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À Bamako : Le sexe ne connaît pas la crise

Aussi vieux que le monde, le travail de sexe est une activité qui prend de l’ampleur de nos jours. Se pratiquant sous diverses formes, le travail de sexe est pour ces commerçantes qui ont élu domicile dans les bars, boîtes de nuits et sur les trottoirs, un énorme business. Mais bien que dégradant, ce phénomène s’avère important pour la société.

 

Il est 21h56 mn. Le tronçon Byblos sur la route de Koulikoro, en passant par la « Rue bla-bla », en face de la Pâtisserie Express au quartier Hippodrome en commune II de Bamako,  grouille de monde. Des jeunes filles bien habillées vont et viennent et n’hésitent pas à aborder les passants : on les appelle « les filles de joie » ou encore « les belles de nuit ». Pour elles, le sexe constitue une source de revenus. Parmi elles, une qui attire particulièrement l’attention, bien taillée avec une silhouette attirante et vêtue d’une petite culotte noire cintrée avec en dessus une chemisette rose bien dessinée. Belle, avec son sourire envoûtant, Angélique vient de gagner son premier client de la soirée. Une voiture noire à vitres fumées s’arrête devant la jeune dame. Juste un simple klaxon et la prostituée se retrouve à bord. Pas besoin de grands discours. La bagnole du client d’Angélique prend la direction d’une auberge non loin des lieux.
Autour de cette auberge, il y avait de jeunes prostituées attendant de potentiels clients. Dans les bars, restaurants et surtout les boîtes de nuit, le phénomène est plus remarquable. Là, les serveuses semblent se mélanger aux travailleuses de sexe. On peut y entrer en solo, prendre un verre et ressortir en couple. « Avec une fille de joie, on assouvit ses fantasmes. On arrive à dépasser les limites. Ce sont des femmes qui assurent très bien et puis, elles ne sont pas hypocrites avec vous », affirme  Bakarin, un habitué des lieux. Pour  Salif, il n’y a pas meilleur endroit pour faire des choses ‘‘fou’’ que chez les prostituées.  À  l’entendre, il n’y a pas de tabou chez les filles de joie et toutes les limites peuvent être franchies avec elles. « Avec une prostituée, j’arrive à aller au troisième voire au quatre tour alors que ce n’est pas pareil avec ma femme », mentionne-t-il. « La première fois de ma vie ou j’ai eu de fortes sensations de plaisir, c’est quand une prostituée m’a fait ‘‘la pipe’’, c’était tellement fort que je ne pouvais plus me contenir. Ma femme n’acceptera jamais de me faire ça, alors, je prends du plaisir chez les filles de joie », ajoute Salif. D’ailleurs, nombreux sont ces hommes qui vont dans ces lieux à la recherche de belles de nuit pour ces genres de fantasmes. La stratégie est simple. Dès que vous pénétrez la boîte de nuit en solo, une d’entre elles, encore libre, se rapproche de vous et la causerie commence pour des fins bien connues. Dans l’autre cas, ce sont les filles mêmes qui attendent seules, sur une des tables. Et il suffit de les rejoindre.

De bonnes affaires pour les propriétaires de bars
La fréquentation des bars climatisés ou non et des boîtes de nuit par certains hommes est souvent conditionnée par la présence et la qualité des travailleuses de sexe qui s’y trouvent. Et, ce sont les propriétaires de ces bars et clubs qui font de bonnes affaires. Ainsi, pour faire prospérer leurs entreprises, certains promoteurs de bars, clubs ou boîtes de nuit se voient dans l’obligation de mettre à contribution des travailleuses de sexe, qui viennent à des heures précises dans le bar en vue d’attirer les hommes désireux d’avoir une bonne compagnie ou de satisfaire leur libido. « Grâce à elles, je note un nombre croissant de gens qui viennent prendre de la bière dans mon bar », confirme Etienne, un promoteur de bar de la place. Il poursuit en expliquant qu’avec ces filles, il arrive à réaliser de bons chiffres d’affaires, puisque non seulement elles font venir des clients mais aussi elles se font payer ou payent également des boissons.
Tout comme Ali, nombreux sont ces promoteurs de bars et boîtes de nuit qui, d’un commun accord avec les belles de nuit, arrivent à faire d’énormes bénéfices. « Les clients qui viennent pour étancher leur soif et partir n’achètent pas la même quantité de boissons que ceux qui viennent seuls ou en groupe pour faire la fête avec les belles de nuit. Là, le nombre de boissons est considérable », mentionne Chaka, promoteur de bar. Il a par ailleurs ajouté que parfois, des groupes d’individus faisant la fiesta avec des filles de joie achètent jusqu’à 500 000 F CFA de boissons. « Sans les belles de nuit, l’ambiance ici serait navrante. Il n’y aura même pas de monde dans mon bar », signale-t-il. Tout en faisant réaliser de bonnes affaires aux promoteurs de bars, buvettes et autres boîtes de nuit, les prostituées de leur côté, réussissent à mener une vie d’aisance.
Pour réussir sa vie, Alima n’a pas trouvé meilleur moyen que de se prostituer. D’après ses confidences, tous les moyens sont bons pour attirer les hommes (ses clients). « Avec l’aide d’une amie dans le métier qui m’a amenée chez son charlatan, j’ai commencé par trouver de plus en plus de clients. Et pas des moindres. Ce sont de richissimes hommes qui me procurent tous ce dont j’ai besoin », déclare-t-elle.

Aujourd’hui, elle mène une vie aisée et ne se rend dans les bars, buvettes et autres boîtes de nuit que pour retrouver ses clients fidèles qui lui font appel quand ils ont besoin de ses services. « Je vis ma vie comme je l’entends. J’ai un appartement et une voiture pour mes déplacements. Celui qui me paie le loyer est là et un coup de fil suffit pour assurer l’entretien de ma voiture … », ajoute-t-elle. Dans ses déballages, Djènè a aussi révélé que le prix auquel elle se laisse faire dépend de la personnalité qui se trouve devant elle et varie de 50 000F CFA à 100 000F Cfa. « Si celui qui me désire ne peut pas me payer le prix que je demande, il passe son chemin », affirme-t-elle. Mais, peu sont les prostituées qui mènent une vie pareille à celle de Djènè. La majorité d’entre elles se contentent de ce qu’elles trouvent sur le terrain et leur prix varie de 3000F CFA  à 10 000F CFA et ceci suivant leur emplacement (lieu où elles exercent leur métier) ou selon que c’est avec ou sans préservatif.

Des activités parallèles pour sauver l’apparence

Les belles de nuit sont nombreuses et passent dans la journée, pour la plupart, pour des anges pour leur voisinage immédiat. Mais certaines, démasquées et rejetées par leurs parents ou voisins sont obligées de mener une activité parallèle pour cacher leur jeu. Ceci de peur de subir les injures, les critiques et commentaires de tous genres. C’est le cas de Diami, propriétaire d’une boutique de vente de produits cosmétiques. Pour elle, c’est la seule façon de cacher la vie qu’elle mène la nuit et de surcroît, passer pour une personne normale et responsable. « Pour remédier aux petites difficultés dans ma boutique de divers et accroître mon chiffre d’affaires, je fais mes ‘’biz’’ (rapport sexuel payant) », dit-elle. Poursuivant dans le même sens,  Astan, patronne coiffeuse, révèle qu’elle se prostitue non pas pour l’argent mais pour le plaisir. « Ce n’est pas pour l’argent que je me prostitue, c’est par envie et je ne couche pas avec n’importe qui. Je le fais seulement avec ceux qui sont responsables et peuvent me donner des opportunités dans ma profession. L’argent est en dernière position », affirme-t-elle.

Entre le plaisir et le délit

Mais, contrairement à Astan, la plupart des filles et femmes qui s’adonnent au métier du sexe, le font pour en retour gagner de l’argent. D’ailleurs, pour le pasteur Augustin Diarra, utiliser le sexe comme instrument de commerce, est un péché devant Dieu. « La Bible dit dans 1 Corinthiens 4v3, ce que Dieu veut, c’est votre sanctification, c’est que vous vous abstenez de l’impudicité », a-t-il expliqué. Selon ses dires, il n’y a pas de raisons qui puisent pousser une femme à vendre son sexe. Néanmoins, a-t-il déclaré, il y a des filles qui le font parce qu’elles ont été envoûtées. Quel que soit le cas, le travail de sexe a des conséquences graves sur la santé de celles qui s’y adonnent et de leurs clients. « Outre les IST (Infections sexuellement transmissible) et les maladies sexuellement transmissibles (MST), il y a des conséquences sur le plan moral et social. Ce qui est encore grave, c’est qu’elles consomment des stupéfiants », confie le docteur Kassambra. Il poursuit en expliquant : « la consommation des stupéfiants détruit le corps et lorsqu’elles vieillissent, elles se retrouvent dans une situation pitoyable. En dépit de tout, il leur faut des suivis médicaux car, il y a beaucoup de maladies et d’infections qui circulent ». Contrairement à ces avis, le psychologue Gilbert Diarra soutient que le travail du sexe joue un rôle très important pour l’équilibre de la société. Selon lui, au plan morphologique, les hommes ne sont pas faits de la même manière. « Il y a des hommes qui ont le contact facile avec les femmes alors qu’il y en a d’autres qui sont introvertis, repliés sur eux-mêmes. La travailleuse de sexe, que son interlocuteur soit bandit, maladif, vilain ou beau, rien de tout cela ne l’intéresse à part son argent. Certains hommes s’y adonnent parce qu’ils fuient la responsabilité, car lorsqu’il va chez la pute, il n’a pas besoin de connaître son cycle », explique-t-il. De plus, il note que si l’on se débarrasse de ces femmes, il faut alors trouver une solution de substitution. Il continue : « C’est impossible d’arrêter ça. Si les travailleuses de sexe arrivaient à disparaître, il est clair que le taux de viol va augmenter ». De même, remarque-t-il, en ce qui concerne les prostituées, la répétition crée l’habitude et peu à peu, elles deviennent dépendantes. Diaby, un fidèle client laisse entendre : « il est parfois mieux d’aller vers les travailleuses de sexe que de se laisser à une pute cachée qui te montre un visage innocent alors qu’en dehors de toi, elle a encore plus de 5 autres hommes dans sa vie ». Si certains pensent que cette activité est à encourager, d’autres sont carrément contre. « Le sexe n’a pas une valeur marchande », soutient le prêcheur Bandiougou. Pour lui, les prostituées n’ont aucune importance pour la société quel que soit ce qui pousse les hommes à aller vers elles. « Il faut réfléchir pour trouver une solution pour ce mal car, l’homme qui serait capable du viol parce qu’il n’y a pas de prostitués est anormal. Toute une société ne peux pas fonctionner en tenant compte de gens malades », a-t-il expliqué. Daouda a pour sa part signalé l’existence de ce phénomène qui, autrefois, n’avait pas cette ampleur, et déplore la multiplication des auberges qui facilite les rencontres. « Ça existait, mais pas comme aujourd’hui où on peut les voir dans tout les coins de rue avec la multiplication des chambres de passe et surtout les bars ». Il a aussi souligné que les travailleuses de sexe sont exposées à des esprits maléfiques et que ces derniers agissent aussi bien sur elles que sur leurs clients. « Elles peuvent être possédées par des esprits et ceux-ci peuvent agir sur l’homme et lui attirer la malchance. Cela peut alors entraîner des échecs répétés dans la vie de ceux qui les fréquentent. Si l’homme même avait des esprits qui le perturbaient et qu’il s’approche d’une femme qui a des esprits plus forts que les siens, cela peut s’aggraver », déclare-t-il. Certes, chacun a ses raisons en ce qui concerne le travail de sexe. Pendant ce temps, les belles de nuit procurent la joie à leurs clients au prix de nombreux désagréments qui en résultent pour les deux parties. Mais là, c’est toute une autre histoire.

Youssouf Konaré et Arouna Traoré

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