Au Mali, du bureau du vérificateur général à la table du procureur de la République, les rapports parcourent un long fleuve souvent mouvementé avec des virages dangereux. Les rapports du vérificateur général aboutissent rarement à des inculpations. C’est du moins le constat empirique établi par tous : universitaires, juristes, étudiants, ou même le citoyen lambda.
C’est une attente des populations sous la transition. La judiciarisation des dossiers de corruption pourrait donner du sens et de l’espoir à la lancinante lutte contre la corruption qui peine à démarrer dans notre pays. Il y a un grand chemin à parcourir s’il faut s’en tenir à l’avis des spécialistes : « il faut une législation adaptée. Le procureur dispose de l’opportunité des poursuites au Mali. Quel que soit ce que vous mettez dans un rapport d’enquête, la loi lui autorise à le classer dans un tiroir » observe Cheik Oumar Konaré, avocat inscrit au barreau malien. Selon le spécialiste du droit, il y a à ce niveau, une forte menace qui pèse sur l’indépendance de la justice : « le procureur est un magistrat du parquet. La loi le soumet à l’autorité du procureur général et lui aussi est soumis à l’autorité du ministre de la justice, le ministre de la justice est soumis à l’autorité du président de la république » déplore l’avocat. Une situation qui pèse, estime le défenseur des droits, sur l’indépendance de la justice, face aux rapports du vérificateur général singulièrement.
« Il faut révolutionner cette manière de penser. Si la justice n’a pas accès aux dossiers des mains du président de la république, elle peut l’avoir autrement. Le procureur de la république peut juger l’opportunité des dossiers du vérificateur général, eu égard aux graves irrégularités financières qui y sont décelées. Pourquoi le procureur ne s’autosaisit pas de certains dossiers de sensibilité nationale ? Cela n’est pas interdit également. Tout est question de volonté et de courage pour la justice » examine Mamadou Coulibaly, enseignant de Droit. Pour lui, « même les simples citoyens ont accès aux rapports du vérificateur général. Donc que la justice n’a pas accès aux dossiers, n’est pas une thèse à partager à notre bon sens ».
La lenteur et la complexité des procédures judiciaires, l’insuffisance de moyens humains et techniques pour approfondir les enquêtes, sont des contraintes non exhaustives auxquelles la justice malienne est confrontée.
« On ne peut pas prendre les rapports du vérificateur général comme de l’argent comptant pour juger un citoyen. Ça peut servir d’éléments pour permettre l’ouverture d’enquêtes et poursuivre les instructions, mais pas à confondre les personnes et administrations citées avec les faits. Cela demande toute une procédure, qui peut sembler souvent lente, mais qui demande souvent du temps » nous explique un justicier, qui a requis l’anonymat.
Depuis 2005, des grands dossiers ne cessent de défiler. L’acquisition d’un aéronef, et la fourniture aux forces armées d’habillement, de couchage, de campement, et d’alimentation entre autres, dont le rapport de 2014 a fait des révélations sur plus de 28 milliards FCFA d’irrégularités financières, soit 12 422 063 092 FCFA au titre de la fraude. Le dossier sur l’achat de l’avion présidentiel, continue de gagner en vieillesse, sans que le suspens ne soit levé sur le prix réel de cet avion.
Pis, le dernier rapport du vérificateur général, remis il y a trois mois au président de transition Ba N’DAW, décèle plus de 300,6 milliards Fcfa de pertes pour le pays. Une bagatelle assez colossale, qui ne donne pas l’image que la corruption s’appauvrit au Mali, mais au contraire, cette manne importante, révèle encore, un autre niveau de ce fléau bien ancré dans les habitudes, et inscrit en norme de gestion dans certaines administrations publiques. Le président de transition Bah N’DAW, qui avait promis une « lutte sans merci » contre la corruption, saura-t-il surpasser ses prédécesseurs aller au-delà des déclarations, en traduisant les discours en actes ? Là réside la grande attente des millions de maliens. Cela, afin que l’expertise, le travail jugé « remarquable » et l’effort fourni par les pensionnaires du BVG, ne s’avilissent pas dans la durée, et ne continuent de dormir dans les tiroirs.
Ousmane Tangara
Source: Bamakonews