L’accusé Abdou Hakim Mbacké Bao n’est pas allé par quatre chemins pour assumer ses actes. Poursuivi pour actes de terrorisme, association de malfaiteurs par menace en relation avec une entreprise, financement du terrorisme et blanchiment de capitaux.
A la question du président de savoir s’il reconnait les faits, l’accusé, sans réfléchir, rétorque : « j’ai été surpris par le contenu de l’ordonnance de renvoi. Mais, je reconnais que j’ai fréquenté un groupe de malfrats ». Surpris par la réponse, ses avocats volent à son secours en lui demandant de s’exprimer en wolof.
Il revient ensuite sur les conditions qui l’ont conduit à se rendre au nord du Mali. En effet, les temps étaient durs pour lui à Dakar. N’arrivant pas à résoudre ses problèmes financiers, il perd complètement espoir et fait la connaissance d’un Tunisien répondant au nom de Annas. Ce dernier lui avait conseillé d’aller au Nord Mali et d’y rejoindre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il lui disait que les membres de ce groupe pourraient l’aider à se faire beaucoup d’argent. Ce qu’il fait.
« J’ai eu à surveiller des prisonniers pour le compte d’AQMI »
« J’avais besoin d’argent parce que la commercialisation des produits ne marchait pas beaucoup. Je suis allé là-bas parce que je voulais faire deux à trois mois pour avoir de l’argent. Au Mali, ils m’ont amené dans un camp d’entraînement, me disant que je devais suivre une formation pour le maniement des armes et l’étude du Coran. Quand ils ont visité mon sac, ils ont relevé une contradiction sur mon identité. Parce que le nom que j’avais déclaré et celui qui était dans mes papiers ne correspondaient pas, on me prenait pour un espion », a raconté l’accusé. Qui avoue qu’il était dans un camp.
« J’ai reçu une formation en explosifs. J’ai été entraîné sur l’utilisation de la kalachnikov, du lance-roquette, et des grenades. Ils ont récupéré des bombes de l’armée régulière et ils les disséquaient pour en faire d’autres utilisations. Et je ne suis pas un professionnel pour faire exploser un bâtiment. J’ai été juste initié. Je maîtrise le maniement de toutes les armes. J’ai participé au combat au côté de QMI, mais je n’ai tué aucun militaire malien. Si j’ai intégré ce groupe, ce n’était pas pour faire le jihad mais pour obtenir beaucoup d’argent », s’est défendu le bonhomme. Non sans ajouter : « j’ai eu à surveiller des prisonniers pour le compte d’Aqmi. C’était des Occidentaux, un Hollandais, un Suédois et un Sud-africain. Dans le camp, il m’arrivait de former des personnes au maniement des armes. J’ai pu initier une quarantaine de djihadistes ».
« Comment ont fait exploser des véhicules et des bâtiments »
Dans le même sillage, Abdou a donné la preuve de son expérience quant à la fabrication d’explosifs. Même s’il dit être un initié en la matière, ses explications renseignent que c’est une personne qui s’y connaît. « La combinaison du nitrate d’ammonium, du gas-oil et du produit jaune permet de piéger les véhicules. Avec une petite quantité du TNT, on peut faire exploser les véhicules légers. Pour faire exploser les voitures militaires, il faut utiliser une grande quantité de TNT. On utilisait les mines antichars contre les véhicules de combats. Les obus sont tirés de façon artisanale contre les militaires. S’agissant des candidats pour l’attentat au suicide, je précise que ces derniers portent des gilets avec des poches remplis d’explosifs mélangés à ce produit jaunâtre et du nitrate », explique-t-il. Toutefois, il précise : « je n’ai pas fabriqué des bombes mais j’assistais à la démonstration ».
L’accusé a été incapable de donner la définition du jihad en islam. « Le jihad n’est pas aimé par les gens. D’après certains, il fait partie de l’islam. C’est accidentellement que j’ai été au Mali », soutient-il.
Ses déclarations faites devant le prétoire sont en contradiction avec celles tenues à l’enquête. Face aux enquêteurs, il disait que le jihad était une bonne chose et qu’il était quitte avec sa conscience parce qu’il l’avait déjà accomplie.
Hier, par contre, l’accusé avait un comportement tellement bizarre que le juge tout comme son avocat Me Ousmane Thiam, lui ont demandé s’il jouissait de toutes ses facultés.
« Je ne souffre d’aucune maladie. Je suis sain d’esprit », a-t-il répondu dans un premier temps, avant de revenir sur ses déclarations en révélant : « j’ai séjourné pendant deux mois au pavillon spécial de l’hôpital principal de Dakar pour des raisons psychiques. J’ai été également interné à l’hôpital Fann pour des mêmes raisons »
« Je ne pratique plus la religion, ma foi s’est atténuée »
Aujourd’hui, Abdou Hakim dit regretter ses actes. « Je suis convaincu que les membres du Groupe d’Aqmi sont des malfaiteurs. Je n’en fais pas partie parce que je l’ai intégré accidentellement. Durant mon séjour dans le camp, je n’ai jamais posé un explosif, je n’ai jamais tué. Je regrette d’avoir intégré ce groupe. Je ne le referai jamais », confesse-t-il.
Ce qui fait mal, c’est qu’il est rentré au Sénégal avec peu d’argent alors qu’on lui avait promis une richesse. « Après mon séjour, on m’a remis 3 billets de 500 euros et 150 mille francs cfa. Mais, je suis rentré avec zéro franc. Tout mon argent m’a été pris au Mali », révèle-t-il. Il indique également qu’il ne pratique plus convenablement la religion musulmane depuis qu’il est retourné au bercail.
« Je pratiquais régulièrement ma religion. Actuellement, je ne pratique pas. J’ai perdu ma foi. Ma foi s’est atténuée ».
Suspendue, l’audience reprend aujourd’hui.
Libération