Alors que le président Obama entame une visite très attendue en Arabie saoudite ce mercredi, un débat fait rage aux États-Unis autour d’un rapport secret qui mettrait en évidence un rôle du royaume dans les attentats du 11-Septembre.
Vingt-huit pages qui sentent le soufre. Une partie encore classée du rapport de la commission d’enquête américaine sur le 11-Septembre, publié en 2003 et uniquement consultable par les membres du Congrès américain, continue d’entretenir les suspicions et les rumeurs les plus folles sur les attentats qui ont changé la face du monde, et surtout celle du Moyen-Orient.
Vingt-huit pages qui évoqueraient, selon certains responsables américains, le rôle joué par des parties étrangères dans les attaques, notamment par l’Arabie saoudite, pays d’origine de 15 des 19 pirates de l’air impliqués en 2001.
Quand l’ombre des pétrodollars saoudiens plane sur le 11-Septembre
Un reportage traitant de ces fameuses pages, récemment diffusé par la chaîne américaine CBS dans le cadre de l’émission “60 minutes”, a provoqué une onde de choc aux États-Unis. L’ancien sénateur Bob Graham, qui a contribué à la rédaction du rapport en question, y fait des déclarations extrêmement embarrassantes pour Riyad. Selon lui, une partie de ces 28 pages pourrait mettre en lumière un possible soutien saoudien aux pirates du 11-Septembre.
Lorsque le journaliste Steve Kroft lui demande de préciser ce qu’il veut dire par “un soutien saoudien”, “vous voulez dire le gouvernement… des personnes riches dans le pays … des associations de charité ?”, sa réponse est sans appel : “Une combinaison de tout cela”, réplique Bob Graham.
Si officiellement, côté américain, aucune implication directe des autorités saoudiennes n’a jamais été démontrée dans les attentats revendiqués par Al-Qaïda, Riyad est fréquemment accusé, en Occident, de financer des mouvements extrémistes et d’avoir favorisé la propagation du salafisme dans le monde arabe.
Les déclarations de l’ancien sénateur ont renforcé les suspicions des familles des victimes du 11-Septembre. Elles sont de plus en plus persuadées que l’administration américaine leur cache des informations cruciales au nom de la realpolitik. Les parties secrètes du rapport auraient été publiées depuis longtemps si elles n’étaient pas compromettantes, plaident-elles dans les médias américains.
Sous pression depuis la diffusion de cette émission et par les demandes répétées des familles et de certains élus, dont Nancy Pelosi, la chef de la minorité démocrate au Congrès, de déclassifier ces pages secrètes, Barack Obama est sorti de son silence, lundi 18 avril. Interrogé sur l’antenne de CBS, le président américain, qui a entamé, mercredi 20 avril, une visite en Arabie saoudite, a révélé que de haut-responsables américains étaient en train d’étudier les documents classés sur le 11-Septembre.
Il a cependant précisé que James Clapper, le coordonnateur du renseignement américain, était en train de s’assurer que les documents qui seront susceptibles d’être déclassifiés ne porteront pas atteinte aux intérêts de sécurité nationale des États-Unis.
Un projet de loi qui fait enrager Riyad
Et pour cause, l’affaire des pages secrètes est revenue sur le devant de la scène à la faveur d’un projet de loi proposé par John Cornyn, sénateur républicain du Texas, et Chuck Schumer, élu démocrate de l’État de New York, qui irrite au plus haut point le royaume wahhabite, et met dans l’embarras l’administration Obama.
Le texte, qui a reçu le soutien d’élus démocrates et républicains, permettrait à des citoyens américains victimes du terrorisme de poursuivre des gouvernements étrangers afin d’obtenir des dédommagements. Jusqu’à présent, la loi américaine garantit une immunité juridique aux États étrangers à l’intérieur du système judiciaire des États-Unis. Concrètement, si le texte est adopté – il a passé le comité judiciaire du Sénat en janvier sans amendement – , des dirigeants saoudiens pourraient être traduits devant des tribunaux américains. D’où l’importance capitale, aux yeux des familles, du contenu secret du rapport de 2003.
Sans surprise, le projet de loi, (“The Justice Against Sponsors of Terrorism Act” en anglais), qui s’est invité dans le débat de la campagne présidentielle et qui a reçu l’appui de la démocrate Hillary Clinton, suscite déjà des frictions entre Washington et Riyad. Et les Saoudiens, qui se sentent implicitement visés par le texte, sont déterminés à faire échouer l’adoption d’une telle loi, à laquelle même Barack Obama est opposé.
Selon le New York Times, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, aurait menacé, lors d’une visite à Washington effectuée le mois dernier, de vendre quelque 750 milliards de dollars en bons du Trésor américain et autres actifs et biens détenus aux États-Unis.
Realpolitk contre vérité
Selon des médias américains, le secrétaire d’État, John Kerry, avait prévenu des élus que la loi, par ricochet, “pourrait exposer les États-Unis à des poursuites en justice” et “créer un terrible précédent”.
“Notre inquiétude par rapport à cette loi n’est pas liée à son impact sur nos relations avec un pays en particulier, elle est liée à un principe important du droit international : l’immunité des États”, a précisé de son côté, Josh Earnest, porte-parole de la Maison Blanche. Il a précisé que Barack Obama ne promulguera pas une telle loi.
Mais visiblement, il n’est pas uniquement question de principes de droit international pour la Maison Blanche. Josh Earnest a en effet rappelé l’attachement des États-Unis “à la préservation de la stabilité du système financier mondial”, alors qu’il était interrogé au sujet des menaces de rétorsion saoudiennes.
L’un des auteurs du texte de loi controversé, le sénateur John Cornyn, a exprimé ses “doutes” sur le fait que les Saoudiens “puissent mettre ces menaces à exécution”, tout en affirmant qu’il ne fallait pas “laisser des pays étrangers dicter la politique interne des États-Unis”. Il a dit ne pas comprendre pourquoi Riyad est sur la défensive. “À moins qu’il y ait quelque chose dans ces 28 pages classifiées qu’ils redoutent et dont nous n’avons pas connaissance”.
Realpolitik contre soif de vérité, le débat va devoir être tranché par Washington, même si nul n’imagine, vu les intérêts financiers et géostratégiques en jeu, une remise en question brutale d’une alliance historique entre Washington et Riyad. Et ce, même si leurs relations ne sont plus aussi harmonieuses que par le passé, et que les États-Unis ont donné leur feu vert à un retour sur le devant de la scène internationale du rival iranien, honni par la monarchie wahhabite.