«Cinq guerres pour un empire»… C’est le titre du rapport que l’association française Survie publie, quelques jours avant le sommet Afrique-France prévu à Bamako vendredi et samedi prochains.
«Cinq guerres», ce sont les cinq opérations militaires que la France a lancées en Afrique depuis six ans, de la Libye à la Centrafrique en passant par le Mali. Quel bilan peut-on faire du quinquennat de François Hollande en Afrique ? Le porte-parole de Survie, Yanis Thomas, répond aux questions de RFI.
RFI : le fait majeur du quinquennat de François Hollande en Afrique, c’est l’opération militaire Serval au Mali en janvier 2013. Vous critiquez ce nouvel interventionnisme militaire français en Afrique, mais en même temps vous reconnaissez que sans Serval la situation aurait peut-être été pire.
Yanis Thomas : On parle avec des « si ». Factuellement, il se trouve que l’intervention au Mali a été massive. Vraiment c’est un retour en force du militaire au sol dans un pays africain. Et, une conséquence directe, c’est que dans sa progression dans le nord du Mali, la France s’est appuyée sur le Mouvement national de libération de l’Azawad, en fait l’un des groupes armés qui avaient mis le pays en crise. Et donc il est extrêmement difficile de comprendre comment la France, prétendant aller aider à la résolution de la crise, s’allie à un des groupes qui l’a créée. Et de ce fait, il y a toujours un point de tension au nord du Mali à l’heure actuelle du fait de cette stratégie militaire.
Mais n’était-il pas normal que les Français cherchent des alliés contre les jihadistes ?
Non, pas forcément normal, le MNLA ayant été à l’origine de la crise. C’est un des points condamnables, selon nous, de l’opération Serval, que de remettre en scène ce parti politique, qui aura des conséquences assez dramatiques pour la résolution politique de la crise.
Jusqu’à aujourd’hui, vous pensez ?
Oui, jusqu’à aujourd’hui, dans la mesure où ce maintien d’un point de tension a empêché de résoudre la crise depuis 2013. Alors tout n’est pas lié à cet aspect, mais c’est un des aspects importants de la répercussion de l’opération Serval.
Mais comme vous envisagez vous-même l’hypothèse, est-ce que la situation ne serait pas pire aujourd’hui si personne n’était intervenu en janvier 2013 contre les jihadistes ?
Une autre intervention aurait pu être possible. D’autant plus qu’on le voit maintenant, la présence massive de soldats français n’a pas empêché les combats. Et la résurgence même des combats à l’heure actuelle et des violences, au Mali mais aussi dans le reste de la sous-région, est extrêmement problématique.
Avec Barkhane, le successeur de Serval, la France, dites-vous, se donne le droit d’intervenir quand et où elle le souhaite. Mais est-ce que la France n’intervient pas tout de même avec l’accord des pays concernés, voire même de leur Parlement qui vote dans ces cas-là ?
C’est toujours le point litigieux. C’est jusqu’à quel point la France est capable de faire plier les pays africains en question. Quand on a le cas du Mali ou du Niger, ce qui est assez problématique c’est l’indépendance totale de l’armée française qui a une capacité d’action autonome vis-à-vis du pouvoir de Bamako ou de Niamey, ce qui est problématique en termes de souveraineté. Et donc, cette pratique militaire autonome qui vaut aussi peut-être pour les Américains qui s’installent notamment à Agadez, peut avoir des répercussions néfastes sur le ressentiment des Nigériens et des Maliens.
Mais l’opération Serval n’a-t-elle pas été validée par un vote largement majoritaire à l’Assemblée nationale à Bamako ?
L’opération Serval, oui. Mais vous parlez de vote. Pour ce qui est de l’opération Barkhane, pour le coup cette opération n’a absolument pas été validée du côté français. C’est-à-dire que cette opération de très grande envergure dans tout cet arc sahélien n’a jamais été votée par la représentation française. C’est-à-dire que le gouvernement français est passé complètement sur l’article 35 de la Constitution et donc nous sommes en présence d’une opération véritablement anticonstitutionnelle.
Je reviens au vote des députés maliens en faveur de Serval. Pourquoi dites-vous que la France intervient où elle veut et quand elle veut, si les Maliens demandent cette intervention française ?
Effectivement, on a d’ailleurs vu des scènes de liesse au moment de l’arrivée de l’intervention française. Certaines voix se sont quand même élevées. Aminata Traoré, par exemple, avait pris position contre cette intervention et à l’heure actuelle, ce point de l’alliance entre la France et le MNLA crée du ressentiment pour les Maliens.
Donc votre rapport, vous observez de près aussi l’opération Sangaris en Centrafrique et vous dénoncez ce que vous appelé « le jeu trouble de la France entre les Séléka du nord et les anti-Balaka du sud ».
Il y a tout d’abord, effectivement, la question de l’émergence de la Séléka, la question de comment la France est positionnée vis-à-vis de ce mouvement armé en lien avec son allié tchadien. C’est-à-dire que la Séléka est particulièrement soutenue par le Tchad – ce qui sert de base arrière à ce mouvement – et la France a comme allié principal dans la zone le régime dictatorial d’Idriss Déby au Tchad. Et donc la question qu’on pose dans ce rapport, c’est : est-ce qu’à un moment – en décembre 2012, juste avant le lancement de l’opération offensive de la Séléka sur Bangui –
il n’y a pas eu un deal, un marché, un pacte qui a été fait entre le régime tchadien et François Hollande ?
Il y a un tête-à-tête entre les deux hommes le 5 décembre, si mes souvenirs sont bons, en 2012. Est-ce qu’il n’y a pas un pacte : Idriss Déby aide la France dans son intervention future au Mali – ce qui a été le cas ; une intervention en milliers d’hommes au Mali – et en contrepartie la France laisse Idriss Déby déstabiliser le régime de François Bozizé au sud ?
Donc c’est ce lien trouble qu’il est extrêmement important de creuser. D’autant plus que par la suite, en décembre 20013, la France va cantonner des armées – d’abord les Séléka – ce qui va amener à une explosion de violence vis-à-vis notamment de la communauté musulmane à Bangui et dans le reste du pays. Donc c’est un des aspects particulièrement critiquables de cette opération.
Au final, est-ce pour vous Nicolas Sarkozy et François Hollande c’est la même chose ou il y a une différence en Afrique ?
Source: RFI