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Situation au Mali: les vérités de l’ambassadeur à l’ONU

À l’occasion de l’examen par le Conseil de Sécurité du rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali, l’Ambassadeur, Représentant permanent du Mali à l’ONU Issa KONFOUROU, a prononcé un discours dans lequel il tord le cou aux rumeurs et rétablit certaines vérités. Il a souligné la dégradation de la situation sécuritaire, malgré nos efforts au plan national et en dépit d’une forte présence militaire internationale au Mali depuis 2013. Loin de tout sentiment anti-forces internationales, il met en évidence une exigence de travailler davantage ensemble pour permettre à l’Etat de rétablir son autorité sur l’ensemble du territoire national.

Il a rappelé la soif des Maliens de réformes politiques et institutionnelles qui puissent garantir une stabilité institutionnelle durable au pays et un avenir meilleur à nos populations. Ce à quoi acquiesce d’ailleurs la CEDEAO.
Lisez le discours in extenso.

Monsieur le Président,
Je voudrais, tout d’abord, vous féliciter pour la manière exemplaire avec laquelle votre pays, le Kenya, assure la présidence du Conseil de sécurité pour ce mois d’octobre 2021 et vous réitérer le plein soutien du Mali.
Je tiens également à saluer la visite que les membres du Conseil de sécurité viennent d’effectuer au Mali.
Permettez-moi aussi de remercier le Secrétaire général de notre Organisation, Monsieur António Guterres, pour son engagement continu en faveur de la paix et de la stabilité au Mali et dans la région du Sahel.

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
La délégation du Mali prend note du rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali et je remercie Monsieur El-Ghassim WANE, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Mali et Chef de la MINUSMA, pour sa présentation.
Je prends note également des observations et des préoccupations que vous venez d’exprimer.
Il y a seulement cinq jours, vous étiez à Bamako, où vous avez eu l’opportunité de rencontrer et d’échanger avec les autorités de la Transition et l’ensemble des parties prenantes maliennes sur la situation politique, sécuritaire, humanitaire et de droits de l’homme…
Vous avez donc eu l’occasion d’apprécier les défis réels auxquels le Mali reste confronté, mais aussi les perspectives pour les semaines et les mois à venir.
Comme vous le savez, la répétition a une valeur pédagogique. Je vais donc m’employer à vous réitérer certaines préoccupations majeures, en guise d’observations du Gouvernement du Mali au rapport du Secrétaire général et à celui de votre récente visite à Bamako.
Je commence logiquement par la situation sécuritaire : le Président de la Transition, Son Excellence le Colonel Assimi GOITA et le Chef du Gouvernement, le Docteur Choguel Kokalla MAIGA et tous vos interlocuteurs ont été unanimes sur le constat que la situation sécuritaire au Mali se dégrade malheureusement au quotidien. Et ce, malgré nos efforts au plan national et en dépit d’une forte présence militaire internationale au Mali depuis 2013.
Les Maliennes et les Maliens ont besoin de sécurité et ils exigent de leur Gouvernement des mesures diligentes pour les protéger contre des attaques barbares et indiscriminées. C’est le sens de l’engagement continu des Autorités de la Transition à poursuivre les efforts de recrutement, de formation, d’équipement et de renforcement des capacités opérationnelles des Forces de défense et de sécurité maliennes.
Je dois aussi dire ici que l’exaspération de mes concitoyens face à la dégradation de la situation sécuritaire s’adresse également aux partenaires du Mali, y compris la MINUSMA, la Force française Barkhane et autres. Il ne s’agit pas, et j’insiste là-dessus de sentiment anti-forces internationales. Bien au contraire, les Maliens sont d’ailleurs très reconnaissants des sacrifices humains, matériels et financiers importants consentis par la communauté internationale pour la paix dans notre pays. Cependant, les populations maliennes exigent que nous travaillions davantage ensemble pour permettre à l’État malien de rétablir son autorité sur l’ensemble du territoire national, condition essentielle pour qu’ils vivent en sécurité et en dignité dans les villes et les campagnes. C’est dans ce travail dynamique de coopération que les populations maliennes pourront davantage apprécier la valeur ajoutée de la MINUSMA et des autres forces internationales. Et c’est aussi dans ces conditions que nous pouvons contribuer significativement à l’amélioration de la situation humanitaire et des droits de l’homme au Mali. Enfin, c’est aussi la meilleure stratégie pour contenir les menaces et les multiples défis sécuritaires au Mali, afin d’éviter leurs propagations aux autres pays de la région.

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Durant votre visite à Bamako, mes autorités vous ont expliqué dans les détails les conséquences désastreuses de la dégradation de la situation sécuritaire au Mali : des centaines de milliers de mes compatriotes sont obligés de fuir leurs localités d’origine pour se réfugier dans les pays voisins que je remercie ici ou pour être déplacés internes dans certaines grandes villes maliennes ; la destruction ou l’occupation des infrastructures scolaires a conduit à la fermeture de 1 300 écoles dans les régions du Nord et du Centre du Mali et à la déscolarisation de plusieurs milliers d’enfants ; plus de 9000 enseignants se trouvent ainsi désœuvrés ; les services sociaux de base ne fonctionnent plus dans les localités concernées et l’Administration publique a dû se replier pour raison de sécurité.
Cette situation sécuritaire préoccupante aggrave la crise humanitaire au Mali. Dans les zones de production par excellence du pays, les populations laborieuses sont empêchées de mener leurs activités agricoles, d’élevage, de pêche et de commerce par divers groupes criminels.
Parallèlement, les Maliens ont soif de réformes politiques et institutionnelles qui puissent garantir une stabilité institutionnelle durable au pays et un avenir meilleur à nos populations. Cette exigence légitime de nos compatriotes a eu des échos favorables auprès des dirigeants de la CEDEAO qui, dès octobre 2018, avaient recommandé, à l’issue de leur Mission d’Information relative à la crise postélectorale de mener des réformes approfondies au Mali.
Vous voyez que de l’avis même de la CEDEAO, ces réformes politiques et institutionnelles sont absolument nécessaires. Il est vrai que le Gouvernement reste conscient des engagements pris et des délais impartis. Cependant, les autorités de la Transition restent décidées à jeter les bases de quelques réformes, pas toutes, notamment celles qui puissent garantir des élections inclusives, transparentes et crédibles. Il s’agit là d’un passage obligé, si nous voulons épargner au Mali de nouvelles crises pré ou post-électorales, aux conséquences imprévisibles sur la stabilité des Institutions et du pays en général. C’est tout le sens des Assises nationales de la refondation, qui se tiendront de novembre à décembre 2021. Les membres du Panel des Assises Nationales de la Refondation ainsi que ceux de la Commission nationale d’organisation ont été nommés et installés dans leur fonction le 26 octobre dernier.
A l’issue de ces Assises nationales, un chronogramme électoral sera présenté à la CEDEAO. Déjà, je rappelle que le Gouvernement est à pied d’œuvre pour la bonne préparation des prochaines élections, à travers notamment :
– la mise en place de l’Organe unique de gestion des élections, dont la nomination des membres est attendue en novembre ;
– la révision des listes électorales, entamée le 1er octobre 2021 et en cours jusqu’au 31 décembre 2021 ;
– les opérations d’enrôlement spécial des électeurs, y compris dans les Missions diplomatiques et consulaires du Mali ; et surtout
– l’adoption de la loi électorale par le Conseil national de Transition, le mois prochain.

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, je voudrais d’abord rappeler que le Gouvernement de Transition a une claire conscience que la stabilisation durable du Mali passe aussi par la mise en œuvre de cet Accord.
La 45e session du Comité de suivi de l’Accord (CSA), tenue à Bamako, le 05 octobre dernier, a offert aux parties maliennes l’occasion de renouveler leurs engagements en faveur du parachèvement du DDR-accéléré. A cet égard, je rappelle que sur les 3 000 ex-combattants à réintégrer au titre des mouvements signataires et de l’inclusivité, 1 840 ex-combattants ont déjà été intégrés dans l’Armée nationale reconstituée ; le Gouvernement est dans la logique d’intégrer les 1 160 restants, dès qu’il recevra la liste des représentants de la CMA.
En outre, le Gouvernement du Mali reste disposé à intégrer prochainement d’autres ex-combattants des mouvements signataires au sein des Forces armées et de sécurité, de la Fonction publique de l’État et d’autres corps para militaires du pays, dès lors que les quotas seront compatibles avec les capacités du budget national.
Par ailleurs, nous avons pris des mesures visant à accroître la représentativité des femmes dans tous les mécanismes du Comité de suivi de l’Accord (CSA). A la date d’aujourd’hui, neuf (9) femmes siègent déjà au CSA et trois autres doivent les rejoindre pour compléter le nombre de femmes siégeant au CSA à douze (12).
En ce qui concerne la situation actuelle au Centre du Mali, il importe de noter que celle-ci est le prolongement de l’instabilité créée dans les régions du Nord. Pour y faire face, le Gouvernement s’attelle à la finalisation d’une Stratégie globale de gestion intégrée de la crise au Centre du Mali. Cette Stratégie comprend des mesures politiques et sécuritaires, notamment le renforcement du dispositif de sécurité au Centre et le dialogue envisagé avec nos compatriotes modérés pour isoler les groupes extrémistes radicaux, souvent étrangers. Nous estimons que ces mesures sont de nature à créer un environnement favorable au retour des services administratifs et sociaux dans les zones abandonnées.

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Sur la question de l’augmentation des effectifs militaires et de police de la MINUSMA, je voudrais souligner, encore une fois, qu’il n’existe pas de sentiment anti-MINUSMA au Mali.
Cependant, il y a au sein des populations maliennes, un désir ardent de paix et une soif de sécurité qui font écho à l’exigence d’efficacité des instruments politiques et militaires mis en place. Vous savez que le Mali est devenu de nos jours un pays sur-militarisé mais paradoxalement très vulnérable face au terrorisme et aux autres formes de crime organisé.
C’est pourquoi le Gouvernement du Mali est demandeur de consultations approfondies surtout au niveau opérationnel pour mieux apprécier la pertinence de l’initiative de relèvement des effectifs de la MINUSMA. Nous voulons notamment mieux comprendre sa valeur ajoutée, son efficacité, son articulation avec nos propres forces sur le terrain ; nous voulons plus d’actions ou d’opérations communes sur le terrain. Nous souhaitons insister ici sur la nécessaire adaptation du mandat de la MINUSMA aux besoins réels de sécurité du Mali. A cet égard, nous voulons le déploiement de brigades d’intervention rapide capables de mener des opérations de protection des populations contre les menaces extrémistes.

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Je tiens à souligner que le Gouvernement reste très attaché à respecter et à faire respecter les droits de l’homme, aussi bien pour les forces nationales qu’internationales. Ainsi, la justice malienne est systématiquement saisie chaque fois que des cas de violation des droits de l’homme sont signalés. Une session de la Cour d’assises spécialement consacrée aux dossiers de terrorisme et de violations graves des droits de l’homme se tient actuellement à Bamako. De même, la Cour d’Assises de Mopti a condamné, le 30 juin dernier, 12 individus accusés dans le cadre des attaques de Koulogon Peuhl, dans le cercle de Bankass, et qui avaient causé la mort de 37 personnes. C’est dire l’engagement du Gouvernement du Mali, malgré les nombreux défis, à ne ménager aucun effort pour lutter contre l’impunité.
Il est vrai cependant que les conditions sécuritaires sur le terrain, l’absence des services publics compétents dans certaines localités et le déficit d’expertise dans certains domaines ne favorisent pas l’aboutissement rapide des procédures ouvertes. C’est l’occasion pour moi de plaider pour un renforcement de la coopération internationale en faveur du Mali en vue de l’aider à relever les défis sur ce plan, en termes de formation, d’équipements, d’expertise et de financements adéquats.
Le Gouvernement reste préoccupé par la détérioration continue de la situation humanitaire au Mali, à cause de l’insécurité grandissante. Nous sommes peinés de voir des centaines de milliers de Maliens dans les camps de réfugiés dans les pays voisins, et des déplacés internes. Cette situation humanitaire pourrait davantage s’aggraver avec la mauvaise saison de pluie enregistrée cette année et l’insécurité grandissante dans les régions du centre du pays, zones de production par excellence. Pour alléger leurs souffrances, le Gouvernement travaille, avec l’appui des partenaires bilatéraux et multilatéraux à créer les conditions idoines d’un retour dans la sécurité et la dignité de nos populations, y compris en vue de leur participation aux prochaines élections générales au Mali.
Monsieur le Président,
Parlant de la dimension régionale, le G5 Sahel, sur ses deux piliers sécurité et développement, constitue une réponse globale, adéquate et durable aux multiples défis de notre espace commun.
C’est pourquoi, pour la pleine opérationnalisation de la Force conjointe, le Mali réitère son appel au Conseil de sécurité en faveur d’un mandat robuste, c’est-à-dire un mandat placé sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et d’un financement prévisible et pérenne de la Force conjointe, y compris à travers les Nations Unies. Nous soutenons également la proposition de création d’un Bureau d’appui des Nations Unies à la Force conjointe du G5 Sahel.

Monsieur le Président,
Certains membres du Conseil ont évoqué et regretté le départ du Mali du Représentant de la CEDEAO. Je tiens à rappeler que le Gouvernement du Mali a été obligé de prendre cette décision extrême contre cette personnalité dont les activités étaient contraires au mandat que la CEDEAO lui avait confié.
Les dirigeants de la CEDEAO avaient été informés plusieurs mois avant et l’intéressé avait été mis en garde, sans succès.
Vous avez vu que dans son communiqué du 27 octobre, la Commission de la CEDEAO reconnaît elle-même que le processus de rappel de son Représentant était déjà engagé. Sauf que dans cet intervalle, l’intéressé a malheureusement continué ses actions de déstabilisation.
Cela dit, je souligne avec force qu’il s’agit d’une mesure dirigée contre la personne de l’ancien représentant et que la coopération entre le Mali et la CEDEAO va se poursuivre et se renforcer.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Pour terminer, je voudrais dire avec force que le peuple et le Gouvernement du Mali réitèrent leur appréciation et leurs remerciements pour l’énorme contribution du Conseil de sécurité aux efforts de stabilisation en cours dans mon pays, et au-delà, dans la région du Sahel.
Je voudrais également réitérer la reconnaissance du peuple et du Gouvernement du Mali au Représentant spécial du Secrétaire général, aux organisations sous régionales, régionales, internationales, à tous les pays contributeurs de troupes pour les sacrifices consentis en vue du règlement définitif et durable de la crise malienne.
Je rends hommage à la mémoire de toutes les victimes de cette crise, civiles comme militaires, étrangères comme maliennes, tombées sur le champ d’honneur au Mali.
Je vous remercie de votre aimable attention.

Source : Info-Matin

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