ENJEUX. Quatre mois après le début de la guerre en Ukraine, le président ukrainien n’a pas mâché ses mots face à ses homologues africains ce lundi 20 juin.
L’Afrique est l’otage de ceux qui ont déclenché la guerre contre notre État. » Devant des responsables de l’Union africaine dont quatre chefs d’État, réunis pour une réunion virtuelle, lundi 20 juin, Volodymyr Zelensky s’est lancé, par visioconférence, dans un vibrant plaidoyer en faveur d’un autre récit de la guerre. « Oui, c’est la guerre. La guerre de la Russie contre nous. Il ne s’agit pas d’une crise […], c’est une guerre brutale. Avez-vous entendu parler de tout cela par vos partenaires russes avec qui vous êtes restés en contact ? a t-il lancé. Je suis persuadé qu’ils vous disent tout le contraire. Mais il faut dire qu’ils ont besoin de cette crise, qu’ils maintiennent sciemment, délibérément, ils se servent de vous ! Ces sanctions ne sont là que pour empêcher la Russie de nous réduire en esclaves », a dit Zelensky à ses pairs. Des mots qui font forcément écho en Afrique mais qui ne présagent en rien d’un revirement de position de l’Afrique. Au tout début de la guerre, l’Ukraine et particulièrement ses dirigeants s’étaient attiré les foudres de l’Union africaine après la diffusion de plusieurs témoignages de ressortissants africains qui se disaient victimes de racisme, images à l’appui.
Pénurie de céréales et ports ukrainiens toujours bloqués
Ce lundi, son plaidoyer avait donc clairement un double objectif : obtenir un soutien diplomatique et politique des dirigeants africains. Comme il a fait ces derniers mois devant d’autres responsables du monde, le dirigeant ukrainien a martelé à plusieurs reprises que les conséquences de la guerre sont le fait de la Russie. « Cette guerre peut sembler très lointaine pour vous et vos pays. Mais les prix des denrées alimentaires qui augmentent de manière catastrophique ont déjà amené (la guerre) dans les foyers de millions de familles africaines », a-t-il déclaré. Le niveau « injuste » des prix alimentaires « provoqué par la guerre russe […] se fait douloureusement sentir sur tous les continents », a déploré le président ukrainien.
En effet, une douzaine de pays africains, dont le Sénégal, dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour au moins la moitié de leurs importations de blé, selon la FAO. Plusieurs pays africains ressentent les effets combinés du retard des exportations de céréales et de la hausse des prix du carburant.
Le président Zelensky a indiqué que des « négociations difficiles » étaient en cours pour débloquer les ports ukrainiens, où des millions de tonnes de céréales ne peuvent actuellement être exportées vers l’Afrique en raison du blocus de la flotte russe en mer Noire. « Il n’y a pas encore de progrès », a-t-il admis, estimant que « la crise alimentaire dans le monde durera tant que cette guerre coloniale continuera ». « Aucun véritable outil n’a encore été trouvé pour s’assurer que la Russie n’attaque pas (les ports) à nouveau », a déploré Volodymyr Zelensky, pour qui « se débarrasser de la menace de la famine » est « notre mission numéro un ».
L’Ukraine, avec ses partenaires, « essaye de construire une nouvelle logistique d’approvisionnement » des céréales vers les pays africains et d’autres continents, a-t-il détaillé, « les organisations internationales n’étant pas en mesure d’influencer » la Russie, selon lui, « pour rétablir la sécurité (alimentaire) internationale ».
Un renforcement des liens avec les pays africains
Volodymyr Zelensky a dit par ailleurs vouloir « intensifier » le dialogue avec les États membres de l’Union africaine, en nommant prochainement un « représentant spécial de l’Ukraine pour l’Afrique ». Il a aussi proposé de préparer une « grande conférence politique et économique Ukraine-Afrique ». La Russie a fait des percées en Afrique par le biais d’alliances militaires et de contrats d’armement. En 2019, le président russe Vladimir Poutine a accueilli des dizaines de dirigeants africains à Sotchi dans le but de réaffirmer l’influence de la Russie sur le continent. Mais surtout le 7 avril dernier, date du vote de suspension de la Russie devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, la moitié des États africains s’étaient abstenus.
Le président sénégalais Macky Sall, qui assure aussi actuellement la présidence de l’UA et s’est rendu en Russie il y a peu, a salué sur Twitter « l’adresse conviviale » de Zelensky, réaffirmant que « l’Afrique rest(ait) attachée au respect des règles du droit international, à la résolution pacifique des conflits et à la liberté du commerce ». Début juin, à Sotchi, le président sénégalais a enjoint à Vladimir Poutine de « prendre conscience » que l’Afrique était « victime » de la guerre en Ukraine. Tout en rappelant que les tensions alimentaires avaient été aggravées par les sanctions prises contre Moscou, renvoyant aux Occidentaux une partie des responsabilités.
Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’organisation panafricaine, a lui aussi indiqué que l’UA avait « réitéré (sa) position sur la nécessité urgente d’un dialogue » pour « mettre fin au conflit afin de permettre le retour de la paix dans la région et de rétablir la stabilité mondiale ».
Par Le Point Afrique (avec AFP)