Analyse. Le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, devient l’un des trois principaux personnages de l’Etat. Prochaine étape : la constitution du gouvernement.
Par Benoît Delmas
A 78 ans, au soir de cinquante années de militantisme islamiste, Rached Ghannouchi devient le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). « Ben Ali doit se retourner dans sa tombe », s’amusait l’un des observateurs de la scène politique. Rached Ghannouchi a connu les fureurs et les avanies. Son parti a été interdit par l’ex-dictateur tunisien, ses membres pourchassés, torturés. Lui a pu se réfugier à Londres dont il est revenu dix jours après la révolution de 2011. Depuis, son parti est au pouvoir. Ce soir, 123 députés sur 217 ont déposé un bulletin portant son nom dans l’urne placé sous le perchoir. Ainsi, le leader historique du parti islamiste, il en est le fondateur et le président depuis vingt-huit ans, devient l’un des trois principaux personnages de l’Etat. En cas de décès du président de la République, c’est celui de l’ARP qui effectue l’intérim. Pour Ennahdha, c’est une solide victoire politique.
Le parti islamiste, le seul poids lourd politique
Pourtant affaibli, Ennahdha n’en demeure pas moins la locomotive de la vie politique tunisienne. L’élection de Rached Ghannouchi le prouve. Ennahdha est au pouvoir depuis novembre 2011. Il a occupé la présidence du gouvernement de 2011 à 2014. Puis a nouer une alliance avec Béji Caïd Essebsi fin 2014. Il est désormais à la manœuvre pour composer le futur gouvernement. Ce qui n’est pas une mince affaire avec les quelques trente-et-un partis représentés au parlement.
Une Assemblée post-séisme électoral
Au palais du Bardo, ce matin, c’était la rentrée de la seconde assemblée élue démocratiquement. Les nouveaux venus côtoient les rescapés de la première chambre (2014-2019). Car sur le plan politique, le paysage a été radicalement modifié. Nidaa Tounes, le parti qui occupait 86 sièges a quasiment disparu. Il ne compte plus que trois élus. L’UPL, la troisième force en 2014 a disparu. L’extrême-gauche, le bloc Front Populaire, a vu son capital fondre : sur les neuf députés de 2014, il n’en reste qu’un. Un véritable coup de balai. Plusieurs partis ont fait irruption : « Au cœur de la Tunisie » fondé par Nabil Karoui dispose de 38 élus. Le parti destourien libre, 17 sièges ; la Coalition de la dignité, 21… Toutes les alliances d’hier doivent être recomposés. Un exercice qui nécessite un sens politique, une expérience dont Ennahdha est la seule à disposer, expérience du pouvoir oblige.
Vers un gouvernement présidé par un islamiste
Il est écrit dans la loi que le parti arrivé en tête est chargé de composer le nouveau gouvernement. Avec ses 52 élus, Ennahdha tente de mener à bien cette composition qui relève plus de l’acrobatie que de la logique. Les CV vont parvenir à Dar Dhiafa, la résidence à Carthage où s’installe l’élu pour composer son équipe. De nombreux noms fuitent dans la presse. Des ballons d’essais, des infox, des intox, le jeu classique de cette période d’incertitude. Pendant ce temps, le nouveau président de la république, en poste depuis trois semaines, effectuait un déplacement.
Kaïs Saïed sur le terrain
Alors que les députés issus de l’élection législative du 6 octobre prêtaient serment au Bardo, Kaïs Saïed se rendait à Ouerdanine dans le gouvernorat de Sousse. Il était venu rassurer les habitants secoués par des rumeurs de caches d’armes. L’occasion pour le nouveau président de prendre physiquement ses distances avec la politique tunisoise. Kaïs Saïed n’a jamais fait mystère de son peu de sentiments envers le parlement. Il souhaiterait le faire élire par des instances locales afin de mieux le contrôler. En attendant cet hypothétique chantier constitutionnel, la vie parlementaire garde ses larges prérogatives. C’est au Bardo que se décide le choix de la politique économique, des membres du gouvernement, des projets de lois. Les 123 députés qui ont voté Rached Ghannouchi préfigurent-ils la future majorité ? Le vote étant à bulletin secret, difficile de le savoir. A 78 ans, Rached Ghannouchi entame un nouvel acte de sa vie politique.
Source: lepoint