Il y a quelque chose de profondément gênant, et même d’indécent dans ce qui est en train de se jouer sous nos yeux. Il faut rappeler pour les distraits qui auraient tendance à l’oublier qu’au Nord, depuis le début du mois de janvier, nous avons une guerre, une vraie guerre avec de vrais morts. Les combats les plus durs se déroulent depuis deux semaines dans l’Adrar des Ifoghas. Ce sont essentiellement les forces françaises et tchadiennes qui sont aux premières lignes et tentent de déloger les terroristes. Et comme ceux-ci ne sont pas des enfants de chœur, ils vendent chèrement leur peau, en se battant au corps à corps et en n’hésitant pas à se faire sauter pour faire le maximum de morts.
Il n’est pas utile pour nous de revenir sur le bilan, suffisamment connu et particulièrement lourd. Et pendant ce temps-là que voyons-nous au Sud (on est obligé de parler comme cela ne serait-ce que pour mieux montrer les délimitations géographiques), on chante, on danse, on cortège (le maire de Bamako a été obligé de rappeler les exigences de l’Etat d’urgence), et on parle politique. Comme si de rien n’était. Les gens peuvent se marier, manifester leur joie, mais dans la sobriété et en ayant toujours une pensée pour les victimes de la guerre et en n’oubliant pas qu’il y a des soldats qui ont abandonné leur famille et leur pays pour venir se battre afin que nous soyons libres. Ce n’est certainement pas la seule raison, mais nous, cela nous suffit amplement.
Nous disons qu’il y a quelque chose de profondément gênant, et même d’indécent dans ce qui est en train de se jouer sous nos quand nous voyons l’empressement des hommes politiques à se projeter dans la conquête du pouvoir. C’est normal pour des hommes politiques de chercher le pouvoir et à l’exercer. Mais quand on est dans un pays en guerre, on doit savoir faire preuve de retenue. Quand en plus, cette guerre se mène avec des frères et des amis qui meurent sous les balles ennemies et assassines, il faudra être encore plus prudent. Faut-il rappeler que l’année dernière, à la même période, les mêmes hommes politiques exhortaient majoritairement le président ATT à renoncer au calendrier électoral pour se consacrer à la guerre contre les envahisseurs du Mali. Cette année, alors que la guerre bat son plein, les mêmes ne s’intéressent qu’aux élections. Allez y comprendre quelque chose. Nous pensons qu’il y a forcément quelque chose qui ne tourne pas rond.
On pourra toujours nous rétorquer que c’est notre volonté de faire les élections ; que c’est la volonté de nos amis, y compris ceux qui se battent au Nord, de nous « obliger » à élire un président de la République légitime ; mais tout de même. Nous sommes des hommes, nous avons des valeurs qui ne nous autorisent pas à marcher sur les morts pour atteindre ses objectifs. Surtout que chez nous, les morts appartiennent à toute la communauté. D’où notre incompréhension, par ces temps de deuil, à voir des hommes politiques battre le rappel des troupes…pour des élections. Et puis quand on jette un coup d’œil sur ceux qui s’agitent, on se sent encore plus mal à l’aise. Oui, oui, on est gêné pour eux dans la mesure où ils ont leur part de responsabilité dans ce qui est arrivé au Mali. Ils ne le diront jamais mais tout le monde les observe et certains Maliens bouchent leur nez en les voyant s’agiter ou s’approcher d’eux. Mais cela ne les dérange pas ; ils ne voient que Koulouba. Il y en a qui, dans leur volonté de passer pour neufs, en arrivent à oublier que ce sont les premiers obus de la mutinerie du 21 mars 2012 qui a abouti au coup d’Etat qui les ont obligés à sortir des couloirs de Koulouba et des coulisses du pouvoir qu’ils arpentent depuis au moins 10 ans. Ils en appellent à la jeunesse pour chasser ceux qui pensent que le Mali est leur propriété affirment-ils, oubliant que du temps de leur splendeur et de leur prospérité ils ont été sourds et muets face aux problèmes de la jeunesse.
Il y en a qui ont disparu depuis….mars-avril 2012. Ils ont certainement des raisons d’avoir choisi de partir au loin pour les uns ou de tomber dans la clandestinité pour les autres (leur sécurité n’était pas garantie). Mais étaient-ils les seuls à être menacés ? Des journalistes ont été bastonnés ici, mais ils sont restés sur place pour se battre et améliorer les conditions des libertés des Maliens. Nous ne parlons même pasde tous les autres qui ont résisté afin de sauver ce qui pouvait l’être. Certainement qu’ils fondent leur espoir de voir les Maliens tous frappés d’amnésie. Ils seront déçus dans la mesure où les Maliens ont de la mémoire et ils sauront se rappeler de chacun d’entre eux.
Au moment où ils se démènent pour être dans le cœur des Maliens, les soldats d’autres pays sont en train de mourir pour le Mali. C’est comme s’ils tenaient ce message : « allez mourir au Nord, nous, nous cherchons le pouvoir loin des bombes, etc. ». Nous, nous sommes de ceux qui pensent que le président tchadien Idriss Déby semble avoir bien fait en interpellant les militaires maliens en leur disant qu’il les attend au Nord, à la lisière de la frontière algérienne. Mais ce message s’adresse également aux hommes politiques qui n’ont le Nord que dans la bouche mais pas dans les actes.
Nous ne saurons finir sans dire un mot sur l’absence des militaires maliens à Kidal. C’est vrai qu’à prime abord, cela peut être dérangeant et quelque peu gênant. Notre ego s’en trouve même écorné. Mais une fois l’orgueil mis dans la poche, examinons calmement la situation. Primo, on peut se demander, qui empêche les militaires maliens d’aller à Kidal, surtout que Kidal est encore sur le territoire malien. Secundo, on peut aussi chercher à savoir si les militaires maliens ont cherché à sortir de Gao par exemple pour monter à Kidal ?
Talfi