L’Union africaine a célébré samedi 25 mai 2013 ses 50 ans d’existence. Les festivités se sont déroulées à Addis-Abeba. Seydou Badian Kouyaté, l’un des pères de l’indépendance du Mali et même de l’organisation de l’unité africaine, pense que les pays africains ont été déroutés de leur chemin. Sans quoi des pays, comme le Mali, n’allaient pas connaître la crise qu’il traverse aujourd’hui. Car, estime-t-il, les pères fondateurs de l’UA étaient des visionnaires. Et en parlant de la situation de Kidal, il dira que c’est un problème raciste dont les politiciens seraient à la base avec la complicité de nos dirigeants.
Le Mali est l’un des pays fondateurs de l’organisation de l’Unité africaine, qui s’est transformée en Union africaine. Qu’est-ce que ça vous inspire d’être là, 50 ans après la création de cette organisation ?
Seydou Badian : Moi, je pense avant tout à mes camarades, ceux qui étaient avec moi. Nous avions beaucoup ambitions pour le Mali. Voir le Mali dont l’ambition pratiquement nous mettait debout, nous mobilisait, et voir le Mali d’aujourd’hui, c’est terrible pour moi. Mes camarades sont tous absents ; tous ceux qui étaient au bureau politique de l’Union soudanaise RDA. Aucun d’entre eux ne vit aujourd’hui. C’est moi seul qui vis. Je sais qu’aujourd’hui, comme on le dit, ils se sont retournés 20 mille fois dans leurs tombes. C’est terrible pour moi de voir mon pays humilié, de voir mon pays plus bas que terre. Je ne sais pas pourquoi Dieu m’a fait vivre jusque-là pour assister à ça ! Lui seul le sait. Mais, pour moi, c’est terrible. Je n’aurais jamais imaginé un Mali si bas. Mais, quand j’étais interné à Kidal avec le président Modibo Keïta et d’autres camarades, il a eu la possibilité de m’écrire et m’a dit : je crains que le Mali ne prenne le chemin opposé à celui dans lequel nous étions engagés. Celui qui portait la lettre s’appelle Baby, il était à l’époque caporal dans l’armée malienne. Je crois qu’il doit être en vie actuellement. Et tout ce que Modibo craignait est arrivé. Plus que ça, nous sommes plus bas que terre encore une fois.
Est-ce que vous ne regrettez pas aujourd’hui le fait que l’OUA n’a pas pu mettre en place une armée africaine ?
Vous savez, à la création de l’OUA, Kwamé Nkrumah voulait tout de suite un gouvernement continental, une armée continentale. Il voulait tout de suite qu’on mette les choses en chantier. Malheureusement, ça n’a pas eu lieu. Mais l’équipe de Casablanca, c’est-à-dire le Maroc, le Ghana, la Guinée, le Mali, l’Algérie -qui n’était pas encore indépendante- et la Libye avant la révolution de Kadhafi, nous avions décidé de mettre sur pied un embryon de structure de l’armée qui résidait à Kati. Il y a encore aujourd’hui des vieux officiers généraux marocains qui ont fait Kati. Malheureusement, avec les hauts et bas de la vie, ça n’a pas été loin. Mais nous n’y avions jamais, jamais, jamais renoncé ! Et dans notre Constitution, ça figure encore : nous sommes prêts à renoncer à une partie ou tout de notre territoire au profit d’un grand ensemble. Nous y tenons.
Mais pas au profit des bandits armés ?
Hélas, quand vous parlez de bandits armés, moi, je pense à celui qui était notre président, ATT. J’ai appris qu’il y a des jeunes qui ont porté plainte contre lui, mais c’est le peuple qui doit porter plainte contre lui. Par voie de presse, j’ai appris que les responsables français disent que les jihadistes étaient au Mali depuis 10 ans. 10 ans, qui était là ? C’est lui ! Il était au courant. Vous saviez qu’est-ce qu’il a pris comme disposition ? Rien en tout cas, nous n’avons rien vu. Ils attendaient et nous ont eus. ATT a laissé passer les débris de la horde de Kadhafi avec leurs armes. Il les a même fêtés parce qu’il leur a donné de l’argent. Et tout ça s’est produit pendant que nous étions là ; nous sommes tous dans une certaine mesure responsable, nous l’avons laissé faire. ATT est allé jusqu’à dire que lui, il n’emprisonne pas les détourneurs, les voleurs, qu’il préfère leur demander de rembourser. Il a pratiquement ouvert la voie à tout : aux vols, aux détournements d’argent. Il leur demandait de rembourser, nous étions tous là. Nous l’avions entendu dire, nous n’avions rien fait. Et quand je pense aujourd’hui que ceux qui étaient aux affaires avec lui se préparent encore à vouloir diriger le Mali, je ne comprends plus rien. Les Maliens sont devenus quoi ? Pour qui nous prend-t-on ? Ceux qui ont aidé ATT à mettre le Mali dans le ravin, dans le trou, dans l’humiliation, dans la honte, veulent se préparent à diriger encore le Mali ? Ça, il faudra que vous m’expliquiez ce que sont devenus les Maliens. Je ne comprends pas.
Quels commentaires faites-vous de la situation de Kidal où il règne une confusion terrible ?
Je citerai comme premiers responsables les politiciens français. Vous vous souvenez dès que les séparatistes ont pris quelques villes, parce que nous n’avions d’armée, j’ai entendu Alain Jupé dire que le MNLA a marqué quelques points et qu’il faut négocier, comme quelque chose d’entendu : vous faites un pas, nous nous vous soutenons. J’ai entendu le ministre français de la Défense dire que les Touareg sont nos amis. Je dis à nos frères touaregs, attention, attention ! Qu’est-ce qu’il y a derrière tout ça ? Et nous, naïvement, notre candeur habituelle nous a poussés à mettre le drapeau français devant nos maisons, nos boutiques et dans la rue. Nous avons chanté les louanges de Hollande ; nous avons donné le nom Hollande à nos bébés etc. Mais ce sont les Français qui soutiennent le MNLA, que les Maliens osent le dire ou non, ça c’est leur affaire. Mais moi, je dis que ce sont les Français, les politiciens français. Je n’accuse pas la France. J’ai fait mes études en France, j’y ai vécu, j’étais tout jeune, je suis arrivé en France en 1945. J’y ai fait le baccalauréat en 1948 ; j’ai fait mes études de médecine en France avec d’autres. Je suis en relation épistolaire avec les fils et les petits-fils de certains avec lesquels j’ai fait le lycée. Ce n’est pas la France qui est raciste, ce sont ses politiciens qui sont racistes. Moi, je considère que le comportement de Monsieur Juppé et du ministre français de la Défense est un comportement raciste. Que les Maliens le disent ou non, nous le pensons tous. Ceux qui ne le pensent pas, qu’est-ce qu’ils vont nous servir comme argument ? Mais le Mali ne tombera pas, même si le Mali nage aujourd’hui dans la médiocrité. Si le Mali est à terre aujourd’hui, demain appartient au Mali. Nous avons une jeunesse qui va pousser, qui va se lancer et je pense vraiment qu’elle est capable de relever tous les défis. Quand je pense au discours humain, un philosophe dirait trop peu humain de Monsieur Hollande et que je me rends compte de ce qui se passe dans les coulisses avec nous ; quand l’armée malienne veut rentrer dans Kidal, c’est Paris qui dit non, c’est extraordinaire ! Pourquoi ? Certains disent que le MNLA a promis d’aider les Français à libérer les otages.
Vous savez, je vais vous donner mon avis sur Kidal, c’est l’or, c’est le pétrole et autres choses avec peut-être une vue sur l’Algérie, c’est ce que les Occidentaux cherchent. Je crois que les Français ont la possibilité de traiter avec un gouvernement malien pour tout ça. C’est ça, il ne faut pas qu’on se fasse des illusions. Attention, ils parlent de Nations unies ! Quand il y a les Nations unies, c’est déjà l’indépendance rampante. Vous savez, je pense personnellement que c’est un problème racial, qu’ils le disent, qu’ils ne le disent pas, je le pense. J’ai 85 ans, je ne peux pas biaiser avec certaines choses. Je dis ce qu’il y a.
Kassim TRAORE
Source: Le Reporter