Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de traduire leur volonté de vaincre le terrorisme par la signature de la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette charte a été signée par les dirigeants des trois pays samedi dernier (16 septembre 2023). Avec cette décision politique, que reste-t-il aujourd’hui du G5 Sahel (Mali, Burkina, Mauritanie, Niger et Tchad) dont la force conjointe n’a jamais réussi à s’illustrer sur le front de la lutte contre le terrorisme ?
En mai 2022, le Mali s’est retiré du G5 Sahel (Mauritanie, Tchad, Burkina Faso et Niger) pour protester contre le refus de certains pays de lui confier la présidence tournante de l’instance régionale. Notre pays avait surtout dénoncé une instrumentalisation menée par un «Etat extrarégional visant désespérément à isoler le Mali». En complicité avec Paris, Mohamed Bazoum oeuvrait à isoler les autorités de la transition malienne dans toutes les organisations sous-régionales.
Se rendant compte que cette organisation était une coquille vide sans le Mali, sa cheville ouvrière, le président mauritanien (et aussi président en exercice du G5 Sahel), Mohamed Ould Cheick El Ghazouani, avait multiplié les appels du pied ces derniers temps pour convaincre notre pays de revenir sur sa décision. Tout comme il n’a cessé de regretter notre retrait volontaire de cette alliance militaire régionale dont l’une des missions principales devait être la lutte contre les Groupes armés terroristes (GAT).
«Le retrait du Mali du G5-Sahel et de sa force conjointe est une grande perte, tant au niveau géographique que sécuritaire… Le départ du Mali fait perdre au G5 Sahel une continuité territoriale qui rend difficile les interventions contre l’insécurité et pour le développement… Mon pays est en train d’élaborer une feuille de route qui prévoit des efforts pour le retour du Mali au sein du G5 Sahel», avait laissé entendre le chef de l’Etat mauritanien lors de la 4e session de l’Assemblée générale de l’Alliance Sahel qui s’est tenue le lundi 10 juillet 2023 à Nouakchott, en Mauritanie. Selon ses dires, le retrait malien aurait porté un coup fatal à la réalisation des objectifs de cette organisation et de sa force conjointe.
Mais, nous avons aujourd’hui toutes les raisons de croire que la signature de la Charte du Liptako-Gourma risque d’enterrer définitivement le G5 Sahel dont la création avait été impulsée par la France afin d’isoler l’Algérie dans la géopolitique sahélienne. «La raison d’être du G5, c’était le Mali. L’association des autres pays était de la diversion. Le G5 Sahel a été mis en place aussi pour isoler l’Algérie dans le projet d’occupation de l’espace sahélien et surtout du Mali», nous disait en début d’année un expert en géopolitique.
Privé du financement extérieur (sous la pression des Etats-Unis), dont il est essentiellement dépendant, le G5 Sahel est resté une coquille vide au niveau de son opérationnalisation. En effet, depuis sa création en 2014 et le lancement de sa force conjointe en 2017, ses opérations sont restées rares alors que la situation sécuritaire dans la zone sahélienne n’a cessé de se dégrader. Sa force conjointe n’a jamais réussi à s’illustrer sur le front de la lutte contre le terrorisme. Selon de nombreux observateurs, l’une des principales causes de cette léthargie est la non-concrétisation des promesses faites depuis plusieurs années par les bailleurs de fonds.
Nous savons que Washington a toujours posé son veto par rapport au financement des Nations unies. Et l’appui de la France n’a jamais été à hauteur de souhait. Contrairement au G5 Sahel, le Liptako-Gourma est une réalité palpable. Avant la crise sécuritaire qui a déstabilisé toute la bande sahélo-saharienne (suite à l’agression de la Libye et à l’assassinat du Colonel Mouammar Kadhafi, Guide de la Jamahiriya arabe libyenne, par l’OTAN), c’est une zone qui était dans une dynamique d’intégration économique sous l’impulsion de l’Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma, communément dénommée aussi l’Autorité du Liptako-Gourma (ALG). Regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, elle a été créée le 3 décembre 1970 à Ouagadougou.
Lors de la 6e conférence des chefs d’État réunie à Gao, les 25 et 26 avril 2005, un programme de développement de l’élevage avait été par exemple lancé, avec notamment la création d’un laboratoire vétérinaire régional dont la première pierre a été posée. Les chefs d’États des trois pays (Amadou Toumani Touré, Blaise Compaoré et Mamadou Tandia à l’époque) avaient exprimé leur souhait de transformer l’ALG en un espace économique intégré couvrant les 3 pays.
Par la signature de la Charte du Liptako-Gourma fondatrice de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de concrétiser cette volonté politique en créant une synergie militaire pour vaincre le terrorisme. Cette volonté va plus loin que celle ayant abouti à la création du G5 Sahel. Et cela d’autant plus que la principale mission de l’AES est de coordonner les efforts militaires, économiques et de lutter contre le terrorisme entre ces trois pays qui se partagent la zone dite des «Trois frontières» très convoitée par l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Cette alliance s’est ainsi engagée à «lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun». Elle a annoncé l’établissement, dans les jours à venir, d’une «architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes».
«Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du territoire d’une ou de plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties, de manière individuelle ou collective, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité au sein de l’espace couvert par l’alliance», stipule l’article 6 de la Charte établissant l’alliance. Comme on peut aisément le constater, cette nouvelle alliance va plus loin que le G5 Sahel dans la volonté de mutualiser les forces pour créer une synergie efficace contre les forces du mal dans la zone.
Les articles 5 et 8 de la charte permettent ainsi à chaque partie d’expulser les rebelles et terroristes qui se réfugient chez l’une des parties. Ainsi, les terroristes de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) qui se trouvent au Niger ou au Burkina Faso seront expulsés ou combattus par ceux-ci. Cette alliance scellée entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger peut être considérée comme «une étape décisive pour la sécurité et la défense» des populations des trois pays, notamment celles de la zone des «Trois frontières».
Comme l’a dit le chef de la junte nigérienne (Conseil National pour la Sauvegarde de la patrie), Général de Brigade Abdourahamane Tchiani, «grâce à cette coopération renforcée dans un esprit de solidarité, la conviction est grande que nous parviendrons ensemble à éradiquer la menace qui pèse sur nos nations fraternelles». Quant au Colonel Assimi Goïta, il rappelé sur «X» (ex-twitter) que l’objectif commun est désormais «d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle au bénéfice de nos populations»
Gageons que, mieux que le G5 Sahel, l’Alliance des États du Sahel (AES) va réellement réussir à stabiliser les trois pays afin de bâtir «un Sahel pacifié, prospère et uni» !
Moussa Bolly
Le Matin