Le Bangladesh est en proie à une nouvelle vague de violences suite à l’exécution, jeudi 12 décembre, d’Abdul Quader Mollah, le dirigeant historique du Jamaat-e-Islami, un parti islamiste de l’opposition. Le pays, et notamment Dacca, la capitale, a été le théâtre de violents affrontements. Les partisans du Jamaat-e-Islami se sont également attaqués aux minorités hindouiste, chrétienne et bouddhiste.
Condamné d’abord à la perpétuité en février 2013, puis à la peine de mort en septembre dernier pour des crimes de guerre commis lors de la guerre d’indépendance en 1971, Abdul Quader Mollah, le numéro 2 du parti Jamaat-e-Islami, a été pendu jeudi 12 décembre à la prison centrale de Dacca, la capitale du Bangladesh. Il a été enterré ce vendredi matin, avant l’aube, dans son village natal dans le district de Faridpur.
Son exécution n’a fait qu’exacerber les tensions et les divisions dans ce pays de 160 millions d’habitants, l’un des plus pauvres d’Asie. Des centaines de partisans du Jamaat, soutenus par les étudiants fondamentalistes des écoles coraniques, sont sortis dans les rues de Dacca et ont incendié des dizaines de véhicules et de maisons appartenant à la minorité hindouiste ou à des sympathisants du pouvoir. Les minorités chrétienne, hindouiste et bouddhiste sont considérées par les islamistes comme proches du pouvoir.
Des dizaines de boutiques ont été saccagées et des routes bloquées à travers tout le pays. Une grève générale a été annoncée pour ce week-end. Au moins six personnes sont mortes dans les violences. Des victimes qui viennent s’ajouter aux 300 personnes tuées cette année dans les nombreuses vagues d’agitation politique et les échauffourées quasi quotidiennes.
Un pays divisé
Parallèlement à ces violences, des milliers de personnes se sont rassemblées jeudi soir sur la place Shahbag, au centre de Dacca, pour célébrer l’exécution du chef islamiste. Ils estiment que justice a été rendue aux centaines de milliers de personnes tuées durant les neuf mois de guerre qui ont mené à l’indépendance du Bangladesh. Selon les chiffres officiels, trois millions de personnes ont été tuées par l’armée pakistanaise avec le concours des milices locales durant cette guerre. Des sources indépendantes estiment toutefois que le nombre de victimes varie de 300 000 à 500 000 morts.
Le tribunal des « crimes de guerre » mis en place par le gouvernement en 2010 a condamné à ce jour 9 personnes. Sept ont écopé de la peine de mort, une a été condamnée à la perpétuité et une autre à 90 ans de prison. Abdul Quader Mollah est le premier à avoir été exécuté, après avoir été reconnu coupable de viols et du meurtre de 350 civils à Mirpur, une banlieue de Dacca, d’où le surnom de « boucher de Mirpur » que lui ont donné les procureurs. Abdul Quader Mollah faisait partie à l’époque des milices pro-pakistanaises qui s’opposaient à l’indépendance de l’ex-Pakistan oriental, devenu le Bangladesh en 1971.
Une exécution qui ravive les plaies du passé
Malgré l’objectif affiché par le gouvernement de « cicatriser les plaies » et de tourner la page de l’histoire sanglante du pays, la création du tribunal a suscité de nombreuses oppositions et controverses. D’abord, parce que cette institution est considérée par la majorité des partis de l’opposition comme un instrument politique que le gouvernement utilise pour régler ses comptes avec ses adversaires. Il se trouve que la majorité des personnes condamnées sont des membres du Jamaat-e-Islami, un important allié du plus grand parti de l’opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP).
Ensuite, le tribunal appelé « Tribunal international des crimes de guerre » ne respecte pas les normes internationales et a été de ce fait critiqué à de multiples reprises par de nombreuses organisations internationales (Amnesty International, Human Rights Watch…). Et, malgré les pressions occidentales, y compris du secrétaire général de l’ONU, le parti de la Ligue Awami au pouvoir a choisi d’aller jusqu’au bout de sa logique en exécutant le condamné à mort.
C’est un calcul politique qui peut s’avérer dangereux, puisqu’il risque de semer le chaos dans le pays. D’ailleurs, dès l’annonce de l’exécution du leader islamiste, les partisans du Jamaat ont prévenu que le peuple allait se venger de la mort de son martyr en instaurant un Etat islamique au Bangladesh. Cette exécution ravive donc les profondes divisions entre le camp laïc de la Ligue Awami au pouvoir et la mouvance ultraconservatrice et islamique de l’opposition.
Impasse politique à trois semaines du scrutin
Et les craintes de violences sont d’autant plus justifiées que des élections législatives ont lieu le 5 janvier prochain. De nombreux partis de l’opposition – dont le plus important : le BNP- ont d’ores et déjà annoncé qu’ils boycotteraient le scrutin.
Les rivalités des deux camps sont renforcées par l’incapacité de trouver un accord sur un mécanisme de transition. Pour éviter les fraudes aux prochaines élections, le BNP exige la mise en place d’un gouvernement transitoire chargé d’organiser ce scrutin, ce que le gouvernement refuse. Par ailleurs l’opposition – avec à sa tête Khaleda Zia, la grande rivale de Sheikh Hasina – demande une démission pure et simple de la cheffe du gouvernement. Ces deux femmes, qui se sont succédées au pouvoir, se livrent une lutte acharnée depuis vingt ans.
Washington a exhorté les deux parties à résoudre le problème de manière pacifique et à tout faire pour sortir de l’impasse. Ce vendredi s’est tenu un troisième round de négociations entre le pouvoir et l’opposition avec la médiation d’un émissaire de l’ONU. Apparemment, sans grand résultat. L’émissaire s’est contenté de dire que le simple fait de réunir les deux camps autour d’une table était déjà un exploit.
Source : RFI