Guinée, Mali, Tchad… Les putschs se multiplient en Afrique. Pour certains, ils sont toujours injustifiables. Pour d’autres, ils peuvent être un mal nécessaire…
Depuis août 2020, l’Afrique a recensé quatre coups d’état militaires, en Guinée, au Tchad et au Mali. Au sein de l’opinion publique africaine (notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels), les avis sont partagés sur le recours à cette pratique. Avec cette question, parmi celles qui suscitent le débat : un coup d’État peut-il être éthiquement juste ?
Compte tenu de son caractère illicite, tout coup d’État devrait être considéré comme éthiquement injustifié, et ce peu importe la noblesse des motivations de ses auteurs. Un avis soutenu par les adeptes de la philosophie dite d’éthique « formaliste » ou « déontologique ». Développée par le philosophe allemand Emmanuel Kant au XVIIIe siècle, elle est basée sur le respect indéfectible de la loi ou de l’ordre constitutionnel.
Plusieurs nations africaines ont promulgué des constitutions prohibant tout recours à la force pour accéder au pouvoir. De ce point de vue, il ne peut y avoir aucune justification morale pour renverser militairement un gouvernement en place, même si ce régime est dictatorial ou ne répond pas aux besoins essentiels de ses citoyens.
DE MOBUTU À MAMADY DOUMBOUYA, LES PUTSCHISTES AFRICAINS ONT TOUJOURS AFFIRMÉ AGIR POUR LE BIEN DU PEUPLE
L’Union africaine (UA) semble suivre cette ligne : lors de tentatives de coup d’État dans ses pays-membres, elle exige souvent le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions. L’organisation a par exemple suspendu le Mali en juin 2021, après un second coup d’État militaire dans le pays en l’espace de neuf mois. Et le Congolais Félix Tshisekedi, président en exercice de l’UA, a presque immédiatement dénoncé le putsch du 5 septembre en Guinée.
Mal nécessaire ?
Mais d’autres analystes estiment que, dans certaines circonstances, un coup d’État peut se justifier d’un point de vue éthique. Pour eux, la prise du pouvoir par la force est un mal nécessaire si elle vise à mettre fin à un régime dictatorial, à renverser un gouvernement non démocratique qui n’assure pas le bien-être de ses citoyens ou à chasser des dirigeants qui modifient les lois nationales pour s’éterniser aux manettes du pays. Eux se basent sur « l’éthique utilitariste », développée aussi au XVIIIe siècle par le philosophe anglais Jeremy Bentham, selon laquelle un acte illicite peut être légitime s’il tend à maximiser le bien-être collectif. De Mobutu à Mamady Doumbouya en passant par Blaise Compaoré, les putschistes africains ont d’ailleurs toujours argué avoir agi pour le bien du peuple. Mais à quel peuple se réfèrent-ils ?
Autre question, plus importante encore, selon quels critères un coup d’État militaire peut être considéré comme socialement juste ? Selon la chercheuse canadienne Nadine Olafsson, spécialiste de l’étude des conflits, plusieurs éléments doivent être pris en compte : l’engagement des putschistes à céder le pouvoir à une autorité civile dans un bref délai après des élections libres et équitables, la prise de mesures d’intérêt général par le gouvernement militaire, l’absence de représailles contre les dignitaires du régime renversé et l’ampleur du soutien de la population aux nouveaux maîtres du pays.
Les récents coups d’État en Guinée ou au Mali répondent-ils à ces critères ? Il est encore très tôt pour répondre…