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Abebe Aemro Selassie, directeur Afrique du FMI : « Aucun pays africain ne sera épargné par la crise économique »

Le directeur Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, s’inquiète de voir les Etats de la région « perdre leurs acquis de la dernière décennie en matière de développement ». Le Fonds monétaire international (FMI) évoque « une menace sans précédent pour le développement ». Dans ses prévisions économiques pour les pays d’Afrique subsaharienne, publiées mercredi 15 avril, l’organisation multilatérale confirme l’entrée en récession du continent, avec un recul du PIB de 1,6 % en 2020 – « le pire résultat jamais enregistré », selon les termes du rapport. Comme ailleurs dans le monde, la pandémie liée au coronavirus impose des défis majeurs et multiples aux Etats africains, en matière de financements et de réponses politiques. Pour Le Monde Afrique, le directeur du département Afrique du FMI, l’Ethiopien Abebe Aemro Selassie, commente les perspectives économiques d’un continent entré « en territoire inconnu ».

 

Quelles sont les répercussions de la pandémie sur les économies africaines ?

L’année 2020 s’annonce terrible pour l’économie de la région. Nous prévoyons une contraction d’environ 1,5 % du PIB des pays d’Afrique subsaharienne, même si de nombreuses incertitudes demeurent. Néanmoins, il y a deux éléments frappants dans la situation actuelle. Cette fois-ci, aucun pays africain ne sera épargné par la crise. Et c’est une différence majeure avec la crise financière de 2009, quand les pays de la région étaient moins intégrés à l’économie mondiale de marché.

Ensuite, les chocs économiques, internes et externes, sont multiples et plus graves. Les marchés financiers ne sont plus accessibles pour les pays africains et le cours des matières premières a chuté, ce qui va particulièrement frapper les pays exportateurs de pétrole. L’arrêt du tourisme va également durement affecter des îles comme les Seychelles, Maurice ou le Cap-Vert. Et les mesures de confinement prises par les gouvernements entraînent une rupture de la demande et de la production.

De nombreux Etats africains se sont déjà rapprochés du FMI afin d’obtenir des financements en urgence pour lutter contre le Covid-19. L’institution a t-elle les moyens de répondre à l’ensemble des demandes émises par ces gouvernements ?

La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a estimé à 100 milliards de dollars [environ 91 milliards d’euros] l’aide nécessaire pour l’ensemble du continent, ce qui semble tout à fait raisonnable. Dans ce contexte, le rôle du FMI est de mettre à disposition de nouveaux financements, sous la forme de prêts à taux zéro, le plus rapidement possible.

Actuellement, nous doublons le montant des ressources allouées en temps normal et les fonds sont débloqués en l’espace de quelques semaines. Par exemple, Madagascar a obtenu une aide en deux semaines, et c’est pareil pour le Rwanda. Au total, 32 pays africains ont demandé une aide d’urgence. Entre quatre à cinq pays hésitent à nous solliciter et sept à huit Etats ne l’ont pas encore fait. Nous avons déjà mobilisé environ 11,5 milliards de dollars en l’espace de cinq à six semaines. C’est sans précédent.

Quelles mesures immédiates peuvent être prises par les Etats africains afin d’éviter un effondrement économique ?

C’est une situation d’urgence qui nécessite d’abord que ces Etats mobilisent toutes leurs ressources pour soutenir leurs systèmes de santé et limiter la propagation du virus. Il est aussi important que les gouvernements puissent venir en aide aux populations les plus vulnérables, notamment celles qui travaillent dans le secteur informel. Il faut compenser leurs pertes de revenus par tous les moyens possibles. Dans certains cas, il faudra mettre en place une aide alimentaire ou des allocations sous la forme de transferts d’argent mobile pour toucher les plus démunis, comme au Togo.

Les Etats africains doivent augmenter leurs déficits autant que nécessaire pour aider temporairement les PME à affronter cette situation, notamment par des reports de charges. Malheureusement, ces mesures ne peuvent pas pour l’instant être généralisées comme dans les pays développés. C’est pour cela que nous intervenons afin d’augmenter leurs moyens par un allégement de dette.

Quels scénarios privilégiez-vous, dans les mois et les années à venir, pour la reprise de la croissance économique en Afrique ?

A court terme, il y aura des impacts négatifs sur les économies africaines, mais aussi sur le bien-être des populations. Mais nous ne connaissons pas encore l’ampleur des conséquences liées à la pandémie, ni la durée de l’arrêt des activités économiques à l’échelle mondiale. Nous espérons que cela ne dure pas plus d’un trimestre et que la période soit suivie d’un regain d’activité.

Mais pour l’instant, nous sommes véritablement en territoire inconnu. Nous avons donc besoin d’être proactifs à mesure que nous en savons davantage sur l’ampleur de la crise. Notre principale inquiétude est de voir les pays de la région perdre leurs acquis de la dernière décennie en matière de développement. C’est pour cela que nous devons nous assurer que l’Afrique ne retourne pas en arrière.

Mariama Darame,

Le monde afrique

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