Le centre du Mali est devenu le théâtre de massacres interethniques entre populations peuls et dogons, le tout sur fond de présence djihadiste dans la région.
Fatal engrenage : en ce mois de juin plus un jour ou presque sans qu’une tuerie n’ensanglante un village au centre du Mali ou dans le nord du Burkina-Faso voisin. Sur fond de présence djihadiste dans la région, les affrontements ont pris une dimension communautaire marquée. Lundi, Gangafani et de Yoro, deux bourgades dogons situées près de la frontière avec le Burkina-Faso, ont été ciblés par « des éléments peuls », selon une enquête de l’ONU. L’attaque a fait 41 morts et « de nombreux blessés », selon les autorités maliennes, dont des femmes et enfants.
À une cinquantaine de kilomètres de là, côté Burkina, 17 personnes ont été tuées dans la nuit de mardi à mercredi sur la commune de Béléhédé, lors d’une attaque djihadiste. Sans doute une réponse au massacre de plus de 160 Peuls perpétré dans le village d’Ogossagou le 23 mars par des milices dogons. Le 9 juin, les Peuls se sont vengés en prenant d’assaut le village dogon de Sobane-Da, faisant 35 morts dont 24 enfants.
Selon nos informations, un détachement de la Mission multidimensionnelle intégrée des opérations de maintien de la paix des Nations Unies au Mali (Minusma) avait stationné les jours précédents dans ce hameau situé dans la plaine, plus exposé que les villages dogons fortifiés dans les falaises de Bandiagara toutes proches. « Nous sommes restés dans le village pendant plusieurs jours, il ne se passait rien, raconte un soldat sénégalais de l’ONU. Comme tout était calme nous sommes repartis et l’attaque a eu lieu le lendemain… »
Des affrontements ethniques
Attisés en sous-main par le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM) du touareg malien Iyad Ag Ghali – affilié à Al Qaida – et par sa branche locale animée par le prédicateur peul Amadou Koufa, les affrontements ont pris un tour clairement ethnique, opposant agriculteurs Bambaras et Dogons aux Peuls vivant souvent de l’élevage nomade.
« Mais sur le terrain la réalité est beaucoup plus complexe, indique un bon connaisseur du sujet. En dehors des vieilles querelles entre agriculteurs et pasteurs sur l’usage des terres, les Peuls vivent mal d’être généralement exclus des emplois publics, même lorsqu’ils sont sédentarisés, ce qui est le cas de bon nombre d’entre-eux. Par ailleurs, Dogons et Bambaras ont eux aussi du bétail. Il arrive que les Peuls, issus de différents clans, s’embrouillent entre eux et il ne faut pas oublier que certains Dogons faisaient aussi partie des groupes djihadistes en 2012, avant l’intervention française. »
Le changement climatique, souvent avancé comme l’une des clés de la montée de l’antagonisme entre pasteurs peuls à la recherche de pâturages plus rares, et agriculteurs bambaras ou dogons n’explique donc pas tout. « Il arrive aussi que des pluies abondantes rendent fertiles des terres qui étaient incultivables, déclenchant de nouvelles querelles de propriété », ajoute un expert.
Les attaques qui frappent les populations villageoises ciblent souvent des miliciens connus de chaque camp. Ce fut le cas à Sobane-Da, fief notoire de plusieurs membres des « milices d’autodéfense » dogons.
Comment sortir de la crise
Pour les autorités maliennes, comme pour la Minusma ou les unités françaises de l’opération Barkhane, l’ennemi est insaisissable. « Renforcer le dispositif ne suffit pas, à moins de mettre une base dans chaque village ce qui est impossible, explique un spécialiste. Il est impossible de traquer des combattants très mobiles à motos qui vivent le reste du temps immergés dans la population. Au final, chaque camp vise des villages où il sait que vivent des miliciens qui les ont attaqués auparavant. »
Des centaines de groupes d’autodéfense, parfois lourdement armés, comme Tabital Pulaaku pour les Peuls ou Dan Na Ambassagou côté Dogons, pallient sur le terrain un État quasi-inexistant. Le retour à la paix passera nécessairement par le désarmement de ces milices. « Cela ne peut être que l’ultime étape d’un processus, confie un expert. Aucune milice n’acceptera d’être désarmée tant que ses revendications ne sont pas prises et compte. Fondamentalement, tant que l’on ne se sera pas attaqué aux problèmes majeurs qui minent la société malienne – inégalité, clientélisme, corruption, gouvernance et relations Peuls -Dogons – on n’avancera pas. »
Une chose est sûre : la crise sécuritaire au centre du Mali – dont le pic actuel s’explique aussi par l’arrivée des pluies qui rendront bientôt les routes difficilement praticables – signe la victoire du chef djihadiste Iyad Al Ghali. « Sa stratégie a parfaitement fonctionné, soupire un militaire français. Tout le monde est tombé dans le panneau du nouveau front au centre qui permet aux djihadistes d’être tranquilles au Nord. »
Les camps en jeu
Les Peuls. Cette ethnie présente dans toute l’Afrique de l’Ouest est, à l’origine, composée essentiellement de pasteurs nomades. Beaucoup vivent aujourd’hui sédentarisés. Au Mali, leur population est estimée à environ trois millions de personnes (sur un total de 18 millions). Très croyants, les Peuls ont introduit l’islam en Afrique de l’Ouest et sont en grande majorité musulmans.
Les Dogons. Ce peuple très ancien s’est retranché depuis des siècles dans les falaises de Bandiagara et au sud-ouest de la boucle du Niger pour résister aux vagues successives d’envahisseurs. Ce sont principalement des agriculteurs et des forgerons, généralement musulmans, mais aussi chrétiens et animistes. Connus pour leur cosmogonie (vision de l’univers reposant sur des légendes) et pour leurs sculptures, les Dogons (présents aussi au Burkina-Faso) ne sont que 700 000.
Source: leparisien