La nouvelle mode opératoire des terroristes à savoir l’assiègement exige aux armées sahéliennes et leurs alliés dont la France et les missions onusiennes une réadaptation de leurs politiques sécuritaires dans son ensemble. Une nécessité et dont la leçon pourrait être prise sur l’opération Farabougou Ka lafia (Que la paix règne à Farabougou en bambara) menée du 15 au 22 octobre à succès dans la localité la plus stratégique et la plus multiethnique du Mali.
Tout était parti d’un désaccord intercommunautaire impliquant des bambara ,chasseurs dozos et communautés pastorales peules qui s’accusent mutuellement d’exactions et de vols de bétails entraînant l’immixtion des terroristes probablement affiliés au groupe de soutien à l’islam dirigé par le Chef djihadiste Iyad Aghaly .La situation complexe du village situé à 30 kilometres du camp de Diabali à Ségou_la 4è région du pays_ était devenue une épine dans le pied de l’autorité intérimaire dirigée par Ba Daw , un militaire à la retraite désigné par le collège mis en place par le comité national pour le salut du peuple sous la pression des dirigeants de la CEDEAO . Quelques jours avant l’opération ayant abouti au desassiègement du village, c’étaient la terreur et la désolation qui régnaient dans l’ensemble du pays. À Bamako, la capital, la classe politique et la presse maintenaient la pression. Selon nos investigations, l’opération dont l’armée même a nommée “Farabougou ka lafia ” a été conduite en deux phases.
Les négociations
L’offensive à outrance instaurée comme le mécanisme opérationnel quinquennal de l’armée sur tout centimètre près du territoire national depuis début mars 2020, qui pourrait peut-être assouvir le désir de voir une armée en reconstruction montrer ses muscles, allait conduire à une véritable ruine collective à Farabougou. La hiérarchie militaire consciente de la nécessité d’une adaptation est passée par une préalable décrispation communautaire en invitant les autorités coutumières et traditionnelles de la localité à des négociations entre les belligérants locaux. Cette option a permis une désescalade de tension au sein de la communauté favorisant ainsi la démarcation du groupe terroriste.
Les largages
Pour mieux coordonner l’opération, le discret colonel Hassimi Goïta s’est rendu dans la région et pour raison stratégique s’arrêta au camp de Bafo, à environ 400 kilomètres de Bamako. De là, un avion de transport Y-12 survole et réussit le premier volet du largage des denrées alimentaires le lundi 19 octobre. Cette première démarche a été vivement critiquée par certains observateurs qui en voyaient une opportunité d’approvisionnement des terroristes qui, de leur côté, avaient coupé tout accès terrestre à la localité. Prenant aussi cela comme un simple geste humanitaire de l’armée, c’est cette opportunité qui va plutôt permettre le lendemain à l’aviation militaire de poursuivre mais cette fois ci pas seulement en vivres mais avec un nombre mesuré des éléments du bataillon autonome des forces spéciales et du service de renseignement militaire sous camouflage. L’enjeu était de taille. Difficile de libérer la localité sans affrontements donc possible grandes pertes humaines et matérielles. Mais, la décrispation sociale et le positionnement des précurseurs donnent chance à l’armée de distinguer ses cibles qui constatant leur faiblesse ont dû replier suite à un moment d’affrontements. La phase offensive a été menée à succès et “sans incident ” sous la coordination du colonel Hassimi Goïta assisté par le commandant du secteur 5 de l’opération Maliko, le colonel Didier Dembélé.
La leçon collective
La libération de Farabougou sans incident est l’expression d’une possible éradication de la fièvre djihadiste au Sahel ayant déjà fait des milliers de morts, blessés et de déplacés internes et externes. L’installation des bases terroristes seconde d’une part de la faible présence de l’État dans son ensemble et d’autre part de la difficile situation socio-économique. Les opérations militaires qu’y mènent les armées sahéliennes et leurs alliés dont la France avec 5100 hommes_ ont besoin d’une restructuration pour faire face à la menace asymétrique à diverses façades. Le secrétaire général de L’ONU, Antonio Guterrès, en invoquant la théorie du dialogue avec les groupes” extrémistes modérés” qui n’existent d’ailleurs presque pas dans la région vient d’ouvrir la voie à une incongruité si nous nous référons au cas du Mali. La visite du Ministre des affaires étrangères de la France Jean Yves le Drian au Mali le dimanche 25 octobre dernier aurait comme dessout l’élaboration d’un schéma de négociation. L’instabilité au Sahel bien que complexe a fait l’objet de maintes études et des propositions de solution. Les entités belligérantes aux armées nationales sont des terroristes tout court qui sont bien différentes des forces d’autodéfense comme Danan Amassagou et dont la dissolution est conditionnée à la présence permanente de l’armée .Évoquer l’idée de table avec les auteurs des massacres à répétition quelques soient leurs formes de structuration, expose d’abord la faille des différents plans de sécurisation optés et une volonté de normalisation de l’activité après près d’une décennie de lutte .L’idée de table est par essence un appel à des concessions. Quelle offre pourrait être faite par l’exécutif malien aux groupes belligérants dont la principale mission est la préservation de leur ligne de trafic illicite à travers l’opposition aux symboles de l’État ? Le sujet doit être traité avec mesure des enjeux afin d’éviter l’industrialisation du terrorisme dans une région où les armées jouent à la figuration eu égard au nombre restreint des effectifs. Au Centre du Mali, où plusieurs dizaines de groupes d’autodéfense opèrent, la perspective d’un dialogue avec les groupes “extrémistes modérés ” pourrait également inculquer une orientation plus anfractueuse à ces armées informelles engendrant une possibilité de commercialisation de la défense illégale. Au Mali où l’armée doit faire face à un défi de sécurisation de 1 241 238 km² de superficie et 7 200 km de frontières majoritairement sahéliennes , le champ d’assistance de l’Extérieur doit être plutôt revu ou renforcé en terme d’équipements et de renforcement du personnel offensif afin de permettre aux autorités de diligenter l’exécution du programme du désarmement, de démobilisation et bien sûr de la réinsertion socio-économique en luttant contre le chômage et la pauvreté qui constituent les deux grandes sources d’approvisionnement des groupes armés. Ces différentes démarches permettront de fermer les canaux favorables à l’émergence de la menace asymétrique. Les armées sahéliennes ne sont pas rejetées dans les zones d’intervention et regorgent de bons stratèges comme vient l’attester la libération de Farabougou. Elles ont besoin d’un véritable renforcement de capacité pour mener leur mission régalienne. Opter le revers alors que les revendications desdits groupes ne sont pas sociales favoriserait plutôt l’ancrage djihadiste.
Seydou Konaté, citoyen malien
Email : kseydou729@gmail.com
Source: Le Pays–Mali