Avec Trump, l’Europe, ne sait plus où donner de la tête. Comment interpréter ses déclarations, ses projets ? Les États-Unis seraient-ils en train d’abandonner l’Europe ? Seraient-ils en train de se désengager de l’OTAN, qui a été, jusqu’à présent, le glaive de «l’Occident collectif».
Vont-ils continuer d’être ces États-Unis qui ont protégé l’Europe et qui lui ont donné le sentiment, de dominer, à leur ombre, le monde. Le désarroi est grand. Le système au pouvoir en Occident, des oligarchies aux médias, passe par des sentiments variés, de l’optimisme, «non, tout va revenir en place» au pessimisme, d’un Trump, initiateur d’une stratégie dont ils ne perçoivent pas la logique, les causes, les contours, les buts. On se rassure : «Il fera comme les autres, il ne peut pas faire autre chose. C’est un homme d’affaires. Il agit comme un chef d’entreprise, ne voyant dans les relations internationales que des transactions. Il monte donc les enchères mais il en reviendra fatalement au naturel des États-Unis, à la tête de l’Occident».
Oui. Et pourtant. L’affaire parait sérieuse et les choses nouvelles. Trump revendique pratiquement le Canada ce qui ferait des États-Unis le plus grand pays du monde, sur 19 millions de km2. Trump va jusqu’à réclamer le Groenland, 2 millions de km2 en plus, et dont il dit que le statut actuel, celui de la souveraineté du Danemark sur ce territoire, est ambigu. Il réclame le canal de Panama comme voie américaine. Il veut rebaptiser le golfe du Mexique au nom de «Golfe de l’Amérique» comme s’il indiquait ainsi son projet d’un immense État Nord-Américain capable de faire face à l’immensité de la Russie et de la Chine, et à leur puissance actuelle et à venir.
La vieille Europe
par rapport à cela, l’Europe parait alors petite et confinée, blottie à la pointe extrême du continent Eurasien. Et elle se trouve dans le paradoxe, aujourd’hui, d’en arriver à dénoncer «l’annexionnisme» de son allié américain après avoir dénoncé celui de la Russie en Ukraine. Elle en arrive à parler de défendre le Danemark, un pays de l’OTAN, contre les appétits de Trump, alors qu’auparavant, hier à peine, l’Europe en appelait à l’OTAN contre «l’annexionnisme russe». Quelle ironie de l’Histoire !
Trump songe-t-il à enterrer l’Occident, du moins sous son ancienne formule, celle de «l’Occident collectif», issu de la dernière guerre mondiale, celui du système occidental constitué jusqu’à présent essentiellement des États-Unis et de l’Europe. Serait-ce donc, peu à peu, la fin de ce système occidental mais d’une autre manière que celle qu’on aurait pu prévoir.
Par rapport, aux ambitions de Trump, l’importance de l’Europe parait dès lors bien relative. C’est comme si les États-Unis de Trump lui disait qu’elle était désormais secondaire, sans matières premières, sans énergie, sans les territoires de ces ex empires, sans initiative technologique.
La vieille Europe a l’impression d’être reléguée, comme on le fait d’une vieille maitresse qui a perdu ses charmes, d’être devenue quantité négligeable dans la vision de Trump.
Les pays européens se voient, avec effroi, découplés des États-Unis. Ils étaient persuadés jusqu’à présent de former avec les États-Unis l’Occident, le système dominant le monde, d’en être une partie intégrante, active, et ne voilà-t-il pas que tout ceci, qui semblait si rassurant, si stable, si éternel, menace de se défaire. On en appelle à l’unité européenne, au remplacement des États-Unis par une Europe unie, capable de se défendre seule, mais cela ne crée guère d’enthousiasme.
Où on parle d’Elon Musk
Un évènement donne toute la mesure de cette évolution qui parait écarter de plus en plus l’Europe de l’Amérique dans une sorte de lente dérive continentale, celle-ci géopolitique. C’est celui du conflit qui se développe autour du système médiatique occidental, tel qu’il a fonctionné jusqu’à présent.
Elon Musk est la première fortune mondiale, et celle parait-il la plus grande de tous les temps, avec 500 milliards de dollars réévaluée récemment. Il est très amusant aussi de voir les grands médias occidentaux qui exerçaient un quasi-monopole d’influenceurs, l’accuser désormais de ce qu’ils n’ont cessé de faire c’est-à-dire d’agir sur l’opinion et la manipuler. Mais surprise : on s’attendait à ce que le conflit se développe entre les grands médias occidentaux d’un côté et les internautes de l’autre, sur la question de l’expression publique libre sur l’Internet mais il éclate entre les médias et les GAFA (les réseaux sociaux géants : Facebook, X, Google, Amazone, Tiktok etc.). La raison du conflit : les dirigeants européens, soutenus par le système médiatico-politique, se sont mis en tête de vouloir contrôler, «réguler» l’Internet, à travers la technique dite de «Fact-checking», nommée ainsi car elle a pour but, du moins proclamé, d’assurer la véracité des faits et de lutter contre les fakenews. Mais surprise, c’est entre le système médiatico-politique en place et les nouveaux venus, les GAFA qu’éclate le conflit. Elon Musk et son réseau X, et à sa suite Mark Zuckerberg et son réseau Facebook, et d’autres GAFA, prennent, la défense de l’internaute et s’opposent à toute restriction de la liberté sur les réseaux sociaux.
Il est de même amusant de voir actuellement les pouvoirs en Europe et la communauté européenne reprocher aux GAFA de vouloir influer sur les élections en Europe. Or, c’est ce qu’ont toujours faits les grands médias occidentaux. Il suffisait souvent qu’ils fassent campagne pour faire élire un candidat, même sorti du néant, même inconnu. Le cas d’Emmanuel Macron, et bien d’autres, est à ce sujet édifiant. Eux qui proclamaient l’air innocent que les gens étaient libres de voter et que ce n’était pas les médias qui influaient sur le résultat, voilà qu’ils disent à présent le contraire concernant Musk et les GAFA.
Mais fermons la parenthèse sur cet aspect de l’extension du conflit aux médias. Il illustre, en fait, bien qu’on n’est probablement pas simplement dans une péripétie de l’histoire des rapports entre les États-Unis et l’Europe mais devant des évènements inédits.
Une campagne médiatique d’une violence inouïe
Mais faut-il prendre à la lettre ce que dit Trump et ses projets. Certains, habitués peut-être, à l’«amitié éternelle» entre les États-Unis et l’Europe, veulent convaincre, ou se convaincre, du contraire. Ils arborent même une désinvolture amusée sur le «personnage fantasque et imprévisible» de Donald Trump «et prédisent que tout redeviendra en ordre, comme avant». Mais s’agit-il simplement d’une péripétie éphémère de la vie de l’Occident collectif. Certains faits semblent dire l’inverse.
Une campagne d’une violence inouïe a été menée contre Donald Trump aussi bien avant son élection que dans les premières semaines après. Tous les médias écrits et audiovisuel américains se sont ligués contre lui. On a raconté dans l’ensemble du système médiatico-politique occidental, des États-Unis à l’Europe, qu’il était un agent russe, sans hésiter à attenter à son honneur. Les services de sécurité américain, par exemple l’ex-chef de la CIA Michael Morell, un ancien directeur du FBI, Robert Mueller, nommé procureur spécial» pour enquêter à ce sujet sur Trump, ont même participé à cette campagne. On a raconté sur Trump de sombres histoires sexuelles qui auraient permis aux services russes de le piéger et de le prendre en main. On a largement parlé sur les médias occidentaux d’une réunion en tête à tête, sans témoins, entre Vladimir Poutine et Donald Trump, d’où ce dernier serait sorti transformé et «soumis». Bref, le complotisme à son extrême, comme savent si bien le faire les grands médias d’information occidentale, et les agences de sécurité américaines.
L’État profond
Une telle violence contre Trump ne peut s’expliquer s’il n’y a pas des enjeux plus importants que l’alternance habituelle des démocrates et des républicains au pouvoir. Donald Trump et à sa suite Elon Musk ont d’ailleurs dit qu’il s’agissait, pour eux, de mettre à bas le «système», «l’État profond» aux États-Unis. Trump a d’ailleurs annoncé qu’il «règlerait des comptes», qu’il limogerait les principaux chefs des centres de pouvoir et de sécurité, les dirigeants de la CIA et des autres grandes agence de sécurité, les dirigeants du Pentagone, qu’il a accusés «d’avoir servi le parti des démocrates et pas l’Amérique».
Y a-t-il donc là des données tout à fait nouvelles, l’expression d’un conflit, d’une crise profonde du système ? De quoi s’agit-il dans ce conflit ? Serait-ce le remplacement du pouvoir de l’oligarchie traditionnelle par celui l’oligarchie montante, celle de «la Tech».
Ce conflit est-il secondaire, le système restant pour l’essentiel le même dans sa volonté d’impérialisme et de domination du monde. Ou bien les coups de boutoir de Poutine ont-ils fini par faire éclater cet «Occident collectif», desserrer les liens entre l’Europe et les États-Unis, d’une manière inattendue, jusqu’à créer une situation nouvelle encore difficile à apprécier aux États-Unis même et dans des relations internationales en pleine recomposition ?
Ces projets expansionnistes de Trump sont-ils de simples velléités ou une orientation stratégique ? Y aurait-t-il là un plan de paix en Ukraine en échange d’un redéploiement des formes de domination américaine ? Y aurait-il un dessein stratégique, celui de proposer à la Russie, de fermer les yeux sur les projets d’annexion américains en échange d’un accord même tacite sur les annexions russes en Ukraine ? Et y aurait-il une approche, qui pourrait être similaire, concernant les relations américaines avec la Chine. Une sorte de projet de réorganisation du monde mais sur un mode impérialiste, avec la répartition de zones d’influence des grands pays. Une vision dans laquelle l’Europe ne pèserait pas bien lourd et serait alors sacrifiée.
Bref un projet qui serait, pour les États-Unis, la parade à la montée en puissance de l’organisation des BRICS dans une sorte de transaction mondiale, dans lequel on chercherait à intéresser les grands pays de l’organisation : la Chine, l’Inde, la Russie, voire le Brésil. La perspective ne serait alors que celle de luttes sans fin pour la domination du monde. Ce serait à désespérer.
Est-ce que les BRICS garderont leurs positions de principes, sur laquelle s’est rallié à eux l’essentiel de l’humanité, l’idéal d’un monde multipolaire et d’égalité entre les nations ? Ou bien les plus puissants d’entre eux vont-ils se laisser tenter par un projet Trumpiste qui ne serait que celui d’une réorganisation de l’impérialisme. La question mérite d’être posée. Elle a une importance vitale pour l’avenir du monde.