La pièce de théâtre « Tiguida », écrite et mise en scène par Adama Traoré et présentée par Inaïssa Touré, dénonce l’impunité et le silence autour du viol.
C’est un public très hétéroclite qui se donnait rendez-vous tous les soirs à l’association culturelle Acte Sept (créée en 1994) dans le cadre des rencontres théâtrales. Joie, émotion et surtout tristesse accompagnaient l’évènement, qui s’est déroulé du 26 au 29 mars 2021.
Parmi les présentations théâtrales, la pièce Tiguida, présentée par la jeune actrice Inaïssa Touré, a marqué les esprits et les cœurs. C’est un texte sur le viol et le tabou, et l’impunité qui l’entoure. Écrite et mise en scène par Adama Traoré, qui dirige Acte Sept, Tiguida met en scène une jeune fille victime de viol et rejetée par la société. La pièce dresse un tableau de la société malienne dans laquelle le viol et tout ce qui se rapporte à la sexualité sont tabous.
Tiguida, l’héroïne, est violée par un chef de famille. Mais personne ne veut y croire, même pas ses parents. Elle est seule « à souffrir, à se lamenter, à se demander : à quand la fin du calvaire ? ».
« Le viol est-il synonyme de dévierger ? »
Au-delà du tabou autour du viol, le calvaire de Tiguida découle également d’un fait naturel : l’hymen. En effet, conduite à l’hôpital par sa mère après son « prétendu » viol pour vérifier si réellement elle dit vrai, la sage-femme, « après une furtive analyse », conclura que « tout est en place, elle n’a pas été touchée ». Mais « le viol est-il synonyme de dévierger ? », s’interroge Tiguida, qui essaie par tous les moyens de convaincre ses parents qu’elle est bien victime.
Rejetée et mise à l’index partout où elle passe, Tiguida n’a aucune oreille pour l’écouter, aucun soutien dans ses moments difficiles. Ce n’est pas tout. Le bourreau récidive, car le silence et le tabou l’encouragent dans ses sales besognes. « Quand tu vas raconter, personne ne te croira ! […] Ils diront que tu l’as voulu, que tu l’as aimé, que tu l’as mérité », intimide l’agresseur.
Après ce deuxième cas de trop, Tiguida porte plainte afin que le coupable réponde de ses actes. A sa grande surprise, la police reste indifférente à ses lamentations. Elle demande des preuves et Tiguida était décidée à se faire «ausculter s’il le faut ». « Sinon le salaud pensera qu’il est inattaquable parce que les victimes n’oseront jamais dire ce qui s’est passé », martèle-t-elle.
Par la suite, sa plainte sera retirée par ses parents, « au nom du soutoura », pour l’honneur de la famille. Une pratique qui encourage l’impunité.
Poids des traditions
En plus d’une réussite dramaturgique, le texte est sublimé par une mise en scène savamment orchestrée par Adama Traoré. Avec un décor noir, la scène se présente d’un côté comme un ring de boxe et de l’autre comme une salle de sport. La jeune actrice Inaïssa Touré maitrise le jeu en se mettant parfaitement dans la peau du personnage. Elle est habillée en sportive et le jeu est ponctué de scènes de sport accompagnées d’un son de flute sporadique. Tantôt l’actrice frappe dans un sac de boxe, tantôt elle s’adonne à des exercices physiques. Le sac de frappe, perché au beau milieu de la scène, symbolise la victime qui encaisse les coups de la société et de son agresseur. Tandis que les exercices physiques renvoient à la résistance et au courage de la jeune fille face aux coups.
La pièce s’inspire « malheureusement » d’une histoire vraie, selon l’actrice, qui dit vouloir à travers cette œuvre briser le silence autour du viol, encourager les victimes à extérioriser leurs douleurs et prendre conscience face à cette réalité longtemps étouffée par le poids des traditions.
Source : Benbere