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Un Peuple profondément sentimental

Le retour triomphal d’Amadou Toumani Touré, ATT, a surpris plus d’un observateur. Mais pas les Maliens. Excepté Alpha Oumar Konaré, qui s’est volontairement mis à l’écart de la République, tous les anciens chefs d’État du Mali bénéficient d’un grand respect dû au rang qui a été le leur, quelle que soit la manière dont ils ont quitté le pouvoir. C’est la preuve que les Maliens ont un cœur généreux qui sait pardonner, même s’ils n’ont pas toujours été récompensés de la confiance qu’ils ont tour à tour placée dans leurs différents dirigeants.

Sacré Peuple que celui du Mali ! Dignes dans la pauvreté et parfois dans l’indigence, respectueux de la tradition millénaire qui dit que c’est Dieu qui donne le Pouvoir et que c’est Lui seul qui y met fin, les Maliens, en toute modestie, sont singuliers en Afrique de l’Ouest. De l’indépendance à nos jours, tous les Présidents qui se sont succédé sur cette terre du Mandé originel ont bénéficié d’un profond respect même si, pour certains d’entre eux, la souffrance qui a accompagné leurs mandats a été totale et très douloureuse.

 

Ainsi, le nom du Président Modibo Kéita est éternellement associé à l’accession du Soudan Français à l’indépendance, un jeudi, 22 septembre 1960. Ce jour-là, la Fierté de ceux qui seront appelés Maliens s’est mise debout et s’est faite Symbole. Symbole d’Indépendance, Symbole de Dignité retrouvée. Jamais, depuis la fin des grands empires et royaumes que notre terre a connus, peuple n’a été aussi prêt pour reprendre sa destinée en main. Le ton nationaliste du Président Kéita et la référence au Mali immortel pour désigner le nouveau pays, sevré pourtant d’une grande partie de ses terres historiques, ont vite fait de mobiliser l’adhésion de tous. Cet élan historique sera, malheureusement, freiné par une politique de parti unique incomprise des populations. À tort ou à raison, Modibo Keita finira par susciter un profond sentiment d’amertume et une aspiration à une nouvelle indépendance, à la liberté.

Quand un coup d’État militaire met fin à la première République, le mardi, 19 novembre 1968, les Maliens, dans leur majorité, battent le pavé pendant plus d’un mois. Celui qui a su faire rayonner le Mali dans le monde entier était voué aux gémonies car incompris des siens, ceux-là mêmes qui l’avaient acclamé pendant 8 ans, parfois, il est vrai, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. A 38 ans, Moussa Traoré et ses compagnons prenaient possession du Mali pour… 23 ans. 23 années de cauchemars et de dictature du parti unique où toutes les libertés ont été confisquées. Une fois de plus, les Maliens étaient déçus et beaucoup d’entre eux se mettaient à regretter celui qu’on finira par appeler « le Père de la Nation malienne », Modibo Keita.

Pourtant, après 10 ans d’emprisonnement et une double condamnation à mort, Moussa Traoré, qu’Alpha Oumar Konaré a tenu à libérer avant la fin de son mandat, suscite des mouvements de foule à chacune de ses rares sorties. Oubliées les tueries de mars 1991 à lui attribuées par les nouveaux maîtres du pays, ceux qui se sont pompeusement fait appeler « les démocrates sincères et convaincus ». Moussa Traoré sera rétabli dans tous ses droits d’ancien Président et Général de Brigade, et possède une garde rapprochée dans sa résidence de Djicoroni-Para. Le Président IBK lui-même n’a pas hésité à le nommer « Grand républicain ».

Quoi de plus normal alors qu’ATT, que le peuple malien n’a jamais renié, reçoive un accueil digne d’un chef d’État en exercice. Il y a sans doute derrière cet accueil triomphal deux choses à retenir : 1- le Peuple ressent l’injustice qui lui aurait été faite à travers un coup d’État de militaires amateurs, et son exil forcé à Dakar ; 2- le Peuple témoigne de sa déception devant IBK qu’il a plébiscité à 77,66% en août 2013, et qui a plongé le pays dans l’incertitude des jours sombres. Et c’est cette lecture que devrait faire l’actuel Président de la République. Excepté l’agression scandaleuse perpétrée contre Dioncounda Traoré à Koulouba, aucun chef d’État du Mali n’a eu à déplorer une manifestation ouvertement hostile du peuple malien. À telle enseigne que Moussa Traoré, au sommet de sa puissance, a cru devoir dire : « Ce qui me fait mal, c’est que rien ne fait mal aux Maliens ». Il a dû changer d’opinion depuis mars 1991. Ainsi, le respect des Maliens à leurs Présidents est constant. Certes les premières années de l’ère démocratique ont été émaillées de troubles d’une très grande ampleur. Mais il s’agissait de règlements de compte entre les partisans d’Alpha Oumar Konaré et les déçus de la révolution de mars 1991, qui avaient à cœur de provoquer une contre révolution pour renverser le régime en place. Certes le pouvoir d’IBK a été secoué par les marches contre le projet de révision de la Constitution qui ont poussé dans la rue tous les mécontents du régime. Cependant, l’accueil grandiose qui a été réservé au Président à Kayes et surtout à Sikasso est la preuve que le Peuple n’est pas toujours sur la même longueur d’onde que les politiciens. Le Peuple malien est un grand peuple. Un Peuple profondément croyant qui prend la vie comme elle vient, ce qui ne signifie pas immobilisme ou insouciance, loin s’en faut. Quand le Malien a son grenier garni, le reste pour lui est moins difficile à gérer. C’est pourquoi c’est un Peuple qui n’est pas difficile à diriger, dès l’instant où on le respecte, où l’on respecte ses traditions et croyances suivant cette disposition de Kurukanfuga : « Une âme peut être plus ancienne qu’une autre mais aucune âme n’est supérieure à une autre ». Le jour où un Président saura faire sienne cette disposition, il saura conduire les Maliens vers le bonheur qu’ils attendent depuis 57 ans. Le retour triomphal d’ATT est un message fort du Peuple : « Tu es des nôtres et tu le resteras ». Mais il se trouve que ce grand Peuple n’a pas toujours bénéficié du respect et du bonheur qu’il mérite de la part de ceux qui ont eu à prendre sa destinée en main. Le dernier exemple en date est sans doute celui d’IBK même si, il est vrai, des circonstances atténuantes peuvent lui être concédées. Ce premier mandat de celui qu’on a coutume d’appeler Kankélentigui est des plus chaotiques avec, pour l’instant, 4 Premiers ministres en quatre ans et une grande effervescence sur le front de la contestation sociale. On ignore si le locataire de Koulouba rempilera pour un deuxième mandat en 2018, il faudra, le cas échéant, s’ouvrir à toutes les sensibilités du pays car c’est ensemble que l’on pourra trouver des solutions à la crise malienne dont on n’est pas près de voir le bout du tunnel.

 

 

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