Ousmane Coulibaly a signé un acte de renonciation à un terrain dont il détient les documents pour sortir de prison. Cela, après une plainte contre lui qui finit par un mandat de dépôt à la Maison centrale d’arrêt (MCA). Est-ce normal ? Que s’est-il passé ? Notre journal en collaboration avec Tuwindi a investigué.
Ousmane Coulibaly, domicilié à Yirimadio, a signé le 25 mars 2020 une attestation de renonciation. Cinq jours après, soit le 30 mars de la même année, il obtient une attestation de mise en liberté signée du régisseur de la MCA. Une attestation de renonciation contre une mise en liberté pour faux et usage de faux ?
Le récit d’Ousmane Coulibaly : « Il y a quelques années, j’ai acheté un terrain avec un monsieur du nom de Mamou Kébé. Je dispose encore ce papier de vente. Un jour, j’ai décidé de construire une annexe sur le terrain. C’était en février 2020. Un dénommé Bagnamè Coulibaly, que je connaissais déjà, m’a demandé d’arrêter la construction. Pour éviter tout problème, j’ai porté l’affaire devant le tribunal de la Commune I. Le jugement fut programmé pour le 23 mars. Le 2 mars, Bagnamè est venu avec deux gardes chez moi dans ma boutique avec un mandat d’amener au tribunal de la même Commune. J’ai été amené devant un juge. Le juge m’a annoncé que mes documents étaient des faux. Il décida de me mettre en prison pour enquête. Le même jour j’ai été amené à la Maison d’arrêt centrale de Bamako. Quelques jours après, j’ai un ami, Moctar Coulibaly, qui a rencontré Bagnamè. Ce dernier a demandé à ce que je signe une attestation de renonciation à mon terrain et au jugement pour que je sois libre. Chose faite, la lettre de renonciation a été écrite par mon avocat et remise à mon grand-frère Souleymane Coulibaly qui me l’a apportée pour signature à la prison. Je n’avais pas le choix, j’avais beaucoup de pression, la famille, ma femme et mes enfants, mon commerce. Donc, j’ai signé pour obtenir la liberté. J’ai renoncé à mon bien ».
Dans la lettre de renonciation il est écrit : « Ousmane Coulibaly renonce à la parcelle objet de litige l’opposant à Baniamé Coulibaly et pendant au tribunal de la Commune I au profit de ce dernier, véritable propriétaire ». La lettre a été signée le 25 mars par Ousmane Coulibaly. Et il a recouvert la liberté 5 jours après.
Avis d’experts : Deux praticiens de droit, dont un avocat et un universitaire ont tous les deux affirmé qu’une simple renonciation met difficilement fin à une poursuite judiciaire pour « faux et usage de faux ». L’avocat raconte que l’acte de renonciation n’est d’abord pas valable juridiquement et les conditions ne sont pas idoines. « On ne peut pas, pour un acte juridique, forcer une personne contre son gré. Son consentement est biaisé et quand un consentement est biaisé, l’acte n’est pas valable », explique l’avocat. Il reconnait que certaines infractions peuvent bien s’éteindre par protocole mais pas dans ces cas de figure. « Même si la personne renonçait, l’infraction ne doit pas s’éteindre », insiste-t-il. Pour l’universitaire, il doit forcément avoir une « concussion ». A ses dires, s’il y avait faux et usage de faux, c’est celui qui a vendu le terrain qui devrait être poursuivi en principal et Ousmane comme complice. Nonobstant, dit-il, en renonçant au terrain, cela ne devrait pas mettre fin à l’action publique.
En effet, quand il y a une plainte, selon les deux praticiens, deux actions sont activées. Une civile qui ne concerne que la partie civile et une action pénale concernant la violation de loi. Dans le cas échéant, la renonciation ne doit mettre fin à l’action pénale, affirment-ils.
« Dans une histoire de combat, il faut éviter de se limiter à la version du chasseur seul. Il faut souvent faire parler le lion aussi », selon un adage. Après Ousmane Coulibaly, notre journal a rencontré Bagnamè Coulibaly.
Sa version. Vendeur de bétails, Bagnamè, la soixantaine, travaille à Djélibougou près du cimetière.
Il raconte : « j’ai acheté le terrain dont on parle depuis les achats coutumiers (vente de terrain par les chefs de village). Sans date précise. Tout d’abord, j’ai un procès contre trois personnes dont Sékou Keita, Mamou Kébé et Adama Diallo sur ce même terrain à Kati. Le tribunal m’a donné raison. J’ai la grosse du tribunal. Les 3 personnes se prenaient pour des géomètres mais ont fini par reconnaitre que le terrain m’appartenait par un protocole d’accord. Après ce jugement, Mamou est venu me voir. Il m’a raconté qu’il avait vendu des parcelles à 3 personnes, une dame à Médina-Coura, un commissaire à Kati et un commerçant du nom d’Ousmane Coulibaly. Comme mon terrain, allant jusqu’à une vingtaine de lots, était seulement en lettre d’attribution, il dit qu’il va me le morceler et le mettre sous permis d’occuper. En récompense, je devrais lui donner 3 lots pour qu’il puisse payer ses 3 clients parmi lesquels Ousmane Coulibaly. Sinon que lui, Mamou Kébé risquerait la prison. J’ai eu pitié de lui et comme je devrais obligatoirement faire ce morcellement avec ou sans lui, j’ai accepté pour lui éviter la prison. Il a morcelé mon terrain et je lui ai remis les 3 lots. J’ai des témoins dont Mamoutou Dicko. Un vieux à l’allure des 70 ans qui a reconnu les faits.
Trois ans plus tard, poursuivit Bagnamè, Mamou m’est revenu. Il m’a dit qu’il voulait 2 lots pour les revendre à Ousmane Coulibaly et un certain Tiémoko Traoré. Et que ces derniers tiennent beaucoup à ces terrains. Ousmane est allé jusqu’à proposer un terrain avec titre foncier si j’acceptais. J’ai catégoriquement refusé. Et je lui ai dit que j’ai accepté le premier deal c’était juste pour lui éviter la prison. Mamou a passé plusieurs fois pour me faire changer d’avis mais j’ai refusé.
Un jour, étant en déplacement, je reçois l’information que deux individus construisaient sur mon terrain. C’était Ousmane et Tiémoko. A mon retour, j’ai été voir Ousmane pour le supplier d’arrêter. Car je ne voulais pas de conflit entre nous. Il m’a répondu que trop c’est trop. Qu’il a voulu acheter ce terrain, j’ai refusé. Qu’il a même proposé un échange avec un titre foncier, j’ai refusé. Qu’il n’avait plus le choix. Je l’ai supplié, sans succès.
A mon retour, j’ai appelé Mamou pour lui demander si c’était lui qui avait vendu mes parcelles à Ousmane et Tiémoko ? Mamou a catégoriquement nié. Il m’a dit qu’il ne leur avait pas vendu. Donc j’ai « t » obligé de porter plainte. La justice a fait son travail. Il a été emprisonné. Et c’était Mamou qui leur avait vendu les parcelles.
Après l’emprisonnement, un homme est venu me voir. Un grand-frère à Ousmane. Il m’a demandé d’annuler ma plainte. Il m’a dit qu’il allait se charger de faire renoncer Ousmane. Ils ont fait un acte de renonciation et son frère est venu me le remettre. Il a fait une demande de mise en liberté pour son frère et il fut libéré. Tiémoko aussi a envoyé un ami pour demander la même chose. Ils ont été libérés tous les deux.
Après j’ai appris qu’ils ont fait une requête pour demander l’annulation de leur acte de renonciation. Nous sommes convoqués de nouveau devant la justice. Je sais que mon terrain m’appartient. Je reste derrière la justice.
Mamou Kébé n’a toujours pas été retrouvé. L’affaire est de nouveau devant le tribunal de la Commune I.
Affaire à suivre…
Koureichy Cissé
Avec Twindi
Source : Mali Tribune