Depuis 2012, a éclaté au Mali, une crise sécuritaire sans précédent. Cette situation a impacté, presque, tous les domaines d’activité. Les éleveurs ne sont pas épargnés qui font face, actuellement, à une recrudescence des vols de leurs animaux. Les bandits évoluent, presque, en toute impunité et continuent de narguer les propriétaires qui s’avouent impuissants face au phénomène.
A Bamako, dans le quartier de Diatoula, la ferme de Thierno Bathily, qui comptait 38 têtes de bœufs, a été victime de vol, récemment. Mamadou Lah, un proche des propriétaires de la ferme, soutient que c’est l’ancien berger et son gang qui ont organisé le vol. Les voleurs ont enlevé les animaux tard dans la nuit. Suite à la déclaration de perte à la police, deux voleurs ont été attrapés et 27 bœufs retrouvés. Le reste du troupeau, soit 11 bêtes, demeure introuvable.
Le président de la Fédération nationale de lait (FENALAIT), Abou Niangadou, affirme être en contact avec les bergers qui conduisent les animaux dans la zone de Kasséla, afin d’alerter les forces de sécurité sur les vols de bétail. Il a évoqué l’arrestation d’une dame, confondue parce qu’elle cachait de la viande de bœuf dans le coffre de son véhicule. La dame incriminée a été interpellée par le commandant de brigade de la localité. Ce dernier lui aurait demandé d’ouvrir son coffre. Elle aurait catégoriquement refusé, prétextant que « ça ne peut pas s’ouvrir ». Le gendarme a forcé le coffre et trouvé la viande de deux bœufs. La dame a été immédiatement arrêtée.
Massiré Niangadou est commerçant au marché à bétail de Niamana. Il a été lui, aussi, victime du vol de ses animaux. Il évoque le cas d’un grand voleur qui résiderait en Guinée Conakry. « Entre 2014 et 2015, les complices de ce bandit ont volé plus de 1500 têtes de bétail de Bamako. Ils les acheminait chez leur chef, en Guinée Conakry », accuse-t-il, poursuivant qu’ « heureusement, le voleur a été arrêté grâce à la collaboration du ministère de l’Elevage du Mali et des autorités guinéennes ».
CRI DE CŒUR DES ELEVEURS– « Dans ma localité, il existe deux sortes de vol. Soit, le voleur s’accapare du troupeau dans la brousse, à l’insu du propriétaire, ou encore, il braque, arme aux poings, le propriétaire et disparaît avec les animaux », témoigne le président de l’Union des éleveurs de la Commune rurale de Aljounob, Cercle de Goundam (Région de Tombouctou), Mohamed Ag Issa.
Né et grandi dans l’élevage, le quadragénaire précise que sa communauté connaît des vols fréquents de bétail, depuis le début de la crise. Les bandits n’hésitent pas à braquer avec des armes de guerre. Souvent, ils emportent les bêtes à bord de véhicules4x4. « Toute l’opération s’effectue sous les yeux du propriétaire impuissant », raconte-t-il, ajoutant que nul n’est à l’abri de vol dans sa localité.
Mohamed Ag Issa possède 100 moutons, 80 vaches, trois chameaux et cinq ânes. Selon lui, la plupart des animaux volés sont acheminés vers la Mauritanie. Il a ajouté que certains éleveurs chanceux récupèrent leurs animaux. « Si l’information est diffusée à temps, les communautés environnantes aident le propriétaire à récupérer son troupeau ou bien, dans certains cas, les animaux s’échappent et retournent chez leur propriétaire », a-t-il expliqué.
Pour remédier à la situation, Mohamed Ag Issa estime qu’une fois informées des vols, les autorités doivent accélérer la traque des voleurs, avant leur entrée en Mauritanie. Il invite « les autorités mauritaniennes à renforcer le contrôle des animaux à leur frontière ».
Mohamed Ali Ag Mohamed Assaleh est éleveur lui, aussi, dans la Commune rurale de Aljounob. Il fait remarquer que ces vols créent des difficultés entre les communautés. Le sexagénaire assure que la plupart des braqueurs sont connus dans les communautés. Ce propriétaire de 60 têtes de vaches, 40 chèvres, 4 ânes et un chameau explique la fréquence des vols de bétail par l’isolement de son hameau. « Il faut trois jours pour que le propriétaire puisse informer les autorités du vol », relève-t-il. Ce temps suffit aux voleurs pour arriver à destination.
Le Réseau des peuples pasteurs du Sahel (RPPS) œuvre pour le bien-être des éleveurs au Mali. Son président national, Aboubacrine Ag Mohamed Mitta, reconnaît l’ampleur de la situation. Il invite les autorités à collaborer avec les communautés concernées afin de mettre fin à la pratique.
« Dans la Région de Ségou, les localités de Niono, Nampala, Sokolo et Macina sont les plus exposées au vol de bétail », révèle le représentant d’un groupe d’éleveurs de Ségou qui a gardé l’anonymat. Il affirme que l’identité de ces voleurs reste toujours inconnue des communautés. Et il se plaint de l’impunité des voleurs. « La sécurité et la justice doivent être appliquées partout. L’autorité de l’Etat doit être bien réinstallée partout. Cela permettra de rassurer les citoyens », martèle-t-il.
De son côté, le représentant du RPPS de Mopti, Amadou Gamby, soutient que la situation est catastrophique à Mopti. Les vols de bétail sont monnaie courante et, souvent, les bandits assassinent les propriétaires avant d’emmener les animaux. Il impute la situation à la prolifération des groupes armés et l’absence des Forces armées et de sécurité en certains endroits.
« Ce n’est plus le vol mais, plutôt, l’enlèvement des troupeaux. Ils détournent carrément des centaines et des milliers de têtes pour les vendre dans les pays limitrophes », déplore le président de la Chambre d’agriculture du district de Bamako, Sanoussi Bouya Sylla. Face à la situation, M. Sylla estime qu’il urge d’élaborer une loi incriminant ces vols. C’est le seul moyen, selon lui, de réduire la pratique.
Il a rappelé que le processus avait été entamé avec un ancien ministre de l’Agriculture, mais depuis le départ de celui-ci du gouvernement, plus rien. « Cette loi nous donnerait un argument juridique dans notre combat », estime-t-il, invitant les parlementaires éleveurs à élaborer un projet de loi dans ce sens.
Selon lui, le hic de la situation est que trois jours après l’arrestation d’un voleur, ce dernier recouvre la liberté avec le système actuel de justice. « Les voleurs ont même l’habitude de nous dire que même si on les fait arrêter, ils ont des entrées là-bas », se désole-t-il.
MFD/MD
(AMAP)