Malgré les multiples promesses d’enquêtes et de justice faites par les autorités de la transition, suite aux tueries de juillet 2020, les victimes et leurs parents n’ont encore vu que poussière. Pourquoi ? Lisez notre dossier.
En juillet 2020, la répression des manifestants du M5-RFP a causé la mort d’au moins 12 personnes et engendré 300 autres blessées, selon plusieurs organisations de défense des droits humains. Trois ans après ces violations graves des droits de l’homme, le dossier est toujours à la traine et les victimes attendent de la transition que justice soit faite.
Il s’agit des manifestants, des passants et des membres des forces de sécurité selon plusieurs sources. Les faits de violation de leur droit étant avérés, le dossier traine toujours et les victimes attendent impatiemment que justice soit faite et qu’elles soient mises dans leur droit par les autorités.
Cette crise politique faisait suite à une décision de la Cour constitutionnelle qui en avril a donné au parti au pouvoir une majorité parlementaire sur la base d’élection truquée, ainsi que par un taux de chômage élevé, une instabilité persistante dans le nord et le centre du Mali et surtout la mauvaise gouvernance. Malgré les efforts de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour désamorcer la crise, les manifestations ont continué et des tueries ont eu lieu.
« Les violences récentes qui ont secoué la capitale ont laissé dans leur sillage un cortège effroyable de morts et de blessés. Le recours excessif à la force par les forces de sécurité a clairement contribué à ce lourd bilan », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à HumanRights Watch.
En effet, les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus, à Bamako et par téléphone, avec 26 personnes ayant connaissance de ces événements, dont 19 témoins, ainsi qu’avec des responsables gouvernementaux, des journalistes, des dirigeants du M5-RFP et des spécialistes de la sécurité.
Selon un communiqué gouvernemental, la violence aurait fait 303 blessés, 176 manifestants ou passants, et 127 membres des forces de sécurité.
Un communiqué du M5-RFP a déclaré que les forces de sécurité étaient responsables de la mort de 23 personnes, toutes ayant succombé à des tirs à balle réelle.
D’après des témoins et une déclaration de l’Africa Media Development Foundation, une organisation non gouvernementale, « plusieurs journalistes ont été agressés à la fois par des manifestants et des membres des forces de sécurité, et l’ORTM considérablement pillée ou vandalisée ».
Selon l’Agence France Presse et l’ONU, deux enfants figuraient parmi les victimes.
Des témoins ont indiqué que le 10 juillet, deux personnes ont été tuées par balles près de l’Assemblée nationale et des bureaux de la radio nationale. La plupart de ces témoins estimaient qu’il s’agissait de balles perdues. « J’ai vu les corps de deux jeunes gens après qu’ils aient été abattus… l’un dans la tête, l’autre à l’estomac », a affirmé un témoin. « Les deux sont décédés sur place. »
Le 11 juillet, des membres des forces de sécurité ont abattu au moins 12 personnes dans le quartier de Badalabougou, trois ayant été tuées par ceux qui gardaient le domicile de l’ancienne présidente de la Cour constitutionnelle. « J’ai vu deux jeunes s’effondrer, l’un atteint à la tête, l’autre à la poitrine », a déclaré un témoin. « Un troisième a été gravement blessé à l’estomac. Nous l’avons conduit à moto à l’hôpital, mais il n’a pas survécu. »
Des membres des forces de sécurité ont tué au moins neuf personnes par balles après que leur véhicule s’est retrouvé coincé dans un caniveau dont la dalle a été retirée, près de la mosquée de l’Imam Mahmoud Dicko.
Selon des témoins, des membres paniqués des forces de sécurité ont tiré sur les manifestants alors qu’ils s’approchaient du véhicule, tuant six d’entre eux, et d’autres qui prenaient la fuite. « Ils ont continué à tirer alors que nous courions vers la mosquée », a relaté un témoin. « Trois personnes ont perdu beaucoup de sang… elles sont ensuite décédées, à l’intérieur de la mosquée. »
Quant à la MINUSMA, Conformément à son Mandat de promotion et de protection des droits de l’Homme, elle dit avoir déployé, du 20 juillet au 17 août 2020, une mission spéciale d’établissement des faits, composée de 30 chargés de droits de l’Homme, un chargé de la protection de l’enfance et de deux experts scientifiques de la Police des Nations Unies , dans le but d’enquêter sur les allégations de violations et atteintes aux droits de l’Homme durant les évènements qui se sont produits à Bamako et dans certaines régions du Mali du 10 au 13 juillet 2020. Dans le cadre de cette enquête spéciale, indique la Minusma, l’équipe a eu des entretiens avec les victimes, témoins directs et indirects et/ou les membres de leurs familles, les leaders du Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), les groupements de femmes et de jeunes ainsi que des membres des organisations de la société civile de Bamako et de Sikasso et le personnel médical des hôpitaux et centres de santé.
La Minusma a fait savoir que l’équipe a également eu des séances de travail avec les Ministres de la sécurité et de la protection civile, de la justice et des droits de l’Homme, le Président de l’Assemblée nationale, les Gouverneurs de Bamako et de Sikasso, les responsables des services de Police, de la Gendarmerie ainsi que les autorités judiciaires et certaines personnalités visées par les contestations populaires.
Selon son communiqué, « l’équipe a aussi examiné et analysé plus de 50 supports vidéo ainsi qu’au moins 220 clichés photographiques de la Police technique et scientifique ». La Minusma précise avoir examiné plus de 350 publications sur les réseaux sociaux et autres médias, notamment les déclarations, discours et commentaires, surtout ceux susceptibles d’inciter à la haine et à la violence. Par ailleurs, ajoute le communiqué de la Minusma, l’équipe de l’enquête a visité les principaux sites et endroits où se sont déroulés les incidents, notamment l’Assemblée nationale, l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM), la mosquée de l’Imam Dicko à Badalabougou, la résidence de la Présidente de la Cour Constitutionnelle à Badalabougou, le siège de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Dicko, le siège du Rassemblement pour le Mali, le Tribunal de la Commune V de Bamako ainsi que les stations-service pillées dans différents quartiers de Bamako.
«Au terme de cette mission d’enquête, la MINUSMA est en mesure d’établir que, les 10, 11, 12 et 13 juillet à Bamako, quatorze manifestants, tous de sexe masculin, dont deux enfants, ont été tués lors des interventions des forces de maintien de l’ordre, notamment la Gendarmerie nationale, la Police nationale, la Garde nationale et la Force Spéciale Anti-Terroriste (FORSAT) qui, dans certains cas, ont fait un usage excessif de la force. Au moins 40 manifestants ont été blessés lors de l’intervention des forces de l’ordre et 118 agents des forces de défense et de sécurité parmi lesquels 81 fonctionnaires de police, ont été blessés du fait d’actes de violence imputables aux manifestants. Au moins 200 personnes (dont six femmes et sept enfants) ont été arrêtées et détenues arbitrairement à Bamako, respectivement à la Brigade de recherche de la gendarmerie de Bamako (au Camp 1) ainsi que dans les commissariats de police des 3e, 7e et 10e arrondissements de Bamako dans le cadre de ces évènements. Toutes ces personnes ont par la suite été libérées, le 13 juillet 2020, sur instruction des parquets d’attache », révèle la Minusma.
Aux dires de la Mission onusienne au Mali, ces violations et atteintes aux droits de l’Homme se sont notamment déroulées entre autres, à l’ORTM, aux alentours de l’Assemblée nationale, dans le quartier de Badalabougou aux alentours de la résidence de l’Imam Dicko et celle de l’ancienne Présidente de la Cour Constitutionnelle.
Pour la Minusma, ces faits constituent des violations et atteintes aux droits de l’homme, y compris des exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires et des atteintes au droit à l’intégrité physique et morale. « Entre le 10 et le 13 juillet, des manifestants ont vandalisé, pillé et incendié différents sites ainsi que des biens publics et privés et ont érigé des barricades sur certains axes routiers de la ville. Au regard de la loi malienne, ces actes constituent des violations du Code pénal national et sont punissables par les juridictions compétentes. Toutes les preuves et autres documentions collectées au cours de l’enquête de la MINUSMA seront mises à la disposition des autorités judiciaires à leur requête et conformément au protocole établi », révèle le communiqué signé par le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la MINUSMA, Mahamat Saleh ANNADIF.
Le 11 juillet, le président Keita avait promis que la lumière serait faite sur ces incidents meurtriers, et le 14, le bureau du Premier ministre a annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’utilisation présumée de la Force antiterroriste d’élite (FORSAT) lors des manifestations.
Lors d’une rencontre avec le ministre délégué de l’action humanitaire, de la solidarité, des déplacés et des réfugiés, Imam Oumarou DIARRA a dit qu’une « loi d’indemnisation est en cours d’élaboration pour prendre en charge toutes les victimes du Mali, aussi bien celles des 10, 11 et 12 juillet 2020. La prise en charge financière et autres seront effectuées par le ministère de la Réconciliation et de la Paix au Mali », a-t-il précisé avant de demander aux responsables du collectif (Daouda Magassa de la CMAS, Seydou DOUMBIA, Président du collectif, Abdoulaye SIDIE, porte-parole) de dresser une liste définitive des victimes.
Le sacrifice de ces manifestants a conduit à la chute du régime IBK et à l’avènement de cette transition militaire qui disait avoir « parachevé la lutte des manifestants ». La moindre des choses serait que les autorités rendent publique les conclusions de ces enquêtes et faire traduire en justice toutes les personnes impliquées dans ces violences. Elles devraient aussi redoubler d’efforts dans la lutte contre l’impunité, et continuer à assurer le respect du droit international des droits de l’Homme.
Pour éviter de telle bavure à l’avenir, le gouvernement de transition devrait aussi ordonner aux forces de sécurité de respecter les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes létales par ceux qui sont responsables de l’application des textes et lois. Ces Principes de base stipulent que « les forces de sécurité auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu » et que chaque fois que l’usage légitime de la force ou des armes à feu est inévitable, les responsables de l’application des lois devront en user avec modération et leur action doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre.
En vertu de ces directives, ils devront en outre s’efforcer de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et de respecter et préserver la vie humaine. Ils ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.
Au moment où nous mettons sous presse, nous venons d’être informés de la tenue, demain mercredi 12 juillet, d’une journée commémorative des victimes de juillet 2020 par l’imam DICKO et la CMAS. Pour rappel, depuis 2021, l’imam et ses partisans interpellent la justice et les autorités à rendre justice pour ces victimes chaque année à la même date avec la lecture de coran et des bénédictions.
Le Coordinateur Général de la CMAS, Youssouf D. DIAWARA dit que son mouvement et son parrain n’oublieront jamais les victimes et ne se reposeront que lorsque justice sera rendue pour leurs camarades.
Kaloum Info du mardi 11 juillet 2023: Albadia H. DICKO