Si Moussa Traoré a pu régner dans la terreur sur le Mali pendant près de 23 ans, c’est parce que le contexte géopolitique de l’époque était favorable à l’oppression.
Moussa Traoré est mort le 16 septembre 2020, presque 30 ans après ce que les Maliens appellent leur « révolution de 1991 », qui l’a obligé à quitter le pouvoir.
La disparition du « dictateur » a poussé beaucoup de Maliens à se repencher sur le bilan de celui qui a régné sans partage sur le pays pendant plus de 22 ans. Des commentaires passionnés ont été publiés sur les réseaux sociaux, qui font apparaitre deux catégories d’appréciation de son bilan.
« Les années sombres »
La première catégorie a choisi de ne pas oublier les années sombres que représente le régime de Moussa Traoré. « La mort d’un ancien président peut aussi nous rappeler les années sombres de son régime où des pères de familles sont régulièrement arrêtés, humiliés, torturés, déportés aux bagnes de Kidal, de Taoudéni ou dans d’autres centres de détention…Certains y sont restés à jamais », a fait remarquer le journaliste Issa Fakaba Sissoko, sur sa compte Facebook.
Dans le même ordre d’idée, l’ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé, se félicite, dans une tribune sur Jeune Afrique, que Moussa Traoré soit mort entouré de sa famille. « Son décès, dans son lit, confirme la supériorité du projet humaniste porté par le Mouvement démocratique dont les combats ont conduit, en 1991, à l’instauration du multipartisme et de l’ État de droit », conclut Tiébilé Dramé, non sans remarquer que le premier président Modibo Keita n’a pas eu cette chance, lui qui a péri « sans aucune considération pour son rang, sans aucun respect de la dignité humaine » dans les geôles du camp Para-Djikoroni, en commune IV du district de Bamako, l’un des hauts lieux de la torture sous le régime de Moussa Traoré.
Il y en a qui ont choisi de garder quelque chose de positif de Moussa Traoré. Ceux-ci soulignent notamment que le Mali des années 1970 et 1980 était stable et respecté par les autres pays, et que le Général et ancien président « n’a jamais été incapable de sécuriser les Maliens et de leurs biens », comme le souligne le chercheur en sciences politiques Bréhima Mamadou Koné.
Climat favorable à l’oppression
Je n’écris pas ce billet pour faire l’éloge ou la critique de Moussa Traoré, mais pour faire remarquer que cet homme était le produit de son époque. Entre les années 1960 et le début des années 1990, beaucoup de pays africains étaient dominés par des pouvoirs à parti unique, civils ou militaires, et presque aussi ou plus répressifs que celui de Moussa Traoré. Souvenons-nous de Idi Amin Dada en Ouganda ou de Mobutu Sese Seko au Zaïre, pour ne citer que les dictateurs les plus excentriques. C’était le temps de la guerre froide, où les deux grandes puissances de l’époque, les États Unis et l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques, se partageaient le monde. En Afrique, les présidents qui ne menaçaient pas les intérêts de ces grandes puissances pouvaient faire ce qu’ils voulaient chez eux, s’imposer par la force, « neutraliser » les ennemis réels ou supposés, se proclamer présidents à vie ou empereur. Moussa Traoré a donc bénéficié de ce climat favorable à l’oppression.
S’il n’y a plus de dictateur aujourd’hui au Mali, ce n’est pas parce que les politiciens et les hommes en uniforme sont devenus plus vertueux et n’ont plus envie d’opprimer leurs compatriotes. Ce n’est pas non plus parce que les Maliens d’aujourd’hui ont plus soif de démocratie et de liberté que ceux des années 1980. C’est en grande partie parce que la situation géopolitique a changé et que les rapports de force au niveau international ne sont plus favorables au modèle de gouvernance qu’incarnait Moussa Traoré.
Source : Benbere