Cette perte est lourde. Inattendue comme toujours la mort a frappé à la porte de la science malienne, emportant coup sur coup les professeurs Gangali Diallo et Ogobara Doumbo. La vicieuse, pour se rendre plus perfide, fait annoncer la mort du professeur Doumbo le jour de celle du Professeur Diallo. Le démenti plus tard est une maigre consolation : on sait que le Professeur Doumbo est gravement atteint, qu’il est évacué, qu’il est sous respiration artificielle… puis quelques jours plus tard vint la nouvelle fatale. Et nous n’étions malgré tout pas préparés ! Le deuxième coup au cœur a malgré tout frappé avec son inexorable violence. Qu’elle soit faite la volonté du Seigneur.
J’ai suivi de plus près le parcours du Professeur Ogobara Doumbo. Le patron des NIH (National Institutes of Health) Harold Elliot Varmus est venu au Mali et a donné une Conférence à l’Ecole de Médecine ; j’y avais été en tant que Ministre des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique. À une question d’un étudiant sur le paludisme, ce Prix Nobel de Médecine 1989, patron de la plus grande structure de recherche au monde, de répondre : «je n’oserai pas parler du paludisme en présence du Professeur Ogobara Doumbo, l’un des plus grands spécialistes, si ce n’est le plus grand, de la question au monde !»
C’était ma deuxième rencontre avec le Professeur après ma visite à son laboratoire à la Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, où le détour est de rigueur pour les hôtes de marque. Mais il était tout à fait naturel que le nom du Professeur Doumbo figurât en haut de la liste des 10 meilleurs Enseignants de l’année 1996.
La Première Dame de l’époque, madame Adam Ba Konaré, lui a remis une attestation au cours de la cérémonie qu’elle a organisée à Koulouba lors de la première édition du Festival des Élèves et Étudiants (FESTEL). L’immense talent, l’homme de science hors pair, le scientifique de renommée mondiale avec son humilité légendaire a toujours considéré cette reconnaissance comme celle qui lui a ouvert la voie à toutes les autres et n’a eu cesse de le redire à toutes les cérémonies – et elles ont été légion ! – où on célébrait son parcours unique !
Dans les années 2000 un des Élèves du Professeur Doumbo a fait une publication dans la revue américaine ou tous les scientifiques américains et du monde rêvent de se faire publier, la revue Nature. Un de ses encadreurs l’a accompagné jusqu’à Bamako pour le présenter aux autorités du Mali et attirer leur attention sur la perle rare dont disposait notre pays et dont il pouvait se glorifier. Le jeune à l’époque, aujourd’hui le Professeur Abdoulaye Djimde était de l’équipe du Professeur Ogobara Doumbo. J’ai demandé et obtenu dans une communication verbale au Conseil des ministres que le jeune docteur soit décoré et que tout son groupe soit recruté à la Fonction Publique.
Récemment, lors de mon bref passage à la tête de l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique, j’ai eu l’honneur de faire nommer le Professeur Ogobara Doumbo Président du Conseil de l’Université de Ségou, comme ses pairs, les professeurs Abdoul Karim Koumaré, Doulaye Konaté à la tête d’autres universités pour donner des modèles et des repères à notre jeunesse estudiantine et faire respecter nos universités à travers le monde. Et les rendre plus performantes !
J’ai eu l’honneur d’être présent à Paris à la cérémonie où le Professeur Ogobara Doumbo recevait le Prix International de l’INSERM. Quelle fierté ! Je l’ai vu surtout dans le laboratoire du Professeur Didier Raoult que l’on m’a présenté comme le plus grand au monde dans son domaine et où il passait un séjour de recherche. J’ai vu le respect et l’estime avec lesquels ses pairs de l’Occident s’adressaient au scientifique malien ! La dernière fois que j’ai vu le Professeur Ogobara Doumbo ce fut à la Primature à Bamako. Le Professeur Doulaye Konaté pilotait une Commission de réflexion sur l’éducation en vue de l’organisation d’un forum. Il s’était entouré de grands spécialistes de la question. Naturellement, le Professeur Doumbo en était.
Le Professeur Doulaye m’a fait l’honneur de m’inviter à une rencontre avec sa Commission en ma qualité d’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. C’est au cours de cette rencontre que le Professeur Ogobara Doumbo me remit solennellement un DVD sur le Paludisme prévu pour l’enseignement à distance. Des spécialistes français de l’enseignement à distance étaient venus me voir quand je dirigeais encore le département de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et je les ai mis en contact avec le Professeur. Ils ont compris aux échanges qu’ils ont eus avec lui, aux propositions qu’il avait faites, qu’ils avaient un interlocuteur plus que de taille. Et je n’étais pas peu fier ! Mais je suis parti entre-temps et n’ai plus suivi l’évolution des choses qui avaient continué leur petit bonhomme de chemin et avaient réalisé dans le domaine du paludisme le DVD que le Professeur m’a remis avec force mots de courtoisie et de reconnaissance qui me sont allés droit au cœur, surtout devant un tel aréopage !
J’ai visionné le DVD. Elle avait raison l’animatrice de RFI qui un jour a dit, parlant du Professeur Doumbo, qu’il avait l’art de vous expliquer si simplement les choses compliquées que vous en éprouviez le sentiment d’être devenu intelligent ! Cette immense capacité pédagogique et scientifique manquera à tout jamais à tes Élèves, à tes collègues, à tous ceux qui t’ont écouté, à la science africaine et mondiale.
Dors en paix, Professeur !
Ton Centre d’Excellence, le Malaria Research and Training Center (MRTC) qu’ont visité des Nobel de Médecine et les hommes politiques les plus puissants au monde, dont le Secrétaire d’Etat Collin Powell, restera orphelin de ta présence physique mais ton nom consacrera à jamais sa présence au monde et il continuera de briller car tu as travaillé à la relève ! Dors en paix dans la conscience du devoir accompli !
Le sommet de la falaise s’est effondré quand s’est éteint le souffle du jeune savant,
L’herbe tendre sur notre île de fierté dense s’est recouverte du brouillard de la mort,
Les professeurs Diallo et Doumbo s’en sont allés.
Notre pays sans repères vogue,
Nous, politiciens sans talent l’avons fait vague et veule,
Soyez-lui la torche qui illumine la voie, Vous maîtres authentiques,
Magnifiques la main dans la main dans cette ethnie que vous vous êtes créée
Et où l’on n’accède pas à l’énoncé simple d’un nom que le hasard donne,
Où à force de travail et de patience l’on se forge son nom unique : Doumbo, Diallo, Kamian, Ouologuem, Kouyate Ba…
Vous êtes les maîtres magnifiques de votre art
Honneur et reconnaissance éternelle seront à tout jamais votre part !
Bamako, le 12 juin 2018,
Moustapha Dicko Ancien ministre