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Vie en zone aurifère : L’envers du décor

Bamako, 20 février (AMAP) Le soleil se lève sur la grosse bourgade de Kéniéba. Le vent frais du petit matin apporte les premières vagues de poussière de la journée. Les mines ne sont pas loin et la longue journée de travail commence bientôt. Ceux qui y sont employés savent que le retard n’est pas toléré. Comme à l’école des temps anciens, les chefs d’équipe font l’appel, avant de rappeler les objectifs de la journée. Avant le regroupement des miniers, les habitants du quartier de Lafiabougou et ceux du quartier I s’activent, après une courte nuit dans les mains de Morphée. Ils sortent un à un de leurs logements. On dirait que chaque habitant possède une moto. Les habits sont déjà couverts de poussière. Le travail est rude dans les mines. Si le salaire est attractif, il faut bien le mériter. Le temps passe vite. Il faut se hâter à avaler le petit déjeuner.

Abdoul Aziz, moniteur d’engins lourds vient d’opter pour le pain à la mayonnaise, avec du café au lait. Dans le quartier, les uns cherchent de quoi réveiller l’estomac, les autres courent rejoindre leur poste de travail. Les bus et mini bus passent et repassent. Des hommes en tenue de chantier grimpent à chaque arrêt. « Mon car est arrivé, je dois y aller. Au revoir monsieur le journaliste » lâche Abdoul qui ferme derrière lui la porte coulissante du bus surmonté d’un gyrophare. Un morceau de tissus jaune flotte au bout d’une tige fixée sur le pare-choc avant du véhicule.

Ce jeudi matin de janvier, il fait légèrement frais. Un vent de poussière continue à lessiver les visages. D’autres 4×4 activent les gyrophares. Avant 6 heures du matin, tous doivent être au poste. L’or n’attend pas. Les enjeux sont gros. Les sociétés minières mettent le paquet pour gagner le maximum. C’est la règle du jeu. Karamoko, lui, s’est dirigé tout droit chez un autre vendeur de café au lait. Comme tous les matins, il est au rendez-vous. Même heure, même menu. C’est son rituel. “On a pas le choix” lance le maintenancier avant de s’adresser au tenancier de la cafétéria du bord de la route. En peu de mots, il lance sa commande. Il honore quelques minutes, plus tard, sans ménagement, la miche de pain à la mayonnaise, avant de l’arroser d’un verre de café au lait bien chaud. La journée peut démarrer en toute sérénité avec un ventre en béton.

Comme tous les camarades de sa génération, il possède une grosse moto de marque asiatique qu’il a achetée, quelques mois plutôt. Plus qu’un moyen de déplacement, la moto est un signe de réussite sociale et individuelle. Généralement, avec le revenu des premiers grammes d’or écoulés sur le marché noir, c’est la moto et le téléphone portable tactile qu’il faut acheter. Le reste peut bien attendre. Ceux à qui l’or a davantage souri vont jusqu’à l’Apache, une moto de tendance réputée robuste et “bling bling”. Son coût frôle le million.

Le jeune homme enfourche sa bécane. Il grimpe l’engin d’un trait. Direction : la broussaille. Nous l’y avons accompagné pour comprendre les techniques d’exploitation des sites d’orpaillage traditionnel. Deux systèmes existent dans notre pays: le dragage fluvial et les puits. Le premier se pratique sur les cours d’eau et le second sur la terre ferme

Karamoko est une célébrité locale étonnante. A chaque virage, son nom sonne dans la bouche d’un passant. Kara est en effet d’un commerce agréable. Philosophe, il aime répéter que la vie n’est rien. “An be gnogon bolo”, cette phrase usée à l’ivresse dans le milieu juvénile est devenu son leitmotiv. La moto chinoise crache du feu. Kara la poussa à la lisière de ses capacités motrices. Derrières des buissons, se cache l’industrie locale d’extraction d’or.

Les moyens sont rudimentaires certes mais leur efficacité ne souffre d’aucun doute. Rudimentaires ? C’est peut-être trop dire. En vérité, les sites orpaillage rivalisent d’ingéniosité pour aller plus vite et plus loin. Tout est pratiquement mécanisé. Ils utilisent des moteurs de type Mercedes pour remonter la boue qui sera traitée par une autre machine pour en extraire le métal jaune.

COMME A LA LOTERIE – Karamoko est à la tête d’une petite équipe de jeunes prêts à tout donner pour extraire l’or des entrailles de la terre. Volontiers, il explique comment c’est fait. « Nous sommes très nombreux ici à venir d’ailleurs. Beaucoup d’entre nous sont venus depuis plus d’un mois. Il faut avoir deux éléments essentiels pour travailler: la machine de concassage et les produits chimiques. Certains possèdent des puits. Eux, ce sont les patrons. Ils font travailler des gens et ils sont payés au prorata des gains ». Interrogé sur ses gains, Kara se montre volontairement évasif. « Vous savez, dit-il, c’est Dieu qui donne. On peut gagner des centaines de grammes ou ne rien gagner du tout. C’est une question de chance ».

En vérité, notre jeune orpailleur n’est pas à son coup d’essai. Depuis quelques années, il sillonne les sites sans jamais tomber sur un filon. Comme à la loterie, il creuse sans jamais pouvoir améliorer les conditions de vie de sa famille. Sa fiancée l’attend toujours dans son village. Les cérémonies du mariage n’attendent que l’or qu’il n’a pas encore trouvé. « Je continue à tout donner. C’est Dieu qui sait », confie Kara, fataliste.

Sur l’utilisation des produits frappés de prohibition partielle (cyanure) ou cannabis (totale), il est également peu bavard. Pourtant, il est quasiment impossible de tirer profit de cette activité sans utiliser le cyanure pour extraire l’or de la boue et le cannabis pour motiver les jeunes à se surpasser. Le service des douanes installé sur la route, à Kita, s’est fait un nom dans la saisie de ces produits interdits. Le cannabis se transporte par paquets de 2 kg chacun. Sur le terrain, le paquet est décomposé en doses vendables à ces nouveaux accros. Quant au cyanure, les convoyeurs le met dans des sacs et bien cachés dans les soutes des bus.

Selon un chimiste d’une mine croisé dans le célèbre restaurant d’un des deux hôtels de la ville,  la cyanuration (ou cyanurisation de l’or) ou sa dissolution avec le cyanure (aussi connu comme le processus au cyanure ou le processus MacArthur-Forrest) est une technique métallurgique d’extraction de l’or pour les fines particules à partir du minerai de basse concentration, en convertissant l’or et consiste à produire un « sel quadruple d’or » soluble dans l’eau lorsque l’or est mis en présence d’un sel de cyanure.

« Il est le procédé le plus couramment utilisé pour l’extraction de l’or », poursuit-il.
La production de réactifs pour le traitement des minerais pour récupérer l’or, le cuivre, le zinc et l’argent représente environ 13% de la consommation de cyanure dans le monde,  les 87% restants du cyanure étant utilisé dans d’autres procédés industriels tels que les plastiques, les adhésifs et les pesticides. En raison de la nature très toxique du cyanure, le processus est controversé et son utilisation est interdite dans un certain nombre de pays et territoires.

LE CYANURE EN QUESTION – Pour le point d’histoire, c’est en 1783 que Carl Wilhelm Scheele a découvert que l’or se  dissous dans les solutions aqueuses de cyanure. Grâce au travail de Bagration (1844), Elsner (1846), et Faraday (1847), il a été déterminé que chaque atome d’or requis deux molécules de cyanure, dans l’équilibre et la proportion du composé soluble. John Stewart MacArthur a développé le procédé au cyanure pour l’extraction de l’or en 1887.

L’expansion des mines d’or dans la région du Rand, en l’Afrique du Sud, a commencé à ralentir dans les années 1880 et, puis, de nouveaux gisements ont été trouvés mais sous une forme de minerai de pyrite. L’or ne pouvait pas être extrait de ce genre de minerai avec les procédés et les technologies chimiques disponibles. En 1887, John Stewart MacArthur, a travaillé, en  collaboration avec les frères Robert et William Forrest,  pour la Société Tennant, à Glasgow, en Ecosse. Ils ont développé le procédé « Mac Arthur-Forrest » pour l’extraction de l’or des minerais. En suspendant le minerai broyé dans une solution de cyanure, une séparation de jusqu’à 96-97 %  d’or pur a été obtenue, nettement supérieur que par les techniques par gravité de cette époque qui donnaient un rendement de 65-70 % d’or récupéré.

Cette parenthèse fermée, retrouvons Kara et ses hommes. Après le traitement, c’est l’heure de vérité. Au résultat, ce n’est pas un jour de chance. La teneur en or était très faible, voire nulle. Il doit se contenter de quelques soupçons d’or pour toute une journée de travail. Le travail est pourtant pénible. Les conditions de vie difficiles. Quand on cède à l’attrait de l’or et à la perspective de devenir riche illico, il faut savoir prendre des risques. Kara et ses camarades d’infortune sont déterminés à ramener la fortune à la maison pour acheter une moto neuve, construire une maison et, plus tard, convoler à juste noce avec la dulcinée.

Que fait-il de l’or brut ? Notre orpailleur doit respecter le protocole préétabli en la matière. La clé de répartition est pour lui un secret professionnel. Pourtant, tout le monde sait que le chef du site empoche les 2/3 et le reste revient aux employés. Ceux-ci règlent leurs comptes, à leur tour, avec la cuisinière, le livreur d’eau et, bien sûr, le commerçant ambulant.

L’environnement socio-économique de l’exploitation de l’or n’est pas des plus sains. Le Préfet du cercle a constaté que les bars et night-clubs poussent comme de mauvaises herbes. L’alcool y coule à flot. Un terreau pour la prostitution, la consommation de cannabis et les autres produits dopants. « L’herbe » se vend très bien dans ce milieu. La drogue aide à combattre la peur du noir lorsque les orpailleurs descendent dans les puits. Avec un billet de 1000 fcfa, on peut planer. « C’est même devenu un effet de mode », regrette un habitant qui accuse les services de répression de laxisme.

Le médecin chef du centre de santé de référence de Kéniéba, Dr. Moussa Modibo Diarra, relève que plusieurs pathologies sont directement liées à l’exploitation de l’or. « Les accidents de travail sont très fréquents suite aux éboulements de mines. La promiscuité, crée également des conditions favorables à la prolifération des bactéries et des virus », analyse le praticien. « Dans la région, nous avons le plus grand nombre de porteurs de VIH. Les cas cliniques les plus fréquents sont les infections respiratoires aiguës, le paludisme, les diarrhées, les accidents de la voie publique et les coups et fressures volontaires», a ajouté le médecin qui recommande le respect des mesures d’hygiène.

Revenons à Kara. Pour écouler les quelques grammes d’or qu’il aura, après des jours de dur labeur, il ira au marché noir. Pour retrouver ces commerçants, rien de plus facile. Ils ne sont jamais loin. Les commerçants se promènent, dangereusement, avec du cash pour acheter l’or brut à prix d’ami. Ils se chargeront de le nettoyer et le revendre à un autre niveau. Ainsi de suite. Telle est la réalité d’un or qui ne brille malheureusement pas pour tous, dans le Tambaoura.

AC/MD (AMAP)

 

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