la culture pour véritablement assurer, créer les conditions d’une sauvegarde de notre patrimoine avec l’accompagnement actif de l’Unesco. Vous avez suivi évidemment tous le programme de restauration du patrimoine en danger, de patrimoine qui a été même agressé par les barbares dans la partie septentrionale de notre pays en particulier à Tombouctou et à Gao. Il y a un projet de sauvegarde des manuscrits de Tombouctou à travers leur numérisation. De vastes projets existent à plusieurs niveaux concernant même la traduction de ces manuscrits et leur exploitation en termes de recherche.

Une politique culturelle a été adaptée il y a quelques années. Elle est en révision par l’équipe actuelle du ministère. Je crois savoir que des états généraux de la culture sont en préparation.

Cependant, la dimension du patrimoine immatériel n’a pas été toujours prise en compte. Ce qui est visible c’est le patrimoine matériel, tangible à travers les mausolées, l’architecture etc. Mais il est fondamental que la dimension de sauvegarde du patrimoine immatériel soit une priorité pour le pays. Il est essentiel aujourd’hui, vital même, que l’on reprenne le chemin de la valorisation des traditions orales. Parce que nous sommes dans un monde de plus en plus globalisé qui interpelle nos pratiques.

Il devient urgent d’encrer l’éducation de notre jeunesse dans une meilleure connaissance des valeurs sociétales, des pratiques positives. Cela ne peut se faire qu’à travers une connaissance approfondie de notre tradition orale, depuis les légendes, mythes, récits jusqu’aux contes et dictons… qui font la richesse de notre humanitude « notre Maya ».

Si le processus d’officialisation des langues abouti par une loi, cela va créer un contexte extrêmement favorable au développement d’acteurs qui maitrisent, qui étudient, qui promeuvent leur langue.

Propos recueillis par

Alexis Kalambry

 

Source: Les Echos

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