- Les transferts de fonds des migrants constituent une source de revenus pour de nombreuses familles au Mali. À cause de la pandémie à Covid-19 qui a mis à genou l’économie mondiale, cette manne financière se fait rare, grippant du coup l’activité des agences de transfert d’argent et des bureaux de change
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Selon des statistiques rendues publiques en 2019, le Mali comptait environ 4 millions de migrants dans le monde, sur une population totale estimée à près de 20 millions d’habitants. Les trois-quarts des immigrés, environ 3 millions de Maliens, vivaient sur le continent africain. Les envois annuels de fonds de ces compatriotes vers le Mali étaient évalués à plus de 500 milliards de Fcfa.
Ce pourrait même être le double, voire le triple, si l’on tient compte des transferts illicites, estime un récent rapport de la Banque mondiale. Faisant ainsi du Mali «le neuvième pays africain bénéficiant le plus des fonds envoyés par ses expatriés et le troisième des pays francophones du continent, après le Sénégal et la République démocratique du Congo (RDC)», selon le même document.
La plupart de ces compatriotes résident dans des pays confinés à cause des mesures préventives nécessaires prises pour endiguer la propagation de la pandémie à coronavirus. Près de 30% des transferts officiels proviennent par exemple de la diaspora malienne de France. Un pays qui vient de sortir du confinement qui aura duré deux mois. Là-bas, l’essentiel des secteurs d’activités où travaillent nos compatriotes (bâtiment, restauration, transport, entretien et manutention) étaient presque paralysés. Cela a forcement joué sur les envois d’argent au Mali.
CHUTE DE 23% EN AFRIQUE- Un récent rapport de la Banque mondiale (BM), consulté par le média français Le monde.fr, annonce une baisse des envois de fonds des migrants sans précédent dans l’histoire. Son auteur Dilip Ratha, économiste travaillant pour la BM, estime que la Covid-19 causera une chute des transferts monétaires de l’ordre de 20% dans le monde et de 23% en Afrique. La partie francophone du continent, dont les populations émigrent traditionnellement en Europe, sera plus durement touchée à cause d’une dépréciation de l’euro par rapport au dollar, annonce-t-il, estimant que le Mali, qui fait déjà face à une crise sécuritaire, sera en première ligne.
Comme signalé en haut, les transferts de fonds de migrants vers notre pays commencent à se faire de plus en plus rares. Les agences de transfert d’argent par lesquelles transitent ces fonds en ressentent davantage l’impact sur leur activité. Comme l’atteste Mohamed Guindo, agent de transfert Orange-Money. Selon lui, c’est tout le secteur de transfert d’argent qui subit les effets du coronavirus.
«Actuellement, l’activité de transfert de fonds est paralysée. Les gens reçoivent de moins en moins d’argent venant de l’étranger à cause de cette maladie», constate-t-il. Située à quelques encablures de la mairie de Kalaban Coura, l’agence de transfert de fonds «Fatoumata Maïga», associée à une banque de la place, semble subir moins les effets néfastes de cette crise sanitaire, à en croire l’agent principal chargé de la gestion de cette agence dont les transferts se font via Western Union.
«Au début de la pandémie, le secteur de transfert d’argent avait été touché, mais pas maintenant. Nous avons plus de clients actuellement qu’il y a quelques jours. Cela est dû au mois de ramadan, période pendant laquelle les gens font tout pour envoyer des sous à leurs proches», explique Anda Tembely. Une exception qui confirme le constat général. Car, c’est tout le contraire que vit l’agence de transferts Traoré Distribution. Située à Kalaban Coura extension sud, elle ouvre du lundi au samedi. Mais à cause de la pandémie à Covid-19, la clientèle se fait rare. Au seul client rencontré dans cette agence, le gérant signifiera que l’argent qu’il devrait récupérer n’a pas encore a été envoyé, à cause du confinement. Le client quittera l’agence la tête baissée.
Interrogé, le gestionnaire de l’agence de transferts Traoré Distribution reconnaît l’impact de la Covid-19 sur son activité. «La maladie à coronavirus a beaucoup joué sur nous qui sommes dans le domaine du transfert d’argent. La plupart de l’argent que nous recevons est envoyé par les gens de l’extérieur: France, Italie, Espagne et des États-Unis. À cause du confinement dans ces pays, le volume d’envoi a beaucoup baissé», explique-t-il. «C’est impossible pour eux de faire des envois dans ces conditions-là. Certaines personnes vivant à Bamako envoient même de l’argent à leurs proches bloqués dans ces pays confinés», révèle notre interlocuteur.
Un scénario incroyable qui expliquerait le calvaire que vivent nos expatriés confinés dans leurs pays d’accueil. «Tous les jours, des gens m’appellent pour me demander de l’aide, confie le secrétaire exécutif du Haut conseil des Maliens de l’extérieur. Certains sont bloqués en France et ne peuvent pas rentrer pour apporter de l’argent à leur famille, d’autres sont coincés au Mali et ne peuvent pas retourner en France travailler».
Mahamadou Camara s’exprimait dans une enquête publiée en avril dans le journal en ligne : Le monde.fr. «Ils sont effrayés, tout est à l’arrêt, ils n’ont plus de boulot. Si certains touchent le chômage partiel, la plupart, les précaires, les non-déclarés, n’ont aucune aide», abonde le vice-président du Haut conseil des Maliens de France, Diarra Hady, dans le même article. S’ils ne peuvent pas travailler, ce n’est pas seulement eux qui en paient le prix, mais dix, vingt personnes restées au Mali et qui dépendent de leur salaire, estime-t-il.
LA MISÈRE DES MÉNAGES- Cette situation cause la misère de nombreuses familles au Mali, notamment celle de Mme Touré Aïssata qui vit des envois de fonds de son époux, immigré en Espagne depuis quelques années. «Beaucoup de familles dépendent de soutiens de leurs parents qui vivent à l’étranger. Avec la Covid-19, nous ne recevons plus d’argent. J’ai été obligé d’aller vivre chez mes parents», murmure cette mère de famille. Les bureaux de change et les monnayeurs ambulants sont également loin d’être épargnés par les effets pervers de cette maladie. Devant le GIE Wassa, sise au Quartier du fleuve, se forme un groupe de gens de troisième âge. Son responsable, Moussa Koné, affirme que la pandémie a beaucoup joué sur le secteur du change.
«Nous travaillons avec les devises. Notre activité est à l’arrêt à cause de la suspension des vols. Aucun billet n’entre ou ne sort. Ouvrir le bureau n’est qu’une formalité sinon il n’y a aucun client. Donc, c’est devenu un grin de causerie», explique l’intermédiaire financier.
Les changeurs qui se trouvent aux alentours de la Banque de développement du Mali (BDM-SA), connaissent le même marasme. «Notre activité est directement liée aux vols. Les avions n’atterrissent plus, donc pas d’activité», peste Mamadou Niaré. La main remplie de billets de dollar et d’euros, il précise que certains d’entre eux continuent de venir pour éviter l’oisiveté, en espérant rentrer à la maison avec de quoi bouillir la marmite le lendemain.
Babba B.
COULIBALYSource: Journal l’Essor-Mali